Alors que jusque-là les médecins de peste portaient seulement pour se protéger un masque en forme d’oiseau, d’où leur nom de « médecins becs », Charles Delorme, premier médecin de Louis XIII, va imaginer un costume destiné à les protéger de la tête aux pieds. L’abbé de Saint-Martin fit la description suivante de Delorme partant à la rencontre des pestiférés : « Il se fit faire un habit de maroquin, que le mauvais air pénètre très difficilement : il mit en sa bouche de l’ail et de la rue ; il se mit de l’encens dans le nez et dans les oreilles, couvrit ses yeux de bésicles, et en cet équipage assista les malades, et il en guérit presque autant qu’il donna de remèdes. »
Entièrement imprégné d’herbes aromatiques
Le masque porté sur le visage était constitué d’un nez en cuir ou en carton bouilli en forme de bec d’un demi-pied (16 cm) de long. « Le nez, rempli de parfums, n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des herbes renfermées plus avant le bec.» Épices et herbes aromatiques (thym, camphre, mélisse, clous de girofles, myrrhe, pétales de rose, vinaigre des quatre voleurs) imprègnent, en effet, des éponges placées à l’intérieur du bec. Le médecin de peste porte aussi des bottines en maroquin, des culottes de peau unie qui s’attachent aux bottines et une chemisette de peau unie, elle aussi, dont on insère le bas dans la culotte. Ayant revêtu son costume de peste intégralement imprégné lui aussi d’herbes aromatiques, le médecin de peste peut ainsi partir accomplir son travail, toujours accompagné de sa baguette avec laquelle il soulève les vêtements des pestiférés.
[[asset:image:6481 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]](lire aussi notre article consacré à la peste, mort noire)
Un de ses sujets de thèse : « La danse après le repas est-elle salutaire ? »
L’occasion est bonne pour parler de la personnalité un peu fantasque du médecin de Louis XIII qui avait obtenu son diplôme de médecin en 1607 à l’université de Montpellier après avoir soutenu quatre thèses dont les sujets laissent un peu rêveurs. Jugez-en :
– « Convient-il d’employer les mêmes remèdes avec les amants qu’avec les déments ? »
– « Une fièvre pestilente peut-elle être intermittente ? »
– « La guimauve est-elle un être vivant, et a-t-elle les propriétés que lui accordent Dioscoride et Galien ? »
– « La danse après le repas est-elle salutaire ? »
Delorme rédigera encore quatre autres thèses aux sujets tout aussi disparates dédiées à Nicolas de Silery, garde des Sceaux d’Henri IV puis chancelier de Louis XIII :
– « La vie des rois, des princes et des grands est-elle moins exposée à la maladie et plus longue que telle des gens du peuple et des paysans ? »
– « Les vésicants sont-ils bons pour les douleurs arthritiques ? »
– « Peut-on préparer un poison qui tue à une époque déterminée ? »
– Est-il permis, quand une femme enceinte souffre d’une maladie aiguë, de lui prescrire des abortifs ? »
Grand collectionneur d’estampes, homme d’esprit et poète à ses heures, Delorme fut aussi intendant des eaux minérales de France et si beaucoup louaient son art, à commencer par Henri IV qui disait qu’il « gentilhommait la médecine », d’autres le jugeaient « si vaniteux, si envahi par l'hypertrophie du moi, qu'il se crut l’Esculape de son siècle, l'ange de la piscine probatique de Bourbon qui voulait que les habitants de cette station lui érigeassent une statue sur le puits ».
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Remèdes de bonne femme
Très recherché par les malades et par ceux qui se portaient bien, donnant la santé aux uns et inspirant la gaieté aux autres, Delorme pouvait aussi avoir des ordonnances s’apparentant à des remèdes de bonne femme. Ainsi à quelqu’un souffrant d’une dent gâtée, il expliquait : « Guérir, ne point arracher, voilà ma devise. Prenez-moi de la fiente d'oie, faites-la fricasser avec de la graisse de porc mâle, et appliquez-la toute chaude du côté de la dent malade, sur un morceau de taffetas. »
À une femme dont le fils souffrait d’un flux de sang inextinguible, il se gargarisa : « Je sauverai votre fils. J'ai bien guéri du flux de sang au siège de La Rochelle plus de dix mille malades, tant de la cour que de l'armée. Je faisais faire un feu de vieilles savates sous un escabeau percé par le haut, et je faisais asseoir dessus le patient tout nu ; après s'y être mis ainsi pendant trois ou quatre heures, en trois ou quatre jours il était guéri. »
Il proposa aussi à une femme de la Cour souffrant d'un embarras gastrique « de prendre une huile médicinale dont une vieille poule est la base ; une vieille poule bouillie toute vive sans la plumer, sans la vider, avec des purgatifs de toutes sortes. » La femme ayant objecté que ce remède récemment appliqué à une de ses servantes avait failli faire trépasser celle-ci, Delorme lui rétorqua tout de go : « Cela prouve qu'elle serait morte si elle ne l'avait pas pris ! ».
L’élixir de Jouvence qui fit la fortune de Delorme
Notons enfin que Delorme s’était passablement enrichi avec l’élixir de Jouvence à base d’antimoine qu’il avait fait notamment prendre à Henri IV, Louis XIII et aussi à Madame de Sévigné . Pendant des années, la Marquise ne cessera de vanter « la poudre de Delorme », « la poudre du bonhomme », « ce grand remède qui fait peur à tout le monde et qui est une bagatelle pour moi ».
Peut-être cet élixir dont Delorme disait que « qui plus en boira, plus il vivra » était-il vraiment efficace puisque nombre de ses patients vécurent jusqu’à un âge vénérable pour l’époque : 75 ans pour Boileau, 91 ans pour Pierre-Daniel Huet ou 70 ans pour Guez de Balzac. Delorme lui-même vécut jusqu’à 94 ans après s’être remarié une troisième fois à l’âge de 86 ans avec une femme qui était de près de soixante ans sa cadette.
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