LE PSYCHIATRE Christophe André a beaucoup parlé du bonheur avec des mots ; cette fois, c’est avec des images et des métaphores qu’il aborde l’un de ses sujets favoris. Un savant assemblage de mots, de citations, de couleurs et de formes qui compose une partition apaisante et palpitante à la gloire du bonheur.
Comme le géographe de Vermeer court après l’énigme de la terre et du ciel avec ses cartes et son compas et finit par comprendre que la solution à cette question qui le tourmente n’est pas à l’extérieur de lui mais en lui, dans l’intuition et l’émotion, nous pouvons cesser de seulement raisonner et réfléchir au bonheur pour y accéder avec nos sens. Les oeuvres choisies par Christophe André ne respirent pas toujours la sérénité, pas plus que les artistes qui les ont créées n’ont pas toujours été des êtres comblés, qu’il s’agisse de Gustav Klimt, de Vincent Van Gogh ou de Gaston Chaissac ; ou de ceux qui expriment dans leurs toiles les tourments de leur époque, John Sargent au tournant des XIXe et XXe siècles ou Léon Spilliaert un peu plus tard.
Le but de ce voyage pictural semble être de montrer la part d’ombre figurant dans tout bonheur, de défendre les mots de Jules Renard, «Le paradis n’est pas sur la terre, mais il y a des morceaux», et de beaucoup d’autres auteurs tels que Voltaire, Proust, Montaigne, Spinoza ou Yourcenar, pour indiquer le ou les chemins qui conduisent au bonheur. De fort bonnes compagnies pour disserter de la nécessité de chercher «ces éclats de bonheur» qui peuvent émailler nos vies, de travailler cette capacité à être heureux, malgré les tourments, les traumatismes et les malchances. Car l’accès au bonheur se travaille, sinon se mérite, comme le dit peut-être le bonhomme sans bras ni jambes de Gaston Chaissac, qui pourtant rayonne, et nous rappelle que l’intelligence du bonheur existe, qu’elle «relève chez certains d’un talent, chez d’autres d’une lutte».
Entre volonté et recherche.
Pour être heureux, il faut avant tout et d’abord refuser le malheur. «Le bonheur, qui nous rend plus dépendant aux choses de la vie, nous inquiète à cause de cela même», écrit le psychiatre, et l’allégeance à la tristesse recommandée par de nombreux professeurs de désespoir contemporains comme signe et garantie de notre lucidité n’est qu’une illusion doublée d’une justification facile pour aller dans le sens du moindre effort. La tristesse isole et sépare du monde alors que le bonheur est justement dans le partage, la paix avec soi et avec les autres. En témoigne la belle femme mélancolique à la robe rouge de Gauguin, dite Faaturuma, qui est comme absente au monde. Si résister à la tentation du spleen ne va pas toujours de soi, la tristesse doit n’être qu’un outil d’interrogation du monde, dit Christophe André ; il faut l’écouter puis la congédier et ne pas la laisser nous aliéner, car «la prière de l’homme triste n’a pas la force de monter jusqu’à Dieu», a écrit Cioran. Ce qui suppose là encore une attitude déterminée et réfléchie.
Pour être heureux, il faut aussi prendre des risques, trouver un «équilibre subtil entre enracinement et envol», explique le psychiatre, comme le petit garçon dans l’allée du jardin de Vétheuil peint par son père Claude Monet, paisible dans la sécurité de l’intimité du jardin familial et pourtant s’élançant sur le chemin vers l’inconnu, le vaste monde. Trouver une harmonie entre sédentarité et indépendance, oser éprouver et vivre.
Bonheur et temporalité entretiennent des liens étroits et indissociables. Il y a certes la dégustation de l’instant, mais aussi la crainte de l’avenir et du temps qui passe. Par ailleurs, le bonheur n’est pas toujours pensable dans l’hiver de l’âme, lorsque la souffrance envahit tout. Comme les deux femmes de Munch marchant dans la lumière pâle et l’air glacé d’un chemin hivernal, il faut avancer. S’arrêter, c’est mourir. Marcher c’est tenter d’échapper au froid mortifère, qu’il s’agisse d’une route enneigée ou de la nuit noire de l’âme. Rester debout, c’est résister, comme la figure rouge de Kasimir Malevitch dans son paysage de fin du monde.
Vivons heureux en attendant la mort, disait Pierre Desproges. C’est justement parce que la mort existe qu’il nous faut être heureux, explique Christophe André.
« De l’art du bonheur – 25 leçons pour être heureux », Christophe André, L’Iconoclaste, 174 pages, 23,50 euros.
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