Prurit : mieux comprendre pour mieux traiter
Comme l’a souligné le Pr Laurent Misery (CHU de Brest) lors des Journées dermatologiques de Paris (JDP), « le prurit n’a rien de futile ni de ridicule. Il constitue la principale plainte des patients en dermatologie et se révèle tout aussi insupportable que la douleur. » Sa prise en charge est particulièrement difficile car les étiologies sont multiples (aussi bien systémiques que dermatologiques), l’évaluation thérapeutique est complexe (du fait d’un effet placebo de l’ordre de 30 à 70 %) et les traitements se sont jusqu’ici révélés très décevants.
Mais l’espoir est de pouvoir développer d’autres molécules grâce à une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents et à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques.
Trois sous-types de pruri-récepteurs identifiés
Le prix Nobel de médecine 2021 a consacré David Julius et Ardem Patapoutian pour leurs travaux sur les récepteurs cutanés, qui montrent comment des sensations peuvent être transformées en perception. On sait maintenant que parallèlement aux mécano- et thermo-récepteurs, il existe un certain nombre de pruri-récepteurs autour de la jonction dermo-épidermique. Actuellement, on dénombre ainsi trois sous-types de pruri-récepteurs, les uns plus spécialisés dans l’inflammation, les autres dans le prurit neuropathique et, enfin, les troisièmes dans des prurits d’autres origines. « Cela a déjà permis de montrer chez l’homme que les pruri-récepteurs histaminergiques ont un rôle anecdotique, puisqu’ils ne concernent que 10 % des prurits, ce qui explique le peu d’efficacité des antihistaminiques en dehors de leur effet placebo. »
Deux éléments seront importants à prendre en compte pour la recherche thérapeutique : la prédominance de la voie PAR-2 (Protease-Activated Receptor-2) et la notion de sensibilisation centrale au prurit qui explique en particulier l’autonomisation du prurit dans ses formes chroniques et l’efficacité de certains traitements, comme la naltrexone, les gabapentinoïdes et certains psychotropes. On attend par ailleurs les résultats d’études menées avec les anti-IL-4/13 ou les anti-IL-31 et les inhibiteurs de JAK. Les inhibiteurs de la neurokinine-1 (NK1) seraient intéressants dans les prurits légers à modérés, et les agonistes des récepteurs kappa aux opioïdes pourraient être actifs en particulier sur les prurits urémiques.
Les anti-JAK arrivent en force
Utilisés depuis plus de 10 ans dans les pathologies rhumatologiques, les anti-JAK s’imposent maintenant en dermatologie. Les Janus kinases transmettent les signaux induits par les cytokines ou les facteurs de croissance aux noyaux des cellules. Il existe plusieurs types d’inhibiteurs de JAK (iJAK), 1, 2 et 3.
Toutes les maladies inflammatoires sont potentiellement des cibles des iJAK. En dermatologie, on dispose dans la dermatite atopique (DA) du baricitinib (anti-JAK 1 et 2) qui a l’AMM chez l’adulte et de l’upadacitinib (anti-JAK 1), sous ATU à partir de 12 ans, qui ont une place actuellement en cas d’échec, de contre-indication ou d’intolérance aux autres traitements (méthotrexate ou ciclosporine).
L’upadacitinib a une efficacité supérieure au dupilumab (anti-IL-4), en particulier sur le prurit. Il provoque moins d’effets secondaires au niveau ophtalmologique et de réactions au site d’injection, mais le risque d’infection grave et en particulier herpétique est plus élevé. Par ailleurs, les anti-JAK n’ont pas d’impact sur les comorbidités atopiques (asthme notamment), que prend en charge le dupilumab. Le delgocitinib est un pan-inhibiteur de JAK intéressant car sous forme topique, avec une efficacité moindre que les formes orales mais une bonne tolérance qui pourrait le faire envisager à un stade plus précoce des diverses pathologies.
Dans le psoriasis, le tofacitinib a l’AMM pour les localisations rhumatismales mais son développement de même que celui du baricitinib et du ruxolitinib ont été arrêtés dans les formes cutanées en raison d’un rapport bénéfice-risque incertain. Un anti-TYK 2 est en développement, son mécanisme d’action différent éviterait les effets secondaires liés aux autres iJAK.
Des indications en constante extension
Les iJAK pourraient s’avérer très intéressants dans des indications quelque peu orphelines de traitement comme la pelade et le vitiligo, ainsi que dans le lupus érythémateux, les dermatomyosites avec interféronopathie (surexpression de l’interféron). Ils pourraient aussi être prometteurs dans les granulomatoses comme la sarcoïdose ou dans l’hidradénite suppurée.
« Les anti-JAK ont des indications en constante expansion. Ils représentent un espoir majeur dans des maladies difficiles à traiter et une alternative possible dans d’autres pathologies », indique le Pr Olivier Dereure (Montpellier). « Toutefois, dans ces différentes indications, les iJAK sont suspensifs, avec la plupart du temps des rechutes à l’arrêt des traitements, et se pose la question de la durée du traitement », poursuit le dermatologue.
D’autant que les effets secondaires sont nombreux et parfois potentiellement graves, surtout avec les anti-JAK à spectre large. Certains évènements indésirables ne sont pas spécifiques – urticaire, angio-œdème, toxidermies – et assez similaires à ceux des biothérapies. D’autres, plus spécifiques, sont liés au mécanisme d’action et le plus souvent bénins. Ils sont toutefois susceptibles de favoriser des infections bactériennes ou virales (en particulier une réactivation des infections à VVZ).
Le risque d’évènements thromboemboliques veineux et de complications cardiovasculaires s’observe surtout avec le tofacitinib et en présence d’autres facteurs de risque ; le risque tumoral – cancer du poumon non à petites cellules surtout chez les fumeurs, lymphomes, carcinomes épidermoïdes cutanés – n’avait pas été identifié sur les études pivotales du baricitinib et du tofacitinib mais a été retrouvé, même s’il est rare, dans une population de personnes traitées pour polyarthrite rhumatoïde a priori plus âgés et plus vulnérables que les patients de dermatologie ; on attend pour se prononcer les données de pharmacovigilance en dermatologie dans la vraie vie.
Il faut être d’autant plus vigilant en cas d’association avec d’autres immunosuppresseurs. Cette iatrogénie a amené la Food and Drug Administration à inscrire les iJAK dans sa « black box ». Il est certain que leur prescription doit s’encadrer d’une évaluation des facteurs de risque, d’une vaccination complète et d’un traitement préventif antiherpétique en cas d’antécédents d’herpès sévère.
Biothérapies, quelle tolérance dans le psoriasis ?
En 15 ans, les biothérapies ont totalement modifié la prise en charge des psoriasis cutanés modérés à sévères. Après les anti-TNFα (étanercept, infliximab, adalimumab) est apparu l’aprémilast (inhibiteur de PDE4) puis les anti-interleukines IL-12/23 (ustekinumab), IL-23 (guselkumab, risankizumab, tildrakisumab), et IL-17 (sécukinumab, ixekizumab, brodalumab) et, enfin, un autre anti-TNF, le certolizumab.
Les JDP ont été l’occasion de faire le point sur la tolérance de ces traitements dans le psoriasis. « On pouvait craindre un surrisque infectieux ou tumoral, comme cela a pu être mis en évidence dans les maladies inflammatoires chroniques rhumatismales ou intestinales, mais le terrain et les comorbidités en dermatologie ne sont pas les mêmes », explique le Pr Émilie Sbidian (Henri-Mondor), avec des patients a priori plus jeunes et moins vulnérables. D’où l’hypothèse d’un moindre risque qui devra toutefois être vérifié par les données en vie réelle. Par ailleurs « se pose aussi la question d’un effet classe », poursuit la spécialiste.
De façon globale, une analyse des essais menés dans le psoriasis modéré à sévère a montré que ce sont les anti-IL-23 qui sont associés au plus faible nombre d’évènements indésirables, et parmi eux le risankizumab, dont le profil bénéfice-risque à long terme serait le plus favorable.
Anti-TNFα : un risque infectieux plus élevé pour l’infliximab et l’adalimumab
La prescription des biothérapies a toujours fait craindre un surrisque infectieux. Les données du système national de santé ont permis de comparer les biothérapies par rapport à l’anti-TNFα de référence, l’étanercept. Au sein des anti-TNFα, le risque d’infections, et en particulier de formes sévères, est plus élevé pour l’infliximab et l’adalimumab que pour l’étanercept. Les infections graves les plus fréquentes étaient gastro-intestinales, cutanées, sous-cutanées et pulmonaires. Le risque était accru par l’utilisation concomitante d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de corticostéroïdes systémiques.
Le risque de tuberculose peut être augmenté avec le MTX, la ciclosporine et les anti-TNFα mais on n’a pas mis en évidence de survenue ou de réactivation d’une tuberculose bronchique sous anti-interleukines. La pandémie de Covid a ravivé les inquiétudes sur le risque d’infections respiratoires plus sévères, quelle qu’en soit la cause. La proportion est la même sous IL-23 que dans la population générale. Pour les anti-IL-17, une méta-analyse suggère une majoration potentielle du risque d’infections respiratoires mais les données sont imprécises et ne permettent pas de conclure.
En ce qui concerne le risque de cancers, un registre islandais suggère une augmentation sous anti-TNFα du risque de carcinomes épidermoïdes cutanés, mais ces tumeurs sont uniquement in situ et non des cancers invasifs. Pour le sécukinumab, les études menées en rhumatologie suggèrent, après un suivi de 5 ans, un risque probable mais faible de tumeurs malignes.
Le risque de survenue de MICI est à prendre en compte avec certaines biothérapies, d’autant qu’elles peuvent constituer des comorbidités. Le risque est identique avec les anti-IL-17 et l’étanercept, et plus élevé que sous aprémilast.
Mélanome : 10 ans de progrès fulgurants
Alors que, jusqu’en 2010, la survie au diagnostic d’un mélanome au stade métastatique était de 7 à 8 mois, l’arrivée de l’ipilimumab (immunothérapie anti-CTLA-4) et du vemurafenib (thérapie ciblée anti-BRAF) a marqué un tournant dans le pronostic de ces tumeurs. Puis se sont développés, à partir de 2015, les anti-PD1 et les inhibiteurs de BRAF + MEK, qui ont encore permis d’augmenter la survie dans le mélanome métastatique (hors métastases cérébrales). « Globalement, les nouvelles thérapeutiques ont amené un gain de plus de 46 % en survie globale chez tous les patients atteints de mélanomes métastatiques entre 2012 et 2017 », résume le Pr Jean-Jacques Grob (La Timone).
« Depuis 2019, et l’arrivée de nouveaux inhibiteurs BRAF + MEK et les associations anti-PD1/anti-CTLA4, l’efficacité est encore supérieure et la survie devrait passer à 5 ans », se félicite le Pr Philippe Saiag (Ambroise-Paré).
Les associations permettent d’allonger encore la survie. En monothérapie, un anti-PD1 (le pembrolizumab) a multiplié par deux la survie sans progression de la maladie par rapport à l’ipilimumab avec une médiane de survie de 39 mois, mais l’association d’un anti-PD1 (nivolumab) à l’ipilimumab a permis d’obtenir une survie médiane de 72 mois (versus 37 avec le nivolumab seul et 20 avec l’ipilimumab). À noter toutefois, une efficacité moindre dans les métastases hépatiques. Dans le mélanome métastatique avec mutation BRAF, la combinaison inhibiteur de BRAF + inhibiteur MEK a montré sa supériorité par rapport aux mêmes molécules en monothérapie.
Une récidive quasi automatique à l’arrêt des anti-BRAF
« Les inhibiteurs BRAF + MEK sont puissamment actifs mais leur effet s’épuise, tandis que les anti-PD1, moins rapidement efficaces, “rattrapent” leur retard sur la médiane de survie, explique le dermatologue. Aussi, on peut les arrêter chez les patients répondeurs, tandis qu’on observe pratiquement toujours une récidive à l’arrêt des anti-BRAF. » Des essais sont en cours sur des « triplettes » en cas de mutations BRAF, inhibiteurs de BRAF + MEK + anti-PD1.
Les métastases cérébrales (MC) sont connues pour leur très mauvais pronostic – médiane de survie au diagnostic de 9 mois entre 2010 et 2019 –, le pronostic étant d’autant moins bon qu’il existe d’autres atteintes métastatiques ou une atteinte leptoméningée. L’association anti-BRAF + MEK semble avoir un tropisme cérébral plus marqué que l’immunothérapie, et se révèle efficace y compris chez des patients ayant déjà reçu des anti-BRAF/MEK. La combinaison immunothérapie ou thérapie ciblée à la radiothérapie se montre supérieure à la radiothérapie seule chez les patients ayant un mélanome avec MC.
En bref…
Teigne, quelles alternatives à la griséofulvine chez l’enfant ? Après l’arrêt de fabrication de la griséofulvine, seul traitement systémique ayant l’AMM en pédiatrie pour la teigne, les experts proposent, après un prélèvement systématique, chez l’enfant pesant plus de 10 kg, un traitement probabiliste par terbinafine per os ou, en cas d’examen direct positif immédiat en faveur d’un microsporum, un traitement d’emblée par itraconazole avec réévaluation à 4 semaines (https://centredepreuves.sfdermato.org/#hot-topics).
Urticaire, pas de corticoïdes en aigu Les corticoïdes systémiques n’ont pas d’indication dans l’urticaire aiguë, d’une part en raison du risque de rebond à l’arrêt du traitement, et d’autre part parce qu’ils exposent au risque de passage à la chronicité. Ils n’ont jamais fait leurs preuves non plus dans l’urticaire chronique.
Antioxydants et photoprotection, tout dépend du sexe ! Dans l’étude Suvimax, la supplémentation en antioxydants est associée à une diminution des cancers cutanés (basocellulaires en particulier) chez les hommes mais à une augmentation chez les femmes. La supplémentation au long cours est donc déconseillée chez les femmes ayant une alimentation équilibrée et des antécédents de surexposition au soleil.
Sérologie sans ordonnance, autotest : des outils efficaces pour améliorer le dépistage du VIH
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP