Joint à l’étranger ce mercredi, Florent de Vathaire, directeur de recherche en épidémiologie à l’Inserm-Institut Gustave-Roussy, reste prudent. « J’ai conclu ces expertises en 2009-2010. J’ai construit un faisceau de présomption pour dire que les risques des effets nucléaires n’avaient pas été négligeables. Mais ça ne peut pas faire avancer la recherche sur les faibles doses : les vraies connaissances viennent des grandes cohortes », explique-t-il.
Pour établir les liens entre ionisations et cancer, Florent de Vathaire n’a pu se lancer dans une étude épidémiologique, ni réaliser de nouvelles mesures. Il s’est essentiellement penché sur les conditions de travail des vétérans, sur leur âge, les accidents nucléaires connus, et les dosimétries réalisées à l’époque et réévaluées par l’armée en 2006.
Il espère désormais lancer une étude épidémiologique sur les enfants de moins de 5 ans lors des essais nucléaires dans 5 ou 6 îles de la Polynésie, pour comparer les marqueurs biologiques sur leur thyroïde à ceux d’enfants nés plusieurs années après les essais.
Ces révélations pourraient avoir l’effet d’une bombe. Le directeur de recherche en épidémiologie à l’Inserm-Institut Gustave Roussy, Florent de Vathaire, vient de conclure, en tant qu’expert, à un lien vraisemblable entre les retombées radioactives et des cancers de vétérans qui ont servi en Algérie et en Polynésie de 1960 à 1996, époque où la France a réalisé 210 essais nucléaires.
Florent de Vathaire, qui s’est exprimé dans « le Parisien » mais qui reste injoignable ce mardi, a réalisé ces expertises à la demande d’Anne-Marie Bellot, juge d’instruction chargée de l’enquête ouverte contre X pour « homicide involontaire, atteinte à l’intégrité physique et administration de substances nuisibles » en 2004 suite à la plainte de l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN). Dans 6 dossiers de vétérans sur 15, en Algérie et en Polynésie, il a « pu construire (en rassemblant de nombreux éléments) un faisceau de présomptions qui permet de dire que le lien entre les retombées radioactives et les cancers est vraisemblable », déclare-t-il au « Parisien ».
C’est la première fois que des expertises médicales arrivent à une telle conclusion dans le volet pénal de l’affaire. Florent de Vathaire l’explique par l’absence de spécialisation en épidémiologie des faibles doses des médecins qui ont réalisé les expertises préalables, ainsi que par l’insuffisance des données, encore protégées par le secret défense.
Des conséquences sur l’indemnisation
Ces expertises pourraient-elles faire trembler l’État ? Les 150 000 civils et militaires qui ont participé aux essais nucléaires espèrent au moins qu’elles accélèrent l’instruction, reprise en main par Marie-Odile Bertella-Geoffroy. « Cela va permettre de relancer le travail des juges 8 ans après le dépôt de la plainte, de demander la levée du secret défense en matière de mesures des retombées radioactives et cela apporte des éléments pour modifier la loi d’indemnisation », estime Patrice Bouveret, de l’AVEN. Sur 720 dossiers présentés au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), créé par la loi du 5 janvier 2010 dite loi Morin, seule une dizaine a reçu un avis favorable. « Pour le ministère de la Défense, les risques sont négligeables et donc dans 99 % des cas, il y a un refus d’indemnisation, même lorsque les gens ont une maladie prévue par la loi et qu’ils étaient à un endroit prévu par la loi » accuse l’avocat des victimes Me Jean-Paul Teissonière.
Au CIVEN, on se défend de tout parti pris politique. « Les dossiers sont examinés en toute rigueur par de grands spécialistes », déclare au « Quotidien » la présidente Marie-Ève Aubin, qui siège au Conseil d’État. Pourquoi si peu de dossiers indemnisés ? « Il n’y a pas plus de cancers que dans la population normale. Nous indemnisons généreusement à partir du moment où il y a 1 % de risques que le cancer soit imputable à la radioactivité. Et nous nous fondons sur des centaines de milliers de mesures de l’administration », répond Marie-Ève Aubin.
Faibles doses et principe de précaution
Sur le fond, l’affaire relance le débat scientifique sur les faibles doses. « On ne pourra jamais affirmer avec certitude telle ou telle causalité et ce, pour une raison simple : ces cancers ou ces leucémies ne sont pas uniquement causés par les radiations », reconnaît Florent de Vathaire, dans l’interview accordée au « Parisien ».
« En dessous de 100 mSv (millisievert), aucune étude épidémiologique montre un lien de causalité entre la dose de radioactivité et la probabilité de cancer. Mais il existe un principe de précaution », explique au « Quotidien » Jean-René Jourdain, pharmacien radiobiologiste et adjoint à la directrice de la protection de l’homme de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRNS), qui travaille depuis 15 sur ces faibles doses.
Pour établir la toxicité des faibles doses, les recherches se heurtent à plusieurs difficultés, en particulier à la constitution d’une cohorte qui doit être d’autant plus grande que les maladies sont rares et à la nécessité d’un suivi sur du très long terme. « Les cancers liés à la radioactivité ne se développent pas du jour au lendemain. Pour la thyroïde, on observe des effets 5 ans après l’explosion de Tchernobyl mais cela peut se révéler 40 ans plus tard. Pour la leucémie, il faut attendre 10 à 20 ans » précise Jean-René Jourdain, qui insiste également sur le type de cancer. « On sait avec certitude que les cancers du colon et de la thyroïde peuvent être radio-induits, et nous avons des suspicions pour ceux de l’estomac et des glandes salivaires. » D’autres facteurs peuvent enfin intervenir sur le déclenchement d’un cancer.
« Les expertises ne sont pas des recherches épidémiologiques, mais une étude au cas par cas », conclut Jean-René Jourdain.
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