Le directeur général de l’ARS Grand Est a été relevé de ses fonctions par le Conseil des ministres du 8 avril. La raison ? Elle est dérisoire : au cours d’un point presse, le directeur de l’ARS évoque pendant de longues minutes la crise du Covid, dans laquelle l’ARS Grand-Est est en toute première ligne. Puis une journaliste l’interroge sur le plan de restructuration du CHU de Nancy prévu de longue date. Le directeur général a simplement répondu qu’il n’y avait pas lieu, à ce stade, d’abandonner le processus.
Sur la base d’une collusion medico-politique, vieil usage nancéen, la machine mediato-politico-administrative s’est vite emballée avec pour résultat quasi-immédiat un limogeage, un remplacement et une annonce ministérielle de la suspension de toute opération de restructuration dans l’attente d’un grand débat, préalable au plan d’investissement pour l’hôpital annoncé le 26 mars à Metz par le président de la République.
Examinons cet épisode à l’aune de trois prismes : personnel, le CHU de Nancy, et l’avenir de l’hôpital.
Sur le plan personnel, Victoire, dira la majorité ! Enfin, un technocrate insensible et déconnecté a le traitement qu’il mérite ! Certes, un directeur général d’ARS est nommé en Conseil des ministres et la règle est qu’il puisse être dénommé chaque mercredi. Certes, il a commis, en l’espèce une grave erreur de communication : la seule réponse possible était l’esquive ou le silence. Néanmoins, en limogeant le directeur général de l’ARS Grand Est, quel signal envoie-t-on à ses équipes, au front depuis un mois et demi ? J’ai souvent plaidé pour un casting de hauts responsables en santé qui aient du répondant, voire du courage : ce geste ne risque-t-il pas d’encourager le conformisme, voire la veulerie ?
Je précise ici que j’entretiens de liens amicaux avec Christophe Lannelongue depuis près de 25 ans, ainsi qu’avec sa successeure désignée ; mon appréciation se veut indépendante de mes sentiments.
Sur le plan du CHU de Nancy : cet établissement, qui se situe dans les dix plus importants hôpitaux universitaires de France, connaît des difficultés budgétaires depuis un quart de siècle, à ce jour non résolues malgré une succession de plans de retour à l’équilibre. Certaines des raisons ont été depuis longtemps identifiées : un CHU relativement surdimensionné si on le rapporte à la taille de l’ancienne région Lorraine, une concurrence au niveau régional avec le CHR de Metz, une inadéquation de l’organisation géographique de l’offre (un chapelet d’hôpitaux de court séjour aux alentours immédiats contrastant avec une relative absence de soins de suite), une organisation interne à l’agglomération nancéienne ubuesque (jusqu’en 2017 le CHU de Nancy était le seul CHU de France dépourvu de maternité/une partie de l’orthopédie publique est encore traitée en dehors de l’enceinte du CHU), une dispersion invraisemblable des bâtiments hospitaliers (6 sites encore en 2008) ; à ces raisons qu’on peut qualifier de structurelles s’ajoutent des spécificités profondément ancrées ; plus qu’ailleurs, le CHU est un instrument politique local avant d’être un établissement de santé : l’épisode récent montre que malgré un changement de génération des édiles, les mœurs restent les mêmes ; plus qu’ailleurs, un accord implicite entre l’élite médicale et les organisations syndicales se fait sur l’axiome : la santé n’a pas de prix. Un très bon connaisseur du système hospitalier français ne me disait-il pas que seule la situation de l’AP-HM (Marseille) était comparable à celle de Nancy ! Alors oui, Covid ou pas, et nonobstant le profond respect que j’éprouve pour des équipes hospitalières au front de la guerre sanitaire, oui, trois fois oui, le CHU de Nancy devra continuer à être restructuré, comme il était prévu.
Je me dois de préciser ici que j’ai dirigé le CHU de Nancy d’octobre 2003 à avril 2008 après avoir créé et dirigé l’ARH des Pays de la Loire de septembre 1996 à octobre 2003.
Sur le plan de l’avenir de l’hôpital, la crainte que j’éprouve vivement est que la seule solution qui semblerait se dessiner consiste dans une injection massive de crédits supplémentaires pour l’hôpital public. J’ai déjà, à de multiples reprises, plaidé pour les réformes en profondeur nécessaires : la primauté de la prévention/la liberté donnée aux hôpitaux de quitter le giron de la fonction publique hospitalière/l’abandon par le Ministère et les ARS de la gestion des hôpitaux pour adopter une vraie posture de régulateur/l’adoption d’un statut unique du médecin qu’il exerce en ville ou à l’hôpital/une régionalisation réelle et politique de l’organisation de l’offre de soins/un choix à faire entre la Cnam et le ministère de la Santé pour être le grand argentier du système.
Mais l’épisode du CHU de Nancy au sein de la crise sanitaire me conforte sur la leçon majeure à tirer : L’hôpital a fait la preuve de sa résilience et de sa capacité à s’adapter pour peu que l’on fasse appel à tous les établissements de santé, quels que soient leurs statuts, et à la médecine de ville. Ce n’est donc pas de plus d’hospitalo-centrisme dont on a besoin, c’est d’une juste posture de chacun des acteurs institutionnels : un État garant et régulateur et non gérant ; des organisations régionales de l’offre de soins adaptées à l’histoire et à la géographie ; des établissements de santé gouvernés de façon responsable, économiquement et médicalement, et non statutairement.
Quant aux moyens supplémentaires à injecter dans le système de santé, réservons les exclusivement à – nettement- mieux payer les soignants, de l’aide-soignante aux médecins, et les professions du médico-social. Mais ceci n’est pas une politique de santé, c’est un projet de société, de solidarité.
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