Le 31 mai, lors du congrès de la Société internationale de transfusion sanguine, l’Établissement français du sang (EFS) a présenté des travaux de recherche qui ont permis la reconnaissance officielle d’un 48e système de groupe sanguin, dénommé PIGZ. Il est associé à un nouveau groupe sanguin ultra-rare nommé « Gwada négatif », retrouvé pour l’instant chez une femme guadeloupéenne seulement.
Les 48 systèmes de groupe sanguin (tels ABO, Rhésus D, Kell, etc.) ne représentent qu’une infime partie de ce qu’est notre « groupe sanguin ». Au sein de chaque système, on recense un nombre variable d’antigènes. Quelque 398 antigènes sont connus chez l’humain, dont près de la moitié sont présents chez quasiment tout le monde. Si l’un d’entre eux est négatif, cela caractérise un groupe sanguin rare.
« La majorité des découvertes de nouveaux systèmes est fortuite », explique Thierry Peyrard, responsable de la qualité et de la sécurité des produits sanguins à l’EFS et directeur de recherche à l’unité mixte de recherche (UMR) Biologie intégrée du globule rouge (Inserm/université Paris-Cité/université des Antilles/EFS). Pour le groupe Gwada négatif, la recherche d’anticorps irréguliers (RAI) a révélé l’anticorps chez la porteuse dès 2011 mais sans qu’il soit précisément identifié. Avec l’arrivée des techniques de Next-Generation Sequencing, l’EFS a repris l’analyse du cas en 2019 et, après séquençage complet de l’ADN de la patiente, a pu caractériser une mutation responsable de ce groupe sanguin sur le gène PIGZ.
Groupes sanguins ultra-rares : déjouer l’incompatibilité
La découverte d’un système de groupe sanguin est « un moment phare en médecine transfusionnelle, surtout lorsqu’un phénotype clinique est associé à un groupe rare sous-jacent », indique Thierry Peyrard. Si le signal émis par la RAI est la première étape, la caractérisation de l’anticorps est primordiale pour déterminer les sangs compatibles. « Contrairement à une idée reçue, le groupe sanguin O Rh D négatif n’est pas du tout universel, il n’est caractérisé que par deux systèmes. Un vrai donneur universel ne peut pas exister », précise-t-il. Pour le groupe Gwada négatif, « en connaissant sa signature moléculaire, nous pouvons le chercher chez les donneurs, surtout en Guadeloupe », se réjouit-il.
Contrairement à une idée reçue, le groupe sanguin O négatif n’est pas universel
Thierry Peyrard, responsable de la qualité et de la sécurité des produits sanguins à l’EFS
Pour ces groupes rares, le monde de la recherche planche sur des alternatives. « Des travaux visent à camoufler les antigènes de surface de l’hématie pour la rendre universelle mais, pour le moment, les résultats sont peu probants », explique le chercheur. L’UMR Biologie intégrée du globule rouge étudie l’édition génomique de cellules souches hématopoïétiques afin de générer du sang rare in vitro. Il révèle : « Ce n’est pas de la science-fiction mais, pour l’heure, nous ne sommes capables de produire que quelques millilitres de réticulocytes. »
Quant au sang artificiel, « bien des sociétés se sont ruées sur ce sujet et ont subi des échecs flamboyants. Nous n’avons encore jamais fait mieux que les érythrocytes pour le transport de l’oxygène et la correction de l’anémie. »
Des débouchés jusqu’en recherche fondamentale
« Pour cette caractérisation du groupe Gwada négatif, nous avons collaboré avec le Japon qui avait étudié le gène PIGZ chez la souris et les champignons Aspergillus. Nous pensions qu’il n’avait aucun rôle chez l’humain. Notre découverte rompt ce dogme et pose de nombreuses questions », dévoile Thierry Peyrard. Le gène PIGZ étant fortement exprimé dans l’intestin et le cerveau, on peut se demander s’il y a un effet particulier en cas de déficience et, le cas échéant, s’il existe des voies alternatives.
Autre exemple, le système Augustine (AUG) découvert en 2015, pour lequel un groupe rare avait été mis en évidence au sein d’une fratrie qui souffrait de calcifications articulaires, sans diagnostic précis. La découverte de leur groupe sanguin a fait la lumière après des années d’errance médicale : la protéine manquante à la surface de leurs hématies, mais aussi d’autres cellules, joue un rôle dans le métabolisme phosphocalcique.
La découverte de nouveaux systèmes de groupes sanguins rares permet d’améliorer l’accès aux transfusions mais ouvre aussi de vastes pans de recherche appliquée et fondamentale. « Certains de ces groupes rares sont ce que l’on appelle des phénotypes nuls : les patients n’expriment pas le gène en question. En recherche préclinique, l’invalidation de gènes (knock-out) chez des souris est utile mais ne remplace pas l’humain. Ces “knock-out naturels” ouvrent de nombreuses perspectives », conclut Thierry Peyrard.
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