DIX-SEPT cadavres de Chinois conservés grâce au procédé de plastination (imprégnation polymérique) et mis en scène dans des postures simulant le vivant. L’exposition « Our Body » prétendait présenter au public français un événement qui avait déjà conquis de nombreux visiteurs. « Depuis qu’elle existe, 3 millions d’Américains ont vu l’exposition, bientôt 300 000 Français l’auront vu. Et nous avons 95 % d’opinions favorables », se réjouissait, dans « le Quotidien » (29 mai 2008), le Dr Hervé Laurent, consultant scientifique et médical, lors de l’ouverture à Paris où, après Lyon et Marseille, était prévue une étape de six mois. Ce sera la dernière. L’action judiciaire engagée par deux associations, Ensemble contre la peine de peine de mort (EPCM) et Solidarité Chine, a connu son épilogue en fin de semaine dernière. La Cour de cassation a confirmé la décision de fermeture, prise en première instance et en appel par le tribunal de Paris, considérant que « l’exposition de cadavres à des fins commerciales » est contraire au Code civil, qui stipule, dans son article 16-1-1, que « les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence ». La France devient ainsi le premier pays à interdire ce type d’expositions utilisant la technique mise au point par Gunther von Hagens, le médecin allemand, anatomiste controversé, qui en mai dernier présentait encore en Allemagne une exposition de cadavres copulants.
Le corps... des autres.
L’arrêt de la Cour fait écho à un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), rendu en janvier 2010 mais publié jeudi dernier. Le comité avait déjà rendu un avis, ponctuel et spécifique, en 2008, à suite d’une saisine de la Cité des sciences de la Vilette. Sollicité notamment par des associations, il a décidé d’officialiser sa position dans un avis de portée plus générale, « sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale ».
Les deux rapporteurs, le Pr Jean-Claude Ameisen et le philosophe Pierre Le Coz, relèvent d’abord un paradoxe : « Notre société vit comme une transgression choquante la profanation des cimetières ou l’exhumation d’un mort, tout en acceptant l’exhibition de cadavres. » L’explication tient, selon eux, à « l’absence de proximité des cadavres exhibés, leur caractère lointain, sinon "exotique" ». Il s’agit en réalité d’une déshumanisation du corps des autres. « Nul n’imagine se rendre à une exposition où il retrouverait un proche aimé simulant une vie qu’il a désertée à jamais », souligne le CCNE, qui rappelle une des règles d’or de l’argumentation éthique : ne pas vouloir pour d’autres ce qu’on ne voudrait ni pour soi ni pour ses proches.
Le CCNE rejette l’argument de la transmission d’un savoir anatomique, souvent évoqué par les promoteurs de ce type de manifestation. Ces derniers expliquent qu’ils se bornent à étendre au grand public la présentation faite aux étudiants en médecine dans les salles de dissection. « Les médecins eux-mêmes ont de moins en moins recours à l’étude de cadavres, étant donné que leur formation (notamment celle des chirurgiens) fait plus fréquemment appel à des simulateurs qui sont plus efficaces », précise le comité d’éthique. À propos de la conservation de fœtus et d’enfants mort-nés dans des bocaux, ce dernier avait déjà en 2005, « sans que plus personne n’y prête attention », relève-t-il, souligné le « caractère périmé » de telles pratiques. « Ce qui se justifiait naguère à des fins de pédagogie médicale ne se justifie plus aujourd’hui au regard des progrès de l’imagerie et de la reconstitution des corps », poursuit-il.
Bien sûr, l’avis dénonce la dimension lucrative de ces expositions, qui malmène le principe de non-patrimonialité du corps, et constate que « les corps livrés à la vue des spectateurs font l’objet d’une présentation différente de celle qui s’adresse traditionnellement au public d’étudiants de médecine ». Ces morts présentés de façon « ludique » ou en position de copulation semblent être plutôt « la proie des désirs et des fantasmes des vivants » et leur consentement ne peut être rapproché du consentement des personnes ayant fait dont de leur corps à la science. Dans ce cadre, il s’agirait plutôt, selon le CCNE « d’un abus de pouvoir des vivants sur les morts ». « Il n’y a pas d’éthique sans consentement, note le comité dans ses conclusions, mais le consentement ne suffit pas à donner à une action sa légitimité éthique. »
L’escalade indéfinie.
Au-delà du champ médical et juridique, l’instance éthique estime que « c’est plus dans le désir de voir que dans le désir d’apprendre l’anatomie humaine que réside le ressort fondamental de ce type d’exposition ». Elle y voit une crise de la représentation marquée par l’impuissance dans laquelle se trouve la société actuelle de retranscrire la réalité en symboles. « L’escalade indéfinie dans la recherche du choc émotionnel est une perspective qui ne répond ni aux exigences de la science ni à celles de l’éthique », estime l’avis.
La régulation des pratiques en matière d’exposition des corps morts, doit, souligne le CCNE, concerner aussi bien les expositions privées que les expositions publiques. « Si l’utilisation des corps au motif d’un prélèvement d’organes ou d’une autopsie est indispensable et répond aux attentes sociales fortes et légitimes, en revanche, à quelque degré que ce soit, l’exhibition du corps d’un mort relève d’une tradition révolue », conclut-il.
Dans une deuxième partie, le CCNE élargit la réflexion aux collections anatomiques et pose la question de leur légitimité. « Les organisateurs d’exposition de cadavres se recommandent parfois d’une tradition historique de présentation de vestiges dans les musées nationaux afin de relativiser la portée transgressive de leur démarche », indique le comité. La conservation et l’exposition des vestiges humains dans les musées publics font aussi l’objet de controverse. Des demandes de restitution des vestiges humains, à l’exemple des têtes maories, sont de plus en plus fréquentes. Le CCNE estime qu’une réflexion collective doit être engagée, rendue nécessaire par l’évolution des mœurs et la demande des populations d’origine.
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