«A L’HÔPITAL, la plupart des problèmes peuvent être réglés en changeant l’organisation», déclare Elisabeth Beau, la directrice de la Meah.
Créée en 2003, la mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers, rattachée au ministère de la Santé, mène de front de nombreux chantiers pilotes, sur des thèmes allant de l’organisation des centres 15 à celle du circuit du médicament, en passant par les achats dans les hôpitaux et les cliniques.
L’étude qu’elle consacre au temps de travail des médecins est l’une des plus avancées. Une trentaine d’hôpitaux publics et privés y participent volontairement. Le 7 juin dernier, chacun de ces établissements a lancé un plan d’action visant à améliorer leur situation locale. Des initiatives originales, parfois reproductibles ailleurs, que présente la Meah dans un rapport d’étape fraîchement publié.
Sur cette question délicate du travail médical à l’hôpital, le constat est partout le même : les nouvelles réglementations – sur la réduction du temps de travail, le repos de sécurité et les plages additionnelles – ont semé le trouble. Et ont conduit à une dégradation sensible des conditions de travail.
Ici, point de repos de sécurité en raison d’un sous-effectif des médecins. Là, les plages additionnelles – effectuées au-delà des 48 heures hebdomadaires – ne sont pas payées. Ailleurs encore, les jours de RTT ne sont pas posés et s’accumulent sur un compte épargne-temps, dont personne ne sait exactement si le financement est assuré. Les médecins s’épuisent à la tâche, et vivent mal les reproches de leur direction qui leur réclame des comptes sur le paiement des plages additionnelles, ou la nécessité de maintenir ou non telle ligne de garde.
Dix-sept plans d’action.
Epaulée par des cabinets de conseil, la Meah tente de résoudre ces difficultés en apportant une réponse structurée, reposant sur des analyses et des comparaisons. «On met en avant les “success stories” pour motiver les établissements qui fonctionnent moins bien», expose David Le Spégagne, chargé de projet à la Meah. Une démarche en deux temps : «Dans chaque établissement volontaire, on repère les bonnes pratiques organisationnelles, puis on les aide à déterminer des plans d’action contre les dysfonctionnements», déclare Elisabeth Beau, qui dirige la mission.
Dix-sept plans d’action sont à ce jour lancés sur le travail médical. Les résultats sont attendus en septembre. C’est notamment le cas au Havre, où se construit un pôle mère-femme-enfant. A la fin de 2007, les activités de maternité et de pédiatrie seront regroupées sur un seul site. La direction de l’hôpital veut saisir cette occasion pour réorganiser la permanence des soins. Huit postes sont vacants en anesthésie et trois en gynéco-obstétrique. «On s’est demandé s’il ne fallait pas supprimer des lignes de garde pour gagner du temps médical», explique Jean-Pierre Heurtel, directeur des affaires médicales. Chaque garde donne lieu à une journée de repos de sécurité. En supprimant deux des quatre lignes de garde, des centaines de journées de travail de médecins pourraient ainsi être dégagées. Et de nombreuses plages additionnelles économisées.
La direction de l’établissement a pressenti que l’idée serait mal accueillie, et a saisi la Meah du sujet. Effectivement, les anesthésistes-réanimateurs, autant que les gynéco-obstétriciens, s’opposent pour l’heure au changement proposé. «Les gardes sur place sont très rémunératrices», explique Jean-Pierre Heurtel. Mais les débats ont permis de sensibiliser les médecins à la question. «C’est un travail de longue haleine, explique le directeur des affaires financières. On attend leurs propositions.»
A Dieppe, l’idée de participer aux travaux de la Meah est venue du corps médical lui-même. Dès son arrivée à la tête du département d’anesthésie-réanimation, il y a six mois, le Dr Igor Auriant s’est dit qu’il fallait tout remettre à plat. La situation était tendue : l’équipe d’anesthésistes, en sous-effectif, n’avait pas posé un jour de RTT depuis deux ans. Les plages additionnelles étaient très nombreuses et coûteuses – 123 000 euros en 2005 pour l’anesthésie-réanimation.
Bien qu’il soit obligatoire au lendemain d’une garde, le repos de sécurité n’était pas toujours respecté. «On fonctionnait dans l’illégalité, la direction était au courant», résume le Dr Auriant.
Perte financière contre qualité de vie et de travail.
Le chef de l’équipe s’est alors mis en tête de recruter de nouvelles têtes. Pour justifier ces besoins en postes, Igor Auriant s’est tourné vers la Meah. Le praticien espère démontrer, en disséquant l’organisation actuelle, que la transformation des plages additionnelles en postes supplémentaires ne coûtera pas un sou à l’hôpital. Il espère aussi mettre fin aux habituels reproches de sa direction : «On nous dit souvent qu’on coûte trop cher ou qu’on est trop nombreux. Je veux prouver qu’on ne dépense pas à mauvais escient, et qu’on essaye de mieux faire», explique le médecin.
Financièrement, chaque anesthésiste y perdra. De l’ordre d’un treizième mois, tout de même. Mais répartir les gardes sur un plus grand nombre de médecins est l’unique façon, aux yeux du Dr Auriant, de «gagner en qualité de vie et en qualité de travail». «Mes collègues sont jeunes, ils veulent profiter de leurs week-ends et de leurs RTT, dit-il . S’ils n’étaient pas d’accord au départ, ils sont aujourd’hui convaincus. En plus, cette réorganisation sera utile pour recruter: le département sera attractif si l’on peut mettre en avant une organisation efficace.»
La directrice de la Meah est du même avis. «Une mauvaise organisation du temps de travail peut expliquer la fuite de certains médecins, estime Elisabeth Beau. Cela dit, je ne pense pas que l’augmentation des effectifs soit toujours la bonne solution. On peut mieux faire tourner un service dont l’effectif est incomplet grâce à une meilleure organisation.» Pour Elisabeth Beau, c’est une évidence : «Les réorganisations constituent le principal gisement d’économies des établissements de santé.»
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