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Dossier

Enquête sur la nouvelle effervescence parlementaire

Les députés de plus en plus branchés santé

Publié le 23/04/2018
Les députés de plus en plus branchés santé

Delphine Batho
S TOUBON

« Si on fait les comptes des interventions, estime Anne Beinier, la conseillère parlementaire d’Agnès Buzyn, la santé est devenue le sujet numéro 1 à l’Assemblée. » Les statistiques du Palais Bourbon le confirment, avec depuis les dernières législatives un total de 2 343 questions, 1 769 amendements, 123 propositions de loi, 221 rapports. Le compteur enregistre un total de 5 171 items autour du mot-clé santé. Deux fois plus que lors de la précédente législature, qui elle-même marquait un doublement sur celle d’avant.

Les députés interrogés par le Quotidien confirment cette envolée. Et ils l’expliquent parce qu’ils font tout bonnement leur travail. « Sur le terrain de nos circonscriptions, constate Jean-Carles Grelier (LR), nous sommes interpellés par une demande colossale de nos électeurs qui sont inquiets, avec les fermetures de services hospitaliers, la désertification, les scandales alimentaires et environnementaux. Nous nous devons de les relayer. » « Dans le contexte des hôpitaux et des EHPAD, avec tous les problèmes de santé publique, les sujets santé sont devenus les plus concernants, confirme Olivier Véran (REM), rapporteur général de la Commission des affaires sociales, et c’est logique que les élus s’en fassent l’écho ». « N’oubliez pas qu’avec 500 milliards pour la Sécurité sociale, ajoute Philippe Vigier (UDI) nous avons à contrôler un budget supérieur à celui de l’État, alors que sur bien des sujets, la situation actuelle est catastrophique. Les gens ne nous parlent plus que de ça ! » « Les médias contribuent à un effet d’entraînement auprès du grand public en agitant constamment les peurs sanitaires et médicales, relève encore Jean-Pierre Door (LR). Comment voulez-vous que les élus échappent à une telle effervescence ? »

Bruit de fond et manchettes

Cet engagement des députés revêt des échos divers, qui vont du bruit de fond reproduit en quelques lignes du Journal Officiel aux initiatives plus ou moins retentissantes qui prennent la lumière et peuvent faire les manchettes des journaux. Par exemple, Philippe Vigier a fait l’événement en obtenant la création d’une commission d’enquêtes sur l’égalité d’accès aux soins, dont il a pris la présidence en février, pour mobiliser contre la désertification médicale. Un sujet sur lequel s’était illustré aussi Guillaume Peltier (LR), avec une proposition de loi visant à restreindre la liberté d’installation des jeunes médecins. « La désertification n’est plus tenable selon le député UDI, qui dénonce « un véritable maquis de mesures prises dans tous les sens et incapables d’enrayer le phénomène de dégradation. » Même son de cloche – ou de tocsin – chez Jean-Carles Grelier (LR) qui lui a choisi de faire avancer le sujet, voire de doubler les initiatives gouvernementales annoncées, en publiant un livre blanc de 28 propositions « pour la santé de demain », un livre blanc à partir duquel, annonce-t-il au Quotidien, il est en train de rédiger une proposition de loi. « Avec l’espoir que cette PPL soit inscrite à l’ordre du jour avant l’été ou à l’automne, car la demande est colossale et on ne peut plus attendre avec une majorité qui bloque tout et une ministre qui dit et ne fait pas. »

D’autres députés aiguillonnent le gouvernement en lançant et en relayant des alertes. Après Benoît Hamon qui avait tenté sans succès en 2016 de faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, c’est François Rufin (La France insoumise), qui prend des accents de Zola pour défendre les « cramés du boulot », avec une PPL qui ne connaîtra pas un meilleur sort, retoquée en février. Toujours dans le rôle des relayeurs d’alerte sanitaire, l’ancienne ministre de l’Environnement Delphine Batho (Nouvelle Gauche), après avoir bataillé sur des questions sanitaires émergentes (Dépakine, bisphénol…) s’est attaquée au glyphosate. « J’ai claqué la porte le mois dernier de la vice-présidence de la mission d’information sur les phytosanitaires, car face à un ministre debout sur les freins, reconnaît-elle, je n’ai pas réussi à faire bouger une majorité qui s’en tenait à un tissu de lieux communs. »

« L’affaire Lévothyrox lamentablement traitée ».

La commission d’enquête sur l’affaire du lait infantile Lactalis contaminé aux salmonelles fera-t-elle mieux ? « Nous serons intransigeants, justes et sévères, promet son président, Christian Hutin (Nouvelle Gauche). Nous ne lâcherons rien. » « On s’agite beaucoup, mais au final, déplore l’ex-député (PS) Gérard Bapt (PS), souvent sans résultat. Voyez l’affaire du Lévothyrox, lamentablement traitée par la mission flash de Jean-Pierre Door comme une simple crise médiatique, sans entendre la souffrance des dizaines de milliers de patients ». Serial lanceur d’alerte au long de plusieurs mandats, le député-médecin de Toulouse s’est illustré sur tous les fronts de la santé publique, du Mediator au bisphénol A, jusqu’à l’insecticide Cruiser. « J’ai travaillé comme un fou contre les gouvernements qui fuyaient leurs responsabilités et on me l’a fait payer », constate-t-il aujourd’hui, le cœur lourd comme la camionnette chargée de tous ses dossiers quand il a dû quitter le Palais Bourbon en juin dernier.

Alertes sanitaires, éthique et pathologies

Mais les francs-tireurs ne relâchent pas la pression. Ils relayent les alertes : plan de lutte contre la maladie de Lyme (proposition de loi de Bérengère Poletti, LR), mannequins anorexiques (amendements déposés par Olivier Véran, REM), autisme (proposition de Daniel Fasquelle, LR, pour interdire la prise en charge psychanalytique). Les questions éthiques ne sont pas oubliées : proposition de La France Insoumise sur le suicide assisté, proposition de loi de Caroline Fiat, LFI, sur la fin de vie digne, table-ronde sur l’accompagnement des personnes en fin de vie de la Commission des affaires sociales, interpellation de la ministre par Olivier Falorni (« Aurez-vous, madame la ministre, sur la fin de vie le courage de Simone Veil sur l’IVG ? »)…

La très grande majorité des députés s’impliquent sur les sujets santé sans capter l’attention médiatique. Par milliers, les questions écrites s’accumulent dans les colonnes du JO. Du myélome multiple à la DMLA, du diabète aux chenilles urticantes, de l’hépatite C à l’obésité infantile, des enfants dys à la maladie d’alzheimer, de la SEP aux AVC, de la trisomie à la cataracte, des rayons UV aux répulsifs ultra-son, c’est un manuel de pathologie et de clinique médicale qu’actualisent en continu les députés, infatigables relais de leurs électeurs et aussi des associations de patients et autres groupes de pression.

Christian Georges