CONSULTANT pour l’OMS et ancien réanimateur à l’hôpital Saint-Joseph, le Dr Jean Carlet avait déjà dans un article publié dans le « Lancet », en avril 2011, sonner l’alerte. « Après d’énormes progrès réalisés ces dernières décennies en matière d’antibiothérapie, nous sommes revenus trente ans en arrière », constatait-il (le « Quotidien » du 18 avril 2011). Premier auteur des 14 scientifiques signataires, il ajoutait : « L’émergence croissante des BMR nous oblige aujourd’hui à " ressortir des tiroirs " de vieux antibiotiques, comme la colimycine, dont on connaît mal la pharmacocinétique, le dosage et le profil de toxicité ». Le problème était jugé si sérieux que quarante professionnels de tous horizons avaient décidé de se regrouper pour protéger les antibiotiques, en créant l’alliance contre le développement des bactéries multi-résistantes (ACdeBMR). Officiellement lancé en décembre 2011, l’alliance compte parmi ses membres fondateurs des représentants des usagers comme le Lien - Claude Rambaud présidente de l’association est aussi la vice-présidente de ACdeBMR - le CISS ou encore le groupe Patients for Patients Safety qui œuvre auprès de l’OMS. « L’association québécoise des victimes d’infection nosocomiale (ADVIN) nous a récemment rejoints », se réjouit le Dr Carlet. Quelque 350 personnes adhèrent à ACdeBMR, association loi 1901 soutenue par une cinquantaine de groupes professionnels ou sociétés savantes dont la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) ou la société française d’hygiène hospitalière (SF2H) et quelques députés comme Yves Bur ou Gérard Bapt. « L’idée est d’impliquer le plus de monde possible, des usagers, des médecins de toute spécialité et pas seulement des infectiologues, des microbiologistes, des spécialistes de médecine vétérinaire pour susciter une prise de conscience face à l’urgence et à l’importance du problème », soutient le président d’ACdeBMR. Et ce, aussi au-delà même de la France (80 membres et une dizaine de goupes et sociétés savantes en font partie).
Entérobactéries BLSE.
Le constat d’avril 2011 est le même. « Le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) a constitué pendant des années notre ennemi public numéro un. Malgré les mesures importantes mises en place, principalement la désinfection des mains, qui ont permis de faire diminuer les taux de résistance du staphylocoque, une résistance des entérobactéries comme Escherichia coli ou les klebsielles, a pu se développer », explique au « Quotidien » le Dr Carlet. Le phénomène concerne aujourd’hui des infections communautaires fréquentes comme les pyélonéphrites aiguës qui sont « de plus en plus résistantes au traitement habituel, les quinolones ou les céphalosporines de troisième génération », poursuit le spécialiste. L’émergence et la diffusion communautaire de ces souches BLSE (Bétalactamases à spectre étendue) inquiète. « Dans une communication lors du dernier congrès de l’ICAAC, Marie-Hélène Nicolas-Chanoine a montré que 8 % des patients tout-venant, c’est-à-dire qui ne présentaient pas de signes d’infection, sont porteurs de souches de colibacilles BNSE », relève le Dr Carlet. Cette proportion de 8 % représente aussi le pourcentage des souches résistantes, selon les dernières données disponibles (2010).
Le spectre d’une impasse thérapeutique se dessine. « Le risque est que les médecins prescrivent des carbapénèmes, jusque-là réservés aux traitement des infections nosocomiales et considérés comme notre dernier rempart, non pas parce qu’ils feront de la mauvaise médecine mais parce qu’ils voudront traiter plus efficacement leurs malades », relève le Dr Carlet. Certains pays doivent déjà faire face à des entérobactéries productrices de carbapénémases « comme l’Inde, les pays du Maghreb, la Grèce ou l’Italie avec pour certains des taux de 50 % pour les Klebsielles et de 30 % pour les colibacilles », prévient le président d’ACdeBMR. Des cas importés en Angleterre à partir de l’Inde avaient soulevé un certain émoi au mois d’août dernier. Ce d’autant que peu de nouveaux produits sont attendus. « Pendant au moins cinq bonnes années, il va falloir faire avec ce que l’on a, principalement les carbapénèmes », souligne encore le Dr Carlet.
Légitime défense.
Sauver les antibiotiques, ces médicaments à part, uniques, parce qu’ils ont une cible vivante (les bactéries) qui se défend et s’adapte en acquérant des mécanismes de résistance. Le Dr Calet, au nom de l’Alliance milite pour des mesures fortes : « C’est de la légitime défense », assure-t-il. « Il faut aller plus loin que ce que prévoit le Plan national d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016 et le Plan national de réduction des risque d’antibiorésistance en médecine vétérinaire », ajoute-t-il. Si les deux plans, chez l’homme et chez l’animal, prévoient une réduction de la consommation d’antibiotiques d’au moins 25 % en cinq ans, l’alliance vise 30 % en trois ans.
Parmi les actions proposées par l’Alliance et qui font l’objet d’une large diffusion dans la presse spécialisée (voir le document ci-dessous) et dans certains congrès, l’une est symbolique : l’inscription des antibiotiques au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Moins emblématique, la rationalisation de l’acte de prescription, à l’hôpital comme en ville, chez l’homme comme chez l’animal. En milieu hospitalier, des médecins référents antibiotiques sont prévus dans le plan 2011-2016 mais ils se mettent en place lentement. « Aujourd’hui existe une simple circulaire, ce qui n’est pas très contraignant. Nous souhaitons un décret qui préciserait leur rôle, leur statut, leur mission et les ratios nécessaires », indique le Dr Carlet. Une des principaux défauts du plan est qu’il propose des mesures mais qui ne sont assorties « d’aucune ressource », déplore le spécialiste. En ville, l’idée d’une ordonnance dédiée pour les antibiotiques à haut risque (céphalosporines de 3e génération, fluoroquinolones et carbapénèmes) avait circulé avant l’annonce du plan mais elle n’a pas été reprise. De même certains antibiotiques ne devraient être réservés qu’à l’homme et la prescription vétérinaire mieux contrôlée. « Nous venons de terminer une série de discussions avec les médecins généralistes et les vétérinaires, des discussions difficiles parce qu’ils n’étaient pas en faveur d’une telle mesure. Plusieurs d’entre eux ont cosigné le texte, ce qui va permettre de faire avancer cette idée », se réjouit le Dr Carlet.
Parmi les autres mesures on peut enfin citer, la prévention de la transmission croisée en mettant l’accent sur le « péril fécal » lié aux entérobatéries notamment en ville. « La qualité de la désinfection des mains est fondamentale, en particulier après défécation », rappelle le Dr Carlet qui insiste sur l’information non seulement en matière d’hygiène mais aussi pour sensibiliser le grand public, les médecins, les vétérinaires et les pharmaciens sur l’importance de préserver les antibiotiques et afin qu’ils se sentent responsables de l’acte de prescription.
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