LE QUOTIDIEN - Comment devient-on ministre de la Santé en Russie ?
PR VERONIKA SKVORTSOVA - Mon parcours n’est pas typique. J’ai été le plus jeune professeur de neurologie de Russie, à 32 ans, en 1993. Depuis 2001, je dirige la fédération mondiale de l’AVC. Mon entrée en politique remonte à 2005 : j’ai piloté un programme national de lutte contre les pathologies vasculaires, la première cause de mortalité en Russie. C’est un problème très difficile à gérer compte tenu de l’énormité du territoire et de la densité irrégulière de la population. J’ai été nommée vice-ministre de la Santé en 2008, et ministre de la Santé en 2012, par le président de la Fédération de Russie, Monsieur Vladimir Poutine.
Quels sont les principaux axes de coopération en santé entre la Russie et la France ?
La prévention et la formation des médecins, en pleine refonte en Russie. Nous allons organiser des échanges d’enseignants et d’étudiants. Pour actualiser ses programmes de formation, la Russie compare des universités étrangères : Edimbourg, Harvard, La Sorbonne... Notre objectif est d’équiper toutes les facultés de médecine de Russie d’ateliers de simulation d’ici à la fin 2013. Nous développons en parallèle des blocs opératoires expérimentaux, ainsi que la formation à distance. Les 620 000 médecins russes ont étudié 7 ans au minimum. La Russie distingue 104 spécialités médicales.
Deux filières d’études médicales, l’une publique, l’autre privée, cohabitent en Russie. Sont-elles de même niveau ? Certains praticiens ont-ils « acheté » le droit d’exercer ?
Ce qui importe, c’est que les critères d’évaluation des futurs médecins soient identiques, quelle que soit l’université. Nous sommes en train de mettre au point ces critères. Nous pourrons fermer les facultés ne correspondant pas au niveau requis. En 2016, une accréditation individuelle sera instaurée, qui énumérera les pratiques auxquelles chaque praticien aura accès. Ce document devra être validé tous les cinq ans.
Est-ce par ce biais que la Russie compte améliorer la qualité de ses soins ?
Oui. Et par la mise en place de standards médicoéconomiques.
Autre axe de coopération, la politique du médicament. La France traverse plusieurs scandales sanitaires - Mediator, Diane 35... En quoi est-elle un modèle intéressant pour la Russie ?
C’est plutôt la Russie qui peut servir de modèle à la France ! Nous en avons parlé lors des assises. Sur le marché russe aujourd’hui, il y a moins de 0,1 % de médicaments falsifiés (sans principe actif). Des médicaments contrefaits circulent également, comme partout dans le monde. C’est un fléau international. Un pays isolé ne peut combattre ce problème, c’est pourquoi la Russie a été à l’origine de la convention Medicrime** signée à Moscou l’année dernière. Nous avons eu le courage de renforcer le contrôle des médicaments, notre système est devenu efficace. Nous sommes prêts à proposer à la France tout un ensemble de mesures : validation du médicament, vérification de sa conformité à l’étalon, contrôle de la qualité et des bonnes pratiques médicales. Nous en avons parlé à l’ANSM et aux industriels français présents en Russie.
La Russie est-elle à l’abri d’un scandale Mediator ?
Ce serait peut-être trop que d’affirmer cela. Mais la Russie est en mesure de pouvoir prévenir une telle situation. Notre rôle est de réduire au minimum les risques.
Un autre débat agite la France : la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels, et la gestation pour autrui. La Russie est-elle pour ou contre ?
Une loi récente autorise la gestation pour autrui pour les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants naturellement. Cette loi décrit le contrat reliant les parents biologiques et la mère porteuse. La procréation médicalement assistée n’est pas autorisée pour les couples de même sexe. Un des axes majeurs de notre pays est de renforcer la famille traditionnelle, quoi qu’il n’existe pas d’obstacles pour les couples homosexuels.
Le premier chantier de Marisol Touraine, nommée comme vous en mai 2012, vise à encadrer les dépassements d’honoraires. En Russie, les soins sont gratuits, mais les paiements informels perdurent. Avez-vous les moyens d’abolir cette pratique ?
Les paiements informels sont déjà interdits par la loi. Le seul moyen de les supprimer, c’est d’injecter de l’argent dans la santé publique : le budget s’est accru de plus de dix fois au cours des dix dernières années. Le salaire des médecins ne peut exister séparément du financement des soins. Depuis 2012, ce financement est réparti de façon équitable sur tout le territoire, et pour tous les citoyens. Un médecin russe gagne en moyenne 32 300 roubles par mois (791 euros).
En France, les médecins n’hésitent pas à s’opposer au pouvoir en place et à manifester dans la rue. À quand remonte la dernière manifestation des médecins russes ? Vont-ils obtenir le droit de créer un conseil de l’ordre ?
Nous n’avons pas connu de grande manifestation de médecins. Nous essayons de les prévenir ! La communauté médicale russe commence à se structurer autour d’un noyau dur composé de spécialistes et d’experts. Notre objectif est de former une communauté unie et intègre. Les médecins russes pourront créer un conseil de l’ordre, bien sûr, mais ce ne sera pas demain. D’ici à 2015 ou 2016 paraît un délai réaliste.
* voir notre reportage publié fin 2011
** Informations sur le site du Conseil de l’Europe www.coe.int/t/dghl/standardsetting/medicrime/default_fr.asp
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