LE QUOTIDIEN – Qui siège à votre comité et comment travaille-t-il ?
JEAN-PIERRE FOURCADE – Notre comité reflète la composition idéale d’un conseil de surveillance avec ses trois collèges : des élus, des représentants du personnel médical et non médical, et des personnalités qualifiées intégrants des représentants des usagers. Ensemble, nous avons reçu dans un premier temps les responsables institutionnels du monde de la santé, en débutant par Jean-Marie Bertrand, chef d’orchestre de la mise en place des ARS, et les trois directions centrales : la direction générale de l’offre de soins, celle de la cohésion sociale et la direction de la Sécurité sociale. Puis nous avons auditionné de nombreuses organisations telles que des représentants du mouvement mutualiste, les fédérations hospitalières, l’assurance-maladie, la CNSA [caisse nationale de solidarité pour l’autonomie], l’hospitalisation à domicile, les maisons de santé, les usagers, les écoles de formation des dirigeants hospitaliers et directeurs de caisses, et enfin l’ANAP [Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé] et l’ASIP [Agence des systèmes d’information partagés de santé] mises en place par la loi.
Nous recevrons les grandes organisations syndicales et les conférences à l’issue de nos visites en régions, ce qui nous permettra d’évaluer réellement l’impact de cette réforme majeure sur le terrain et d’en débattre ensuite avec les organisations nationales représentatives. Nous insisterons sur les relations entre le sanitaire et le médico-social compte tenu des inquiétudes largement exprimées par les représentants de ce second secteur pour la réelle prise en compte de leur mission dans la stratégie des ARS [agences régionales de santé].
Bref, pas moins d’une centaine de personnes ont répondu à notre invitation au travers d’une trentaine d’auditions menées depuis quatre mois.
Tous les acteurs vous semblent-ils prêts à jouer le jeu ?
Tout le monde voit un intérêt à cette réforme ; son appropriation par les acteurs est évidente. En écoutant certains représentants de médecins ou responsables d’hôpitaux, j’estime même que la fameuse querelle médecins-directeurs est maintenant derrière nous. Ces conflits sont d’ailleurs d’un autre âge.
Il nous appartient plutôt de voir comment les choses s’organisent sur le terrain. Ainsi la synergie très attendue entre le monde sanitaire et médico-social sera-t-elle une réalité ? À quoi aboutit le rapprochement entre les acteurs de l’État et ceux de la Sécurité sociale ? Nos auditions des représentants de la CNAMTS [Caisse nationale d’assurance-maladie], du RSI [Régime social des indépendants] et de la MSA [Mutualité sociale agricole] nous laissent perplexes. Seuls 10 médecins parmi les 100 dont dispose le RSI ont rejoint les ARS, et la proportion à la CNAMTS en est proche. À mon avis la Sécurité sociale est pour le moment dans l’expectative, et ne paraît pas beaucoup croire à ce regroupement des responsabilités. D’anciens directeurs de la Sécurité sociale nous ont même expliqué que les caisses allaient sans doute trouver le moyen de contourner le dispositif. Ce sont des signes inquiétants.
Qu’avez-vous déjà observé sur la mise œuvre de la nouvelle gouvernance à l’hôpital ?
Le ministère de la Santé a peut-être un peu tendance à effacer le rôle essentiel des conseils de surveillance. C’est un vieux débat : le bien-fondé du rôle des maires dans les conseils d’administration a fait couler beaucoup d’encre car, selon certains, les intérêts locaux l’emporteraient parfois sur l’intérêt général. Ce n’est pas ma conviction, mais notre comité va scruter précisément la mise en place des conseils de surveillance. À qui vont-ils décider d’en confier la présidence ? Aux élus, ou bien à des personnalités qualifiées comme la loi le permet ? La composition des directoires nous intéresse tout autant. À sept ou neuf membres, cela n’est-il pas trop pour garantir un pilotage efficace ? Dans le monde de l’entreprise, ce type d’instance ne dépasse pas cinq personnes même si je sais que ce n’est pas comparable. Dans cette nouvelle gouvernance, comment vont s’articuler les pôles avec les directoires et la CME [commission médicale d’établissement] ? Auront-ils une vraie délégation de gestion avec la responsabilité qui va avec ? Telles sont rapidement les questions auxquelles nous nous intéressons.
Quel regard portez-vous sur la récente installation des ARS ?
Je suis un peu septique, car j’ai l’impression que pour le moment leurs responsables sont souvent appelés à Paris, en séminaire ou pas, pour recevoir leurs très nombreuses directives, au détriment de l’action sur le terrain. Je pensais que cette période de préparation était réservée à la préfiguration. Par ailleurs, les risques d’une bureaucratisation régionale nous apparaissent réels. Ainsi, nous savons que l’ARS d’Île-de-France devrait regrouper 1 200 personnes, celle de Picardie 300 et que l’Aquitaine en concentrera près de 1 000. Le recrutement de leurs personnels est très surveillé par le ministère. Nous regarderons ceci de près non pas pour évaluer la mise en place des ARS, ce n’est pas notre mission, mais pour en mesurer l’impact sur l’efficience de la réforme. Les responsabilités des ARS sont lourdes. Nous le savons. Il faut qu’ils aient les moyens de leurs ambitions, par exemple en disposant de l’ensemble des moyens financiers mis à leur disposition pour mener à bien leur politique par la fongibilité des enveloppes. Il nous semble important de savoir comment les ARS s’impliqueront dans la nomination des directeurs d’établissement, quelle sera leur dynamique dans la préparation des différents schémas régionaux d’organisation. Or, la loi leur a donné des délais très courts pour les réaliser. Dans de nombreuses régions, des élus, des directeurs d’hôpitaux, des présidents de CME avaient déjà commencé à préparer des communautés hospitalières de territoire intéressantes. De nombreux GCS [groupements de coopération sanitaire] préexistaient. Face à ce mouvement, en réalité important, les ARS vont-elles marquer une rupture au risque de démobiliser les acteurs, comme cela m’a déjà été signalé dans une région, ou au contraire s’appuyer sur ce mouvement pour l’amplifier et l’améliorer ? Autant de sujets qui nous intéressent.
Comment allez-vous procéder désormais ?
Nous avons cédé à la manie du questionnaire. Nous allons choisir cinq régions plus un DOM auxquelles nous demanderons des réponses concrètes et surtout qualitatives sur la mise en place de la gouvernance, les premières actions en matière de coopération, les rapports des établissements hospitaliers avec la médecine de ville, le secteur médico-social… La région Picardie est l’une d’entre elles. Mais, honnêtement je ne vois pas comment à court terme on va pouvoir organiser l’offre de soins dans sa totalité, avec les difficultés rencontrées aujourd’hui avec les médecins libéraux. Le dossier de la vaccination antigrippale de l’an dernier a créé me semble-t-il quelques fossés qu’il sera difficile de combler, et auxquels il est nécessaire de s’atteler. Pour l’heure, le comité va clore son festival d’auditions en recevant début juillet les Assistances publiques de Paris et de Marseille ainsi que les Hospices Civils de Lyon en raison de leur spécificité.
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