LE QUOTIDIEN : En décembre, l’OMS organisait une conférence autour de l’infodémie. Quel en était l’objectif ?
Dr SYLVIE BRIAND : L’infodémie est un défi observé à chaque épidémie. Elle est souvent réduite aux « fake news », mais elle se caractérise plutôt comme un flot d’informations que les populations reçoivent dans une période épidémique. Une surabondance qui fragilise la communication, pourtant essentielle face à une maladie transmise de personne à personne. Car rien n’est possible sans engagement de la population : chacun a un rôle à jouer dans la riposte et doit en être informé. Mais le trop-plein d’informations créé de la confusion.
Comme les virus, l’information se répand plus vite et plus loin que lors des siècles précédents. Le phénomène est aujourd’hui amplifié par les réseaux sociaux. Les gens ne savent plus qui croire et cela génère des comportements erratiques qui ne permettent pas de lutter contre la maladie. Lors de l’émergence d’Ebola, les rumeurs ont convaincu les communautés que les malades amenés dans les centres de soins étaient tués pour récupérer leurs organes et les envoyer dans d’autres pays. Les gens refusaient alors de venir dans les centres, restaient chez eux et contaminaient leurs familles. Lors de la pandémie actuelle, en Iran, des rumeurs ont répandu l’idée que le méthanol pouvait guérir le Covid. Or, c’est un poison et plus de 700 personnes sont mortes.
Des discours peuvent être clivants. Le risque de formes graves chez les sujets âgés a pu opposer les générations, cela ne favorise pas l’engagement. La confiance dans les gouvernements, les expertises et les scientifiques a été remise en cause. L'infodémie risque d'avoir un impact profond sur nos sociétés pendant de nombreuses années.
L’OMS tente de créer une nouvelle discipline, l’infodémiologie, afin d'analyser et de mesurer l’impact de nos interventions. Physiciens, mathématiciens, spécialistes des sciences sociales et des datas, épidémiologistes sont mis à contribution pour construire cette nouvelle approche.
Quels sont les ingrédients qui favorisent une infodémie ?
Dans toute épidémie, on retrouve deux éléments. La peur d’abord. Une stratégie de communication qui l'alimente est à double tranchant : cela peut dans un premier temps encourager certains comportements, mais à terme, l’effet peut être complètement contraire. Le second élément, c’est l’incertitude ; elle persiste longtemps car la connaissance de la maladie est progressive.
Ces deux ingrédients − qu’on ne retrouve pas dans d’autres crises comme lors d'un tremblement de terre − favorisent l’émergence de rumeurs qui fragilisent les populations et les rendent crédules et naïves parce que cela ne ressemble à rien de connu. C’est une vulnérabilité particulière à la désinformation qui demande la mise en œuvre de pare-feu. Un phénomène similaire peut se mettre en place avec la vaccination. S’il existe un fond chronique de méfiance et de réticence, les populations seront plus réceptives aux informations qui s’accrochent à des croyances préexistantes.
Comment les États peuvent-ils agir face à ce phénomène ?
La première chose, c’est d'avoir conscience du problème avant même l’apparition d’une épidémie. On invite d’ailleurs les États à inclure la communication dans leur préparation de crise. Ensuite, il est important d’avoir des porte-parole compétents et formés et d'adapter régulièrement le discours à la réalité quotidienne. En France, par exemple, la communication sur les masques a été maladroite : on a d'abord dit qu’ils ne servaient à rien puis qu’il fallait en porter partout. Il faut être prudent dans ce qui est exprimé et bien identifier l’information à faire passer. De manière générale, il est conseillé de communiquer sur la maladie, d'expliquer les interventions et de dire ce qu’on attend de chaque personne pour aider dans la riposte.
Aussi, la science évolue : il faut pouvoir traduire l’avancée scientifique avec des mots qui parlent aux gens, savoir dire qu’on ne sait pas et savoir parler de ce qui est en train de se passer. La cause est rarement abordée, mais les gens se demandent pourquoi ça leur arrive. Sans réponse, ils vont chercher des raisonnements, selon leur appétence. Cela doit être anticipé.
Les canaux de communication utilisés doivent avoir la confiance des gens. Pendant la crise de 2009, c’était le cas des soignants, notamment en France. Mais ailleurs, ce peut être les autorités religieuses. Pour les médias, leur rôle et leur responsabilité doivent être bien compris. Les débats entre chercheurs font partie de la démarche scientifique, mais doivent-ils être présentés au public ? Médiatiser les désaccords crée de la confusion et pénalise la gestion de crise.
Enfin, il faut engager les communautés dans la démarche. Chaque culture, chaque groupe de population a sa forme de communication à laquelle il faut adapter les messages. Il ne faut pas prendre pour acquis qu’un message correct scientifiquement sera interprété correctement. L’OMS travaille notamment avec les organisations de jeunes pour comprendre comment s’adresser à eux et sur quels supports.
L’OMS a d’ailleurs développé un outil pour comprendre les attentes des populations.
Tout à fait. Un outil a été développé pour améliorer l’écoute des populations et répondre aux questionnements au moment où ils émergent. Si on anticipe, cela génère de la peur, de l’anxiété. Si cela arrive trop tard, ce sera inutile. On a développé des outils sur Twitter pour mesurer l’intensité des conversations sur certains thèmes. Des moyens existent aussi pour analyser les ressentis de la population. Par exemple, parle-t-elle des vaccins avec méfiance, colère, inquiétude ou compréhension ? Des algorithmes aident à mieux comprendre et à calibrer la communication sur ce que la population attend. On travaille avec les États membres pour diffuser ces outils (traduction, adaptation culturelle du vocabulaire).
Des pays s’en sont-ils mieux sortis ?
Oui, et souvent parce qu’ils ont déjà connu une crise auparavant. En général, la deuxième fois, cela se passe mieux car des leçons ont été tirées. D’autres pays qui avaient pu négliger cet aspect au début ont fait des progrès sur leur communication au cours de la crise.
Le défi est de développer une approche systémique mais aussi flexible. C’est complexe, car souvent, soit il y a un plan qui est appliqué à la lettre et cela ne marche pas, soit rien n’est prêt, c’est chaotique et cela ne marche pas non plus. Un juste milieu est à trouver.
À titre personnel, je pense qu’il faut responsabiliser les gens. Lors de l’épidémie d’Ebola, les communautés qui se prenaient en charge stoppaient l’épidémie beaucoup plus rapidement. Comprendre ce qui fait la cohésion d’une communauté est essentiel. Si le canal de communication habituel est le chef du village, il faut passer par lui. Si c’est l’association des femmes, il faut passer par elle.
Les communautés doivent aussi disposer des moyens de gérer la crise. Encore un exemple issu de l’expérience d’Ebola : plutôt que d’envoyer les malades dans un hôpital éloigné, les communautés préféraient les garder dans le village et les soigner sur place. Il a fallu apporter les équipements de protection, les masques mais aussi les connaissances pour créer un « centre Ebola ». Les différents modes de fonctionnement sont à adapter aux réalités locales.
Au début de la pandémie, l’OMS a été surprise du manque de préparation des États. Comment l’expliquez-vous ?
Avec le SARS en 2003, il y a eu un grand vent de panique. Beaucoup de pays en Asie ont pris des mesures : création d'hôpitaux et de structures de santé publique pour le traçage. Cette préparation a été réactivée avec l’émergence de H5N1 en 2005 quand des cas ont été signalés en Indonésie ou au Vietnam. Des plans de préparation ont été définis avec des expertises multidisciplinaires.
En 2009, quand la pandémie H1N1 a commencé, plus de 120 pays disposaient de plans. Certains se composaient de quelques feuilles de papier, d’autres avaient des stratégies et des procédures très élaborées. La plupart avaient constitué des stocks de masques, d’antiviraux, de tests, etc.
Si la pandémie s’est avérée moins grave qu’attendue, c'est sans doute en partie grâce à cette préparation qui a donné des réactions très rapides et a permis d’éviter la propagation. Au Royaume-Uni, ce bilan positif a conduit à un relâchement des efforts trop précoce, qui s'est traduit par une reprise épidémique au cours de l'été 2009, qui a été de fait la plus mortelle. Cela prouve qu’une préparation et de bonnes interventions permettent de limiter la gravité de la maladie et, surtout, cela marche !
Malheureusement après 2009, la leçon retenue est qu’une pandémie n’est pas si grave, qu’on est capable de se débrouiller. Les efforts de préparation se sont amoindris, avec l’idée qu’un parachute est inutile si on ne s’en sert pas.
Ces efforts de préparation sont-ils envisageables à l’échelle internationale ?
C’est ce qu’on espère. La coopération internationale est nécessaire pour éviter le sauve-qui-peut où chacun agit dans son coin sans coordination et où les politiques nationales sont en contradiction avec celles des voisins. Dans un contexte d’interconnexion, c’est indispensable. On dispose du règlement sanitaire international, qui a été revu en 2005, mais il est hérité des années 1950. Il n’est pas obsolète, mais il ne couvre pas certains domaines comme les vaccins et leur production. Une bonne idée serait de prendre en compte la vulnérabilité du monde actuel face à des événements pandémiques.
LE QUOTIDIEN : En décembre, l’OMS organisait une conférence autour de l’infodémie. Quel en était l’objectif ?
Dr SYLVIE BRIAND : L’infodémie est un défi observé à chaque épidémie. Elle est souvent réduite aux « fake news », mais elle se caractérise plutôt comme un flot d’informations que les populations reçoivent dans une période épidémique. Une surabondance qui fragilise la communication, pourtant essentielle face à une maladie transmise de personne à personne. Car rien n’est possible sans engagement de la population : chacun a un rôle à jouer dans la riposte et doit en être informé. Mais le trop-plein d’informations créé de la confusion.
Comme les virus, l’information se répand plus vite et plus loin que lors des siècles précédents. Le phénomène est aujourd’hui amplifié par les réseaux sociaux. Les gens ne savent plus qui croire et cela génère des comportements erratiques qui ne permettent pas de lutter contre la maladie. Lors de l’émergence d’Ebola, les rumeurs ont convaincu les communautés que les malades amenés dans les centres de soins étaient tués pour récupérer leurs organes et les envoyer dans d’autres pays. Les gens refusaient alors de venir dans les centres, restaient chez eux et contaminaient leurs familles. Lors de la pandémie actuelle, en Iran, des rumeurs ont répandu l’idée que le méthanol pouvait guérir le Covid. Or, c’est un poison et plus de 700 personnes sont mortes.
Des discours peuvent être clivants. Le risque de formes graves chez les sujets âgés a pu opposer les générations, cela ne favorise pas l’engagement. La confiance dans les gouvernements, les expertises et les scientifiques a été remise en cause. L'infodémie risque d'avoir un impact profond sur nos sociétés pendant de nombreuses années.
L’OMS tente de créer une nouvelle discipline, l’infodémiologie, afin d'analyser et de mesurer l’impact de nos interventions. Physiciens, mathématiciens, spécialistes des sciences sociales et des datas, épidémiologistes sont mis à contribution pour construire cette nouvelle approche.
Quels sont les ingrédients qui favorisent une infodémie ?
Dans toute épidémie, on retrouve deux éléments. La peur d’abord. Une stratégie de communication qui l'alimente est à double tranchant : cela peut dans un premier temps encourager certains comportements, mais à terme, l’effet peut être complètement contraire. Le second élément, c’est l’incertitude ; elle persiste longtemps car la connaissance de la maladie est progressive.
Ces deux ingrédients − qu’on ne retrouve pas dans d’autres crises comme lors d'un tremblement de terre − favorisent l’émergence de rumeurs qui fragilisent les populations et les rendent crédules et naïves parce que cela ne ressemble à rien de connu. C’est une vulnérabilité particulière à la désinformation qui demande la mise en œuvre de pare-feu. Un phénomène similaire peut se mettre en place avec la vaccination. S’il existe un fond chronique de méfiance et de réticence, les populations seront plus réceptives aux informations qui s’accrochent à des croyances préexistantes.
Comment les États peuvent-ils agir face à ce phénomène ?
La première chose, c’est d'avoir conscience du problème avant même l’apparition d’une épidémie. On invite d’ailleurs les États à inclure la communication dans leur préparation de crise. Ensuite, il est important d’avoir des porte-parole compétents et formés et d'adapter régulièrement le discours à la réalité quotidienne. En France, par exemple, la communication sur les masques a été maladroite : on a d'abord dit que ça ne servait à rien puis qu’il fallait en porter partout. Il faut être prudent dans ce qui est exprimé et bien identifier l’information à faire passer. De manière générale, il est conseillé de communiquer sur la maladie, d'expliquer les interventions et dire ce qu’on attend de chaque personne pour aider dans la riposte.
Aussi, la science évolue : il faut pouvoir traduire l’avancée scientifique avec des mots qui parlent aux gens, savoir dire qu’on ne sait pas et savoir parler de ce qui est en train de se passer. La cause est rarement abordée, mais les gens se demandent pourquoi ça leur arrive. Sans réponse, ils vont chercher des raisonnements, selon leur appétence. Cela doit être anticipé.
Les canaux de communication utilisés doivent avoir la confiance des gens. Pendant la crise de 2009, c’était le cas des soignants, notamment en France. Mais ailleurs, ce peut être les autorités religieuses. Pour les médias, leur rôle et leur responsabilité doivent être bien compris. Les débats entre chercheurs font partie de la démarche scientifique, mais doivent-ils être présentés au public ? Médiatiser les désaccords crée de la confusion et pénalise la gestion de crise.
Enfin, il faut engager les communautés dans la démarche. Chaque culture, chaque groupe de population a sa forme de communication à laquelle il faut adapter les messages. Il ne faut pas prendre pour acquis qu’un message correct scientifiquement sera interprété correctement. L’OMS travaille notamment avec les organisations de jeunes pour comprendre comment s’adresser à eux et sur quels supports.
L’OMS a d’ailleurs développé un outil pour comprendre les attentes des populations.
Tout à fait. Un outil a été développé pour améliorer l’écoute des populations et répondre aux questionnements au moment où ils émergent. Si on anticipe, cela génère de la peur, de l’anxiété. Si cela arrive trop tard, ce sera inutile. On a développé des outils sur Twitter pour mesurer l’intensité des conversations sur certains thèmes. Des moyens existent aussi pour analyser les ressentis de la population. Par exemple, parle-t-elle des vaccins avec méfiance, colère, inquiétude ou compréhension ? Des algorithmes aident à mieux comprendre et à calibrer la communication sur ce que la population attend. On travaille avec les États membres pour diffuser ces outils (traduction, adaptation culturelle du vocabulaire).
Des pays s’en sont-ils mieux sortis ?
Oui, et souvent parce qu’ils ont déjà connu une crise auparavant. En général, la deuxième fois, cela se passe mieux car des leçons ont été tirées. D’autres pays qui avaient pu négliger cet aspect au début ont fait des progrès sur leur communication au cours de la crise.
Le défi est de développer une approche systémique mais aussi flexible. C’est complexe, car souvent, soit il y a un plan qui est appliqué à la lettre et cela ne marche pas, soit rien n’est prêt, c’est chaotique et cela ne marche pas non plus. Un juste milieu est à trouver.
À titre personnel, je pense qu’il faut responsabiliser les gens. Lors de l’épidémie d’Ebola, les communautés qui se prenaient en charge stoppaient l’épidémie beaucoup plus rapidement. Comprendre ce qui fait la cohésion d’une communauté est essentiel. Si le canal de communication habituel est le chef du village, il faut passer par lui. Si c’est l’association des femmes, il faut passer par elle.
Les communautés doivent aussi disposer des moyens de gérer la crise. Encore un exemple issu de l’expérience d’Ebola : plutôt que d’envoyer les malades dans un hôpital éloigné, les communautés préféraient les garder dans le village et les soigner sur place. Il a fallu apporter les équipements de protection, les masques mais aussi les connaissances pour créer un « centre Ebola ». Les différents modes de fonctionnement sont à adapter aux réalités locales.
Au début de la pandémie, l’OMS a été surprise du manque de préparation des États. Comment l’expliquez-vous ?
Avec le SARS en 2003, il y a eu un grand vent de panique. Beaucoup de pays en Asie ont pris des mesures : création d'hôpitaux et de structures de santé publique pour le traçage. Cette préparation a été réactivée avec l’émergence de H5N1 en 2005 quand des cas ont été signalés en Indonésie ou au Vietnam. Des plans de préparation ont été définis avec des expertises multidisciplinaires.
En 2009, quand la pandémie H1N1 a commencé, plus de 120 pays disposaient de plans. Certains se composaient de quelques feuilles de papier, d’autres avaient des stratégies et des procédures très élaborées. La plupart avaient constitué des stocks de masques, d’antiviraux, de tests, etc.
Si la pandémie s’est avérée moins grave qu’attendue, c'est sans doute en partie grâce à cette préparation qui a donné des réactions très rapides et a permis d’éviter la propagation. Au Royaume-Uni, ce bilan positif a conduit à un relâchement des efforts trop précoce, qui s'est traduit par une reprise épidémique au cours de l'été 2009, qui a été de fait la plus mortelle. Cela prouve qu’une préparation et de bonnes interventions permettent de limiter la gravité de la maladie et, surtout, cela marche !
Malheureusement après 2009, la leçon retenue est qu’une pandémie n’est pas si grave, qu’on est capable de se débrouiller. Les efforts de préparation se sont amoindris, avec l’idée qu’un parachute est inutile si on ne s’en sert pas.
Ces efforts de préparation sont-ils envisageables à l’échelle internationale ?
C’est ce qu’on espère. La coopération internationale est nécessaire pour éviter le sauve-qui-peut où chacun agit dans son coin sans coordination et où les politiques nationales sont en contradiction avec celles des voisins. Dans un contexte d’interconnexion, c’est indispensable. On dispose du règlement sanitaire international, qui a été revu en 2005, mais il est hérité des années 1950. Il n’est pas obsolète, mais il ne couvre pas certains domaines comme les vaccins et leur production. Une bonne idée serait de prendre en compte la vulnérabilité du monde actuel face à des événements pandémiques
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