CETTE ENQUÊTE, Prim'enfance, a été réalisée entre le 15 mars et le 15 décembre 2004 auprès de 1 446 médecins, dont 40 % étaient des généralistes et 60 % des pédiatres. Il s'agit d'une enquête observationnelle, prospective, multicentrique nationale, explique le Dr Jacques Langue (Lyon) qui en a présenté les résultats. Ses objectifs étaient de décrire, d'une part, les schémas initiaux de primovaccination des nourrissons en médecine de ville et, d'autre part, les intentions vaccinales des médecins dans les deux années qui suivent la primovaccination, et ce « suite aux récentes recommandations de la vaccination contre le pneumocoque et le méningocoque C ».
En ce qui concerne l'âge des trois premières injections du vaccin pentavalent DTCoq Polio et Haemophilus influenzae b, les pratiques des médecins sont proches des recommandations, avec, « un léger retard à l'initiation de la vaccination », précise le Dr Langue. Un phénomène qui peut s'expliquer en partie par l'administration d'autres vaccins avant la primovaccination chez 42,5 % des nourrissons, essentiellement le BCG (92,8 % des cas). Les délais entre les visites sont également conformes aux recommandations, de 4,7 semaines entre les deux premières et 4,8 semaines entre les suivantes. Pour ce qui est du vaccin pentavalent, l'enquête met en évidence la prépondérance du pentavalent acellulaire (88,8 %). Quant à la vaccination contre le pneumocoque, elle stagne encore autour de 40 %, avec des différences selon le type d'exercice du vaccinateur. Le Dr Langue souligne, en effet, 55 % des pédiatres ont l'intention de la pratiquer contre 30 % des généralistes.
Au cours des deux premières années de vie.
En ce qui concerne les intentions vaccinales au cours des deux premières années de vie, « la vaccination antipneumococcique est initiée après la troisième visite chez 16 % des nourrissons ». La vaccination contre l'hépatite B est, elle aussi, renvoyée après la primovaccination et, seulement la moitié des médecins ont l'intention de la pratiquer. En revanche, plus de neuf praticiens sur dix (95 %) prévoient d'administrer la première injection du vaccin rougeole-oreillons-rubéole avant l'âge de 2 ans. Pourtant, comme le souligne par ailleurs le Dr Isabelle Parent du Châtelet (Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice), en France, la couverture vaccinale contre la rougeole à 24 mois n'est pas optimale. On est loin du taux de 95 % qui représente le seuil d'immunité de groupe. Les estimations font état de 87 % en 2003 pour l'ensemble de territoire, avec des disparités régionales importantes, le sud du pays étant le plus mal loti dans ce domaine.
« Même s'il existe un rattrapage vaccinal après 2 ans, remarque le Dr Parent du Châtelet, en précisant que la couverture vaccinale à 6 ans est estimée à 94 %, les niveaux de couverture restent insuffisants pour interrompre la transmission du virus. » Certes, l'incidence de cette maladie a reculé de façon significative, de plus de 300 000 cas en 1985 à 10 500 en 2003. Mais la situation est néanmoins préoccupante du fait de l'augmentation de l'âge de survenue de la rougeole, passée chez les enfants de plus de 10 ans de 13 à 62 % durant la même période. Or « la gravité et le taux de complications, notamment encéphalitiques augmentent avec l'âge ». Il faut noter à ce propos que la rougeole vient d'être réinscrite sur la liste des maladies à déclaration obligatoire et qu'un plan d'élimination va être présenté dans les prochains jours au conseil supérieur d'hygiène publique de France. Ce plan 2005-2010 vise à adapter les stratégies vaccinales en modifiant le prochain calendrier vaccinal. Plusieurs mesures seront proposées : administrer la première dose vaccinale à 12 mois et la deuxième dans le courant de la deuxième année, aller jusqu'à deux doses pour les 1-13 ans et élargir la cible vaccinale aux jeunes adultes et à certains groupes à risque.
Des intentions limitées pour la varicelle.
L'enquête Prim'enfance montre également que 30 % des médecins ont l'intention de vacciner les enfants avant 2 ans contre les infections à méningocoque C. Les intentions concernant le vaccin contre la varicelle sont encore plus limitées, puisqu'elles sont exprimées à hauteur de 10 %, indique le Dr Langue. L'occasion de rappeler que, sur un total de 600 000 à 700 000 cas annuels, « la varicelle est responsable d'environ 3 500 hospitalisations chaque année, dont 75 % des cas ont moins de 16 ans, et de 10 à 30 décès par an ». Ces chiffres sont rapportés par le Pr Joël Gaudelus (service de pédiatrie, hôpital Jean-Verdier, Bondy).
Deux enquêtes réalisées auprès des médecins généralistes, pour l'une d'entre elles, des généralistes et des pédiatres pour la seconde, montrent que les surinfections cutanées sont les complications les plus fréquentes de la varicelle. Selon les dernières données de l'Observatoire pédiatrique de la varicelle, entre mars 2003 et septembre 2004, 1 197 enfants ont été hospitalisés pour varicelle, « dont 2,2 % en réanimation ou en soins intensifs ». Ils étaient âgés en moyenne de 2,3 ans et ont séjourné à l'hôpital pendant une durée moyenne de 5,1 jours. Dans plus de 8 cas sur 10 (84,2 %), c'est une complication qui a conduit à l'hospitalisation, qu'il s'agisse de surinfections, qui prédominent chez les moins de 5 ans, de complications neurologiques, qui se voient surtout chez les plus de 5 ans, ou d'autres complications. Parmi ces enfants hospitalisés, « six sont décédés, dont cinq de choc septique » déplore le Pr Gaudelus. « L'ensemble de ces données, survenant avant tout chez des enfants sans antécédents, constitue une base de réflexion pour l'élaboration d'une stratégie vaccinale », conclut-il.
Des taux d'attaque de la grippe identiques chez l'enfant et l'adulte.
Une réflexion sur la vaccination des enfants contre la grippe est également légitime. Dans l'enquête Prim'enfance, les propositions du vaccin antigrippal par les médecins au cours des deux premières années de vie « sont insuffisantes, avec 0,3 % d'intentions vaccinales », constate le Dr Langue. Faut-il vacciner largement les enfants contre la grippe ? Telle est la question posée au Pr Daniel Floret (service de réanimation pédiatrique, hôpital Edouard-Herriot, Lyon), qui rappelle que « la vaccination antigrippale, autorisée à partir de l'âge de 6 mois, n'est actuellement recommandée chez l'enfant que de manière très limitative ». Sont concernés les enfants atteints d'une maladie chronique cardio-respiratoire ou autre (les mêmes pathologies que chez l'adulte) et ceux qui sont traités au long cours par l'aspirine (risque de syndrome de Reye en cas d'association aspirine et grippe). Dans la pratique, « on estime que seulement de 30 à 50 % des enfants ciblés par ces recommandations sont effectivement vaccinés ».
Les enfants ne sont pourtant pas épargnés par la grippe, loin s'en faut. Dans la population pédiatrique, « les taux d'attaque sont équivalents, voire supérieurs à ceux observés chez l'adulte », rappelle le Pr Floret. Surtout chez les plus jeunes, comme l'attestent les résultats d'une étude menée à Lyon aux urgences pédiatriques : au moment de l'épidémie de grippe, une excrétion du virus grippal a été objectivée chez 49 % des enfants de moins de 3 ans vus pour fièvre. Chez les moins de 1 an, le taux d'hospitalisation est similaire à celui des sujets adultes à risque.
Chez l'enfant, la grippe est également à l'origine de convulsions et de complications respiratoires. Dominées par l'otite moyenne aiguë, ces dernières, représentent « l'essentiel de la morbidité liée à cette maladie » et, de ce fait, sont « une cause importante de prescription d'antibiotiques ». Les antibiotiques sont prescrits dans les grippes compliquées (60 % des enfants), mais aussi non compliquées (25 % des cas). La morbidité de la grippe est majorée par l'existence de facteurs de risque. Si sa mortalité est faible dans la population pédiatrique, il peut exister des formes nécessitant une hospitalisation en réanimation, avec un risque d'évolution létale par syndrome de détresse respiratoire aigu. Dans une étude lyonnaise menée sur une période de dix ans, le taux de mortalité des grippes de l'enfant en réanimation était de 16,5 %.
On sait aussi que les enfants constituent un vecteur majeur du virus grippal au sein des familles et dans la communauté : aux Etats-Unis, durant la saison 2003-2004, le pic de syndromes grippaux a d'abord été observé chez les 5-14 ans, puis chez les 0-4 ans et dans un troisième temps chez les parents et les grands-parents. Enfin, il a été montré que la vaccination des enfants contre la grippe protège les adultes.
Depuis octobre 2004, les Etats-Unis recommandent de vacciner systématiquement les nourrissons de plus de 6 mois et jusqu'à 2 ans. Mais il y a des limites à cette vaccination universelle qui sont la pratique d'une ou de deux injections supplémentaires, la nécessité d'un renouvellement annuel de la vaccination et la méconnaissance de la tolérance d'un schéma à vie. Une solution possible serait la mise à disposition d'un vaccin non injectable. « En attendant, dit le Pr Floret, la priorité va clairement à l'amélioration de la couverture vaccinale des enfants ciblés par les recommandations. »
Amphi « Actualités en vaccinologie » présidé par le Dr Pierre Veyssier (Compiègne), le Pr Daniel Floret (Lyon) et le Dr Jacques Gaillat (Annecy) et parrainé par Sanofi Pasteur MSD.
Coqueluche : la stratégie vaccinale chez l'adulte
Dans le dernier calendrier vaccinal, les recommandations portant sur le vaccin contre la coqueluche ont été adaptées à l'évolution de son épidémiologie (« BEH » 28-29, 29 juin 2004). Outre certains professionnels de santé, la vaccination contre la coqueluche est maintenant recommandée chez les adultes susceptibles de devenir parents dans les mois ou les années à venir, ainsi qu'à l'occasion d'une grossesse pour les membres du foyer : enfants non à jour et adultes qui n'ont pas eu de doses dans les dix dernières années (pour le père et la fratrie, pendant la grossesse, et pour la mère, après l'accouchement). Le seul vaccin disponible, Repevax, est un vaccin quadrivalent diphtérie (demi-dose)-tétanos-polio-coqueluche acellulaire, dont l'administration est recommandée à l'occasion d'un rappel décennal.
Pour améliorer la couverture vaccinale antigrippale
En France, plus de deux sujets sur trois ne sont pas vaccinés contre la grippe, fait remarquer le Pr Daniel Camus (Institut Pasteur, service des vaccinations internationales, Lille). Le taux de couverture vaccinale global est de l'ordre de 20 %. Il augmente avec l'âge, pour atteindre environ 75 % à partir de 75 ans. La lanterne rouge revient aux professionnels de santé, avec seulement 18 % de vaccinés. Pour les populations nouvellement intégrées dans les recommandations vaccinales (personnel navigant des bateaux de croisière et des avions, et accompagnateurs professionnels de voyage), on ne dispose pas encore de données sur ce sujet.
Pour améliorer la couverture vaccinale contre la grippe, la gratuité ne suffit pas, constate le Pr Camus. « Si on veut réduire la transmission du virus grippal, on a intérêt à discuter la vaccination des enfants. Si on vise un intérêt économique et social, il faut vacciner la population active. Si on veut se préparer à une pandémie, il faut tous se vacciner. » Différentes mesures peuvent être proposées pour optimiser la vaccination antigrippale : simplifier l'accès au vaccin par une prise en charge en cas de prescription médicale ; instituer une nomenclature spécifique pour une consultation de prévention ; charger le médecin traitant d'inciter les sujets cibles à se faire vacciner (par exemple, par courrier) ; connaître les réticences vis-à-vis du vaccin et les combattre. Une campagne de communication à propos des freins à la vaccination démontrerait qu'aucun des arguments avancés dans ce cadre ne résiste à l'analyse scientifique.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature