Récemment publiés sans publicité, un décret et un arrêté ministériels (1) suscitent un très vif émoi. Ces textes – relatifs à la mise en place d’un audit portant sur nos pratiques médicales en matière de dépistage prénatal de la trisomie 21 – sont scandaleux et contestables. Aussi le collectif pour sauver la médecine prénatale vient de déposer un recours auprès du Conseil d’État pour tenter de casser un dispositif que nous considérons comme un étau insupportable et inadmissible. Notre protestation rejoint celles d’autres médecins spécialistes, d’associations de parents de personnes handicapées ainsi que de patientes enceintes qui refusent l’utilisation à leur insu de leurs données personnelles.
Que disent ces textes ?
Obligation est faite aux biologistes chargés des calculs de risque maternel de colliger toutes les données des tests réalisés chez les femmes enceintes : résultats des marqueurs sériques maternels et mesure de la nuque fœtale, calculs de risque, caryotypes éventuellement effectués ainsi que l’issue des grossesses. Puis la totalité des informations recueillies est transmise à l’Agence de la Biomédecine (ABM) chargée de les communiquer à d’autres instances : Haute Autorité de Santé (HAS) et Fédération des réseaux de périnatalité. Ceci équivaut bien à l’instauration d’un fichier national incluant environ 700 000 femmes enceintes testées/an sur l’éventuelle trisomie 21 de leur enfant. Cette démarche est totalement inédite dans notre pays et inexistante ailleurs dans le monde !
Un fichier scandaleux
Plusieurs raisons prévalent effectivement en ce sens. En stigmatisant une pathologie expressément citée, ce fichier est contraire à l’esprit de la loi bioéthique 2011 voulu par le législateur. Une telle traçabilité des fœtus trisomiques 21, organisée par l’État, laisse penser qu’ils sont une menace pour la société. Par ailleurs l’anonymisation des données soulignée par le ministère est illusoire car il est tout à fait possible de retrouver l’identité d’une patiente à partir des renseignements fournis : date de naissance, date de réalisation de l’examen, origine géographique, code-barres de l’échographiste, numéro de dossier fourni par le laboratoire…
Ainsi, non seulement le décret ministériel ne respecte pas l’anonymat et la vie privée des patientes mais ces dernières sont aussi tenues à l’écart car elles ne sont pas informées de l’établissement d’un fichier national à partir de leurs données personnelles. En effet il n’est aucunement fait mention de l’indispensable consentement éclairé. La CNIL ne semble d’ailleurs pas avoir été sollicitée sur cet aspect essentiel.
Une pression inacceptable
En plus de l’impact sur les malades victimes d’une pathologie, leur maman, et toutes les femmes enceintes qui font le test de dépistage de la trisomie 21, ce fichier est une pression supplémentaire pour nous, prescripteurs. L’étau qui n’a cessé de se resserrer sur nous depuis bientôt 20 ans est désormais verrouillé. Bien entendu il ne s’agit pas de contester l’évaluation de nos pratiques médicales. L’efficacité des tests – qu’ils soient combinés au 1er trimestre ou sanguins maternels précoces – est parfaitement connue grâce aux publications médicales, études et congrès organisés par des sociétés savantes.
Depuis des années nous sommes tenus d’informer nos patientes sur la possibilité de recourir au dépistage de la trisomie 21, information que beaucoup de patientes vivent aussi comme une pression du corps médical. Cette focalisation de la médecine prénatale sur la trisomie 21 est à l’origine de la banalisation de l’interruption dite médicale de grossesse (IMG) qui conclut un diagnostic positif dans la quasi-totalité des cas (96 %). La création du fichier renforce encore davantage la banalisation du dépistage en suscitant l’idée qu’il « faut » dépister la trisomie 21. Elle jette enfin le discrédit sur des parents qui ont fait un choix autre tout en acceptant la naissance éventuelle d’enfants porteurs de la trisomie 21. À travers des écrits ministériels cette évolution de la mentalité qui nous est imposée est foncièrement inacceptable !
Une nouvelle mission pour l’ABM
Le rôle premier de l’ABM est de « garantir un accès égal aux soins dans le respect des règles de sécurité sanitaire, d’éthique et d’équité ». Selon les termes des textes contestés, l’ABM devient à présent responsable du « contrôle qualité » de nos pratiques médicales dans le cadre du dépistage de la trisomie 21 dont nous connaissons l’issue. Ainsi sous couvert d’une vérification de l’équité de l’accès aux soins, démonstration est faite que ce fichier imposé représente un contrôle du maillage de notre territoire national en matière de dépistage, d’une vérification de son efficacité et par conséquent du taux d’IMG.
Ce nouveau rôle dévolu à l’ABM ne s’inscrit pas dans une finalité de soins car la création de ce fichier n’aura pas les mêmes conséquences que des statistiques nationales portant sur le dépistage du cancer du sein, du col ou du colon. À l’inverse, s’il s’était agi de recenser les naissances d’enfants porteurs de la trisomie 21 pour vérifier si les conditions d’accueil et d’aide aux parents étaient adaptées, nous n’aurions jamais protesté. Nous dénonçons donc avec une extrême vigueur ces 2 textes ministériels iniques et particulièrement choquants.
* Gynécologue obstétricien à Béziers (34), coordinateur du Comité pour sauver la médecine prénatale www.sauverlamedecineprenatale.org
(1) Décret n° 2016-545 du 3 mai 2016 relatif à l’évaluation et au contrôle de qualité des examens de diagnostic prénatal et l’arrêté du 11 mai 2016 modifiant l’arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec l’utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21.
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