A MARSEILLE, le directeur du CHU vient de faire les frais du défaut d'organisation de la médecine du travail en milieu hospitalier. Le 30 mars dernier, le tribunal correctionnel a condamné l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM) à verser une amende à la famille d'un médecin hospitalo-universitaire mort quelques années auparavant d'un cancer. La justice a estimé que la maladie de cette femme biologiste, exposée au formol, aurait dû être détectée par la médecine du travail.
L'université a été relaxée au motif que la réglementation organisant la médecine du travail en milieu universitaire n'était pas claire à l'époque des faits. Seul le CHU a été condamné. Convoqué à la barre comme prévenu, Guy Vallet, l'actuel directeur général, a dû se justifier : « On a montré que ce médecin avait été convoqué une fois par la médecine du travail, mais ne s'y était pas rendu. Le tribunal m'a alors demandé de quels moyens de coercition je dispose pour obliger le corps médical à se faire suivre par la médecine du travail. Je ne dispose en fait d'aucune autorité sur eux. La visite annuelle est obligatoire, mais s'y soustraire n'est pas suivi de sanction. On imagine mal le directeur poursuivre tous les professionnels et les stars des CHU pour qu'ils aillent en consultation. »
Réfractaires.
Aveu d'impuissance, que partagent nombre de médecins du travail travaillant en milieu hospitalier. Le Pr Christian Cabal, député (UMP) de la Loire, exerce ce métier depuis une trentaine d'années. Son constat est cinglant : « Les médecins sont réfractaires à l'idée d'être eux-mêmes examinés. Dans mon CHU, (Saint-Etienne) , 20 % seulement des médecins hospitaliers se plient à la médecine du travail : les cordonniers sont les plus mal chaussés. Il y a quelques exceptions, certains jeunes praticiens viennent me voir spontanément une fois par an. Mais quand j'envoie des convocations, bien souvent, elles tombent dans un vide abyssal. Rangement vertical. Si bien que, maintenant, je ne convoque plus. Peut-on dire qu'il y a un suivi régulier des risques professionnels des PH ? Non, hélas. Et cela n'émeut pas grand monde. »
Le thème a tout de même été abordé en mars dernier, aux assises nationales des CHU, à Strasbourg. « La santé des médecins au travail est un sujet très important, trop souvent négligé », avait alors lancé le Pr Jean-Claude Granry, anesthésiste-réanimateur. Autodiagnostic, autotraitement, vieillissement, conditions de travail éprouvantes, addictions, risques biologiques, chimiques et d'irradiation : la liste des dangers du métier est longue. Pourtant, on note chez les médecins une résistance à demander de l'aide, par crainte du jugement des confrères ou du non-respect de la confidentialité. Démotivation ou surinvestissement personnel, les deux conséquences sont observées. Mais rares sont ceux qui se confient pour des motifs graves.
« Ils nous parlent du tabagisme, de leur syndrome dépressif, mais pas d'alcool ni de drogue », note le Dr Françoise Martin, chargée de la santé des médecins de l'AP-HM. En 2003, sur un total de 1 347 praticiens à surveiller, le Dr Martin en a vu passer... 415. Une fréquentation qu'elle juge « anormalement basse, compte tenu de l'obligation réglementaire en vigueur » (voir encadré). Les accidents d'exposition aux virus (piqûres, coupures, projections de sang) sont fréquents : l'AP-HM a recensé 53 déclarations de médecins en 2003. Au cours de ses visites, le Dr Martin a dépisté des pathologies dont certaines d'origine professionnelle, notamment une tuberculose pulmonaire, 7 hépatites virales chroniques actives, 11 allergies cutanées, 5 syndromes dépressifs. « Il y en a probablement beaucoup d'autres, mais déjà, je trouve ces chiffres élevés », confie le Dr Martin. A chaque visite, mais aussi en séance à la CME, le Dr Martin répète inlassablement les consignes de prévention.
Mais que conseiller, quand le mal est déjà fait ? « Aucun texte ne dit ce qu'il faut faire quand un médecin est diagnostiqué séropositif - à supposer qu'il vienne faire un dépistage, car rien n'oblige les médecins à faire des sérologies régulières, remarque le Dr Martin . Le Conseil de l'ordre recommande d'éviter les gestes invasifs pendant la période où on est contaminant, mais il n'y a aucune obligation. Il existe probablement un certain nombre de chirurgiens qui continuent leur activité et qui ne le crient pas sur les toits. »
Il est difficile de se faire une idée exacte de l'état de santé des médecins hospitaliers en France : le secrétaire général de l'Anmteph, l'Association nationale de médecine du travail et d'ergonomie du personnel des hôpitaux, le déplore. « A 80 %, les médecins hospitaliers ne sont pas suivis du tout », affirme le Dr Lionel Sctrick, qui espère que l'évaluation des pratiques professionnelles va faire évoluer la situation.
Gendarmes.
« En fait, il y a un manque de prise au sérieux des risques, analyse ce médecin du travail. Les praticiens ne prennent pas toutes les précautions. Quand un médecin se pique, il existe une procédure réglementaire : un suivi sérologique doit être effectué à trois reprises. On envoie les convocations, mais ils ne viennent pas. On finit par ne pas relancer, on n'est pas là pour être des gendarmes. »
Autre exemple : l'exposition aux radiations ionisantes : « Le port du dosimètre est irrégulier, ou fantaisiste, observe le Dr Sctrick . C'est comme autrefois la ceinture de sécurité : il s'agit d'une mesure de prévention non obligatoire. »
En fait, les médecins ont tendance à sous-estimer le risque. Une enquête menée il y a quelques années au CHU de Lille montre que le corps médical est mal informé, et peu sensibilisé aux moyens de prévention disponibles. Ainsi, face aux radiations ionisantes, 30 % des praticiens sondés avouent ne porter aucune protection. Près de un sur deux ne déclare pas toujours - quand ce n'est pas jamais - les accidents d'exposition au sang, faute de temps, disent-ils, ou parce que le risque est jugé mineur. Les vaccins ne sont pas tous à jour, loin de là, y compris dans les services à risque. Et tant pis pour les patients immunodéprimés, qui ne peuvent pas se défendre contre les infections.
Face à ce constat, le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs (Snphar) pose la question : ne faut-il pas créer un comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (Chsct) spécifiquement médical, qui, faute d'exister au sein de chaque établissement, pourrait être départemental ou national ?
Faire preuve de pédagogie, déjà, permet des améliorations. Le Pr Paul Frimat, chef de service de la médecine du travail au CHU de Lille, privilégie le dialogue avec ses confrères : à la longue, les comportements évoluent dans le bon sens. « On devient plus incitatif, et du coup, les médecins viennent davantage nous voir, raconte-t-il . Ils se rendent compte qu'il existe des nuisances auxquelles ils n'ont pas été formés pendant leurs études. Certains avouent n'avoir jamais été examinés comme ça. C'est vrai que plus les médecins montent en âge, plus c'est difficile de les joindre. Mais les mentalités changent. Après, c'est une question de moyens : en sous-effectif, on ne peut pas développer les actions de prévention nécessaires. Il faut recruter des médecins du travail dans les hôpitaux, donner aux jeunes l'envie de faire ce métier. Car il faut bien prendre conscience d'une chose : la médecine du travail dans les hôpitaux ne respecte pas les obligations réglementaires. »
La réglementation en vigueur
En matière de médecine du travail, le code du travail est clair : il place l'ensemble des personnels hospitaliers, médecins et non médecins, sur le même plan. L'article R242-1 décrit l'organisation de la médecine du travail dans les établissements de santé. Il précise que l'effectif global de l'hôpital est à prendre en compte, médecins compris. A partir de 1 500 agents, l'établissement dispose de son propre service de médecine du travail. En dessous de ce seuil, ce service est commun à plusieurs établissements. Plusieurs autres articles du code du travail définissent les tâches des services médicaux du travail au sein des établissements : on retrouve la nécessité d'un examen médical avant toute prise de fonction, puis annuel de façon systématique. Le médecin du travail doit veiller au respect des obligations vaccinales sous la responsabilité du chef d'établissement, lequel a le devoir de les imposer en cas de refus. Il doit aussi assurer le suivi en cas de déclaration de maladie professionnelle, de maladie contractée en service ou d'accident du travail.
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