LA THÉORIE de l’évolution n’en finit pas de faire des petits. Le terme « Darwinian Medicine », traduit en français par « médecine évolutive », apparaît pour la première fois en 1991 dans un article du Dr Randolph Nesse, psychiatre à l’université de Michigan, et George Williams, biologiste de l’évolution à l’université de New York. Mais c’est la sortie de leur livre, « Why we get sick : the new science of darwinian medicine » (« Pourquoi nous tombons malades : la nouvelle science de la médecine évolutive »), en 1995, qui fait connaître cette nouvelle approche des causes évolutives des maladies et des symptômes*.
En2006, dans la revue « Science », Nesse récidive, avec un appel signé par deux autres scientifiques pour la reconnaissance de la biologie évolutive parmi les sciences médicales. « Notre organisme est le résultat de compromis évolutif. Le but de la médecine est d’assurer notre bien-être et notre longévité. Tandis que c’est la valeur sélective qui a été optimisée pour assurer survie et reproduction », explique Michel Raymond, chercheur en biologie évolutive à l’institut des sciences de l’évolution de Montpellier (CNRS-Université de Montpellier), l’un des rares Français à s’intéresser à ce sujet. Il aborde la médecine évolutive dans son livre « Cro-Magnon toi-même »** et donne de nombreux exemples. Ainsi, la toux, la fièvre et la diarrhée sont les réponses de la sélection naturelle à l’infection. Savoir quand les stopper nécessite de comprendre comment la sélection a mis en place les systèmes qui régulent les défenses de l’organisme. Mais le savoir médical n’est pas encore assez fin pour prescrire le maintien ou la suppression de la fièvre selon le type de pathogène.
Réponse adaptative.
Autre exemple, la baisse du fer plasmatique chez la femme enceinte, qui est naturellement immunodéprimée, est interprétée comme une déficience et non comme une réponse adaptative de protection contre les agents pathogènes. De même, la rareté du fer dans le lait maternel serait une adaptation contre les risques d’infections intestinales des nourrissons et les lactoferrines sont fortement assimilables. C’est lorsqu’on passe à des aliments extérieurs et au lait de vache que le bébé risque de se trouver anémie.
Plus généralement, les différences génétiques (et pas seulement le polymorphisme) sont telles entre groupes humains que les pratiques médicamenteuses doivent parfois être ethniquement adaptées. Le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ne doit pas être le même pour un Occidental que pour un Chinois, du fait de différences au niveau du locus TYMS. Diminuer la consommation de graisses saturées et augmenter les insaturées en cas de cholestérol n’est pas toujours un bon conseil : notamment chez les femmes présentant un variant d’une aloprotéine E (le phénotype Apo3/2).
Notons aussi que si une Anglaise et une Indienne en début de grossesse échangent leur place, l’Anglaise va manquer de protection contre les UV. Le folate circulant dans son sang va être dégradé par la lumière ; or, le ftus en a besoin. L’Indienne sera au contraire surprotégée et la vitamine D3 produite par photolyse va manquer à l’embryon. Il va falloir supplémenter l’une en folate et l’autre en vitamine D3 alors qu’elles n’en auraient pas eu besoin dans leurs environnements respectifs. De même, l’introduction de l’élevage et des vaches laitières a sélectionné il y a 8 000 à 9 000 ans la présence de lactase active à l’âge adulte chez les éleveurs du Nord de l’Europe (Suède) ou de l’Afrique de l’est (Tutsis) lorsqu’ils se sont mis à consommer beaucoup de lait frais.
Michel Raymond est convaincu que de plus en plus de problèmes évolutifs vont se poser au médecin du fait des migrations et des changements alimentaires, dont on mesure déjà les conséquences : l’augmentation de la myopie est étroitement corrélée à l’augmentation de la consommation de sucres rapides. Que dire de l’accroissement des allergies, que l’on peut attribuer à un manque de contact avec les microbes lié à la stérilisation de la vie moderne ? Le mécanisme de défense sous-utilisé se déclencherait alors contre des signaux inappropriés comme un aliment ou un pollen. L’hypothèse parasitaire a suggéré un traitement contre la maladie de Crohn par ingestion de 2 500 ufs d’un vers intestinal du cochon toutes les trois semaines pendant six mois. Objectif : recréer un environnement favorable au plein fonctionnement du système immunitaire. Ce qui s’est révélé efficace. « Gageons que les prescriptions contenant des vers intestinaux ou d’autres extraits de parasites vont augmenter dans le futur », n’hésite pas à conclure Michel Raymond.
* www.evolutionandmedicine.org.
** « Cro-Magon toi-même. Petit guide darwinien de la vie quotidienne », Seuil, 17 euros.
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