DE NOTRE CORRESPONDANTE
L’INGRÉDIENT PSYCHOACTIF majeur de la marijuana et du haschich, le delta 9-tétrahydrocannabinol (THC), altère la mémoire, y compris celle qui est sous le contrôle de l’hippocampe, cela aussi bien chez les humains que chez le rat.
Toutefois, les mécanismes responsables de cet effet restaient à élucider. Dans une étude chez le rat, l’équipe du Dr György Buzsaki (Rutgers University, New Brunswick, New Jersey) démontre que les cannabinoïdes (THC ou cannabinoïde synthétique), administrés aux doses comparables à celles utilisées par les humains, réduisent la synchronisation entre les neurones de l’hippocampe, tout en préservant les rythmes de décharge des neurones individuels.
Perturbation des oscillations physiologiques.
Cette baisse de coordination, qui s’accompagne d’une perturbation des oscillations physiologiques, notamment thêta, est corrélée aux troubles de la mémoire hippocampique, comme en atteste l’évaluation des rats par un test standard de mémoire.
Ainsi, cette baisse de coordination serait responsable, selon Robbe et coll., des déficits de mémoire provoqués par les cannabinoïdes.
Comme l’expliquent les auteurs, «sous l’influence des cannabinoïdes, les neurones sont libérés du contrôle de la population. Alors que les neurones continuent à décharger au même rythme, ils ne parviennent pas à s’organiser en assemblées qui sont coordonnées dans le temps».
«L’importance de la réduction de la synchronisation dans l’hippocampe (une région essentielle pour former la mémoire épisodique) est tout à fait corrélée à l’ampleur de la perturbation de la mémoire», souligne auprès du « Quotidien » le Dr Buzsaki.
L’image de musiciens sourds aux yeux bandés.
Ce neuroscientifique, basé à l’université Rutgers, vient justement de publier un livre intitulé «Rythmes du cerveau» (Rhythms of the Brain, aux éditions Oxford University Press), sur le domaine rapidement émergent de la synchronisation neuronale.
«Tout cela survient sans changement du rythme de décharge des cellules principales (qui transportent l’information) ou des interneurones inhibiteurs», ajoute-t-il.
«Imaginez un orchestre dont les musiciens seraient sourds et auraient les yeux bandés. Ils pourraient encore jouer leur propre morceau, mais sans aucun feed-back des autres musiciens ou du chef d’orchestre. Selon la nature et la longueur du morceau joué, cela pourrait être juste un peu mauvais ou complètement désastreux, même si chaque note avait été jouée. Ce qu’il manque, c’est la coordination temporelle. C’est, à notre avis, ce qu’il se passe dans les circuits de l’hippocampe sous l’influence de la marijuana.»
«Il est intéressant de noter que, malgré la baisse probable des neurotransmetteurs aussi bien excitateurs qu’inhibiteurs, les rythmes de décharge ne changent pas, peut-être parce que l’excitation et l’inhibition diminuent de manière équilibrée. Ce qui est touché, c’est le moment précis des décharges neuronales et la synchronisation résultante. »
Pour les chercheurs, la réduction de la synchronisation sous l’effet de l’activation du récepteur CB1 pourrait aussi sous-tendre les effets antiépileptiques des endocannabinoïdes. Et, selon le Dr Buzsaki, «l’effet analgésique clamé de la marijuana pourrait peut-être aussi résulter de la perturbation de la synchronisation neuronale dans les circuits appropriés».
«Toutefois, le résultat le plus important pour nous est que, en utilisant une drogue, nous avons pu démontrer, plus directement, l’importance de la synchronisation neuronale dans les opérations cérébrales et nous avons pu la lier au comportement. La majorité de la synchronisation dans le cerveau est provoquée par les oscillations neuronales, mais, jusqu’ici, il est apparu difficile de déterminer exactement quelle est la contribution directe de ces oscillations dans la plupart des fonctions cérébrales.»
« Nature Neuroscience », Robbe et coll., DOI : 10.1038/nn1801.
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