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Dossier

Face à l'épidémie, le secteur de la santé en alerte maximale

Covid-19 : la France est-elle prête ?

Par Marie Foult et Anne Bayle-Iniguez et Cyrille Dupuis et Loan Tranthimy - Publié le 02/03/2020
Covid-19 : la France est-elle prête ?


AFP

Plan ORSAN, cellules de crise, mobilisation de la filière ambulatoire, confinement, anticipation du risque de pénurie de médicaments : les autorités multiplient les mesures et  procédures pour endiguer et canaliser l'épidémie et organiser la réponse du système de santé français. Suffisant ?

Après Ebola en 2014 et la grippe en 2015, le gouvernement a déclenché le 13 février un nouveau plan ORSAN afin d'organiser la réponse du système de santé et des hôpitaux à une circulation active du coronavirus.

Quinze jours plus tôt, le comité d'urgence convoqué par l'OMS avait estimé que l’épidémie de Covid-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale. Alors qu'une nouvelle étape de l'épidémie a été franchie en France vendredi (stade 2), notre système de santé est-il suffisamment armé et robuste pour y faire face ? Le ministère de la Santé a exhorté les professionnels de santé, hospitaliers, libéraux et du secteur médico-social, à être « pleinement mobilisés ». Décryptage d'une organisation sanitaire exceptionnelle. 

Hôpital : chambres spéciales, soignants confinés et circuits dédiés

Au premier étage de la prise en charge hospitalière, 38 établissements de référence habilités – dont les CHU –, sont sur le qui-vive, épaulés de cent hôpitaux en seconde ligne, également en alerte car susceptibles de prendre en charge des cas dits confirmés (quand un prélèvement biologique a validé la présence du virus). La distribution de masques chirurgicaux a commencé vendredi dernier.

Opérationnels 24H sur 24 et sept jours sur sept, les hôpitaux de niveau 1 possèdent des chambres d’isolement de haute sécurité en service de maladies infectieuses ou en réa, des capacités de diagnostics virologiques (laboratoire LSB3) et un gros plateau technique. Un infectiologue est dans les murs en permanence.

Les établissements de seconde intention disposent d’une unité d’infectiologie ou de lits isolés (chambre individuelle avec un renouvellement correct de l’air sans recyclage) sous la responsabilité d’un infectiologue sénior. Ils sont équipés d'un laboratoire de biologie médicale pour effectuer des prélèvements. Le diagnostic microbiologique est assuré par les 38 hôpitaux de référence. 

Dans les points de tension, l'ouverture de cellules de crise (par les ARS) a permis aux équipes de s'adapter rapidement. À Creil et Compiègne, 200 soignants hospitaliers – dont 15 médecins – sont confinés à domicile depuis mercredi dernier pour 14 jours. L'ARS Hauts-de-France a fermé le service de réanimation adultes et l’unité de soins continus jusqu'au 10 mars. Les deux hôpitaux ont déclenché le plan blanc pour rappeler du personnel. À Annecy, l'hôpital s'est réorganisé (lits libérés au sein du service infectiologie, transferts de patients) pour soigner un patient contaminé et éviter tout risque de propagation. L'ARS Occitanie a ouvert une cellule jeudi soir après un premier cas confirmé à Montpellier. 

Si la France passe au stade épidémique de niveau 3 (quand le virus circule largement dans la population), tous les secteurs de l’offre de soins devront activer des circuits courts ambulatoires de prise en charge avec maintien à domicile des patients peu symptomatiques, afin d'éviter la saturation des urgences et services hospitaliers. Les EHPAD seront « renforcés ». 

Côté SAMU-Centre 15, le plan ORSAN réclame la désignation d’un référent médical de crise et des forces supplémentaires pour répondre à une augmentation éventuelle de « 200 % » des appels. En fin de semaine, SAMU-Urgences de France enregistrait une hausse moyenne de 25 à 30 % des appels. « Les urgences sollicitent des externes supervisés, des paramédicaux et des généralistes régulateurs pour donner un coup de main. Ça se passe plutôt bien, d'autant que la grippe n'a pas sursaturé les services cette année », témoigne le Dr François Braun, président de SUdF. 

Médecine de ville : kits, fiches pratiques...et polémiques

En phase pré-épidémique, les médecins libéraux ont été invités à s'inscrire systématiquement à l'outil en ligne DGS-urgent pour recevoir les alertes sanitaires concernant l'évolution de la situation et les changements dans les conduites à tenir. Ils doivent aussi consulter le site Santé publique France pour consulter la carte sur la situation épidémiologique internationale et les zones à risques.  

Pour se protéger, les autorités recommandent aux soignants de s'équiper en conséquence – masques de type FFP2, blouses, solutions hydro-alcooliques, lunettes, thermomètre sans contact. Dès le début de cette semaine, les généralistes pourront se déplacer dans une pharmacie de proximité pour retirer un kit contentant des masques chirurgicaux avec un bon dématérialisé adressé par l'assurance-maladie. « C'est une première mesure de protection insuffisante, recadre le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Au moins, lors de l'épisode H1N1, Roselyne Bachelot avait envoyé aux cabinets des masques FFP2 ! » Même si des stocks stratégiques de masques ont été débloqués, la polémique a enflé sur le retard pris dans la distribution des protections les plus efficaces en médecine de ville.  

Côté informations, les libéraux, qui s'expriment largement sur les réseaux sociaux, réclament depuis plusieurs jours la mise à disposition de recos très pratiques portant notamment sur les mesures de protection et les consignes à donner à leurs patients. « Le malade revient de Milan. Que fait-on ? Doit-on faire la visite ? », s'interroge le Dr Claude Bronner, vice-président de la FMF. « Le 15 est embolisé. Que fait-on ? Comment gérer les demandes d'arrêts de travail des patients contacts ? », ajoute le Dr François Wilthien, vice-président de l'URPS-ML Ile-de-France. Sans noircir le tableau, plusieurs syndicats ont reproché à l'État son manque d'anticipation dans le soutien au secteur libéral très exposé. Vendredi soir, Olivier Véran a promis des recommandations de prise en charge pour la médecine de ville. 

Si la France passe au stade 3, l'ambulatoire sera « en première ligne », prévient Ségur. Mais là encore, « il y a peu de choses décrites pour l'organisation en ville » dans les documents à disposition des médecins, déplore le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Quels cas garder à domicile ? Comment organiser le suivi des patients contaminés isolés ?

Une réunion technique est prévue cette semaine, selon la CSMF. En attendant, chacun avance ses idées. Le syndicat Avenir Spé pousse pour un déploiement « massif » de la téléconsultation pour désengorger les urgences et les appels au 15. Plusieurs syndicats proposent des modules dédiés de formation. En Occitanie, les libéraux et l'ARS réfléchissent à la mise en place de sites de consultations séparés pour les cas suspects et hébergés en mairie.   

Médicaments : la dépendance à la Chine, point de fragilité

La question d'une éventuelle pénurie de médicaments indispensables hante enfin les esprits, de nombreux laboratoires étant très dépendants de la Chine pour leur production et la fabrication de principes actifs. En fin de semaine, le gouvernement assurait « qu'aucun problème d'accès aux médicaments n'a été signalé en relation avec l'épidémie de coronavirus en France ni en Europe ». Mais il reconnaissait que « des impacts sur la disponibilité de certains médicaments ne sont pas à exclure » si l'épidémie devait se prolonger.

Dans ce cadre, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a demandé aux industriels d'identifier les produits commercialisés en France « dont la fabrication ou toute ou partie est réalisée en Chine » et de prévenir le risque de pénurie. Vendredi en fin de soirée, l'ANSM ne constatait « aucune déclaration de tension ».

Un dossier de la rédaction