MONDIALEMENT répandu, pratiqué, regardé, commenté, le football alimente les passions, aussi bien celles des aficionados que de ceux qui en ont horreur. La déferlante va être telle qu’il sera difficile aux agnostiques et autres indifférents de se tenir en dehors du phénomène.
«Il y a un aspect de cruauté aveugle et cynique dans cette grand-messe médiatique, sportive et financière, analyse Denis Müller, professeur d’éthique à l’université de Lausanne (Suisse). C ’est aussi un très dur miroir des inégalités et des injustices de la société capitaliste et néolibérale mondiale. Des millions de personnes, souvent très pauvres et en tout cas très anonymes, se passionnent pour le destin de leur joueur préféré et se projettent ainsi, à travers leurs idoles, dans un destin magique, divin ou au moins exceptionnel. Le football fonctionne comme une quasi-religion.»
L’engouement populaire, l’absence de distance critique des médias et de l’opinion publique atteignent un degré tel que d’aucuns, dans la tradition marxiste, auront beau jeu de dénoncer cette nouvelle version de l’opium du peuple.
Voir la vie en Bleus.
De fait, comment ne pas voir l’impact politique et médiatique qui déborde totalement du seul champ sportif ? Le Dr Paclet (lire ci-contre) en est parfaitement conscient, comme tous les membres du staff de l’équipe de France. Et son confrère le Dr Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, spécialiste des images, le confirme : «Tout ce tintouin va masquer les vrais problèmes nationaux et internationaux. Certainement sur une durée d’un mois, on court le risque d’oublier et de faire oublier les problèmes sérieux. Mais n’est-ce pas justement l’intérêt de beaucoup de nos responsables?» Donc, à voir la vie en Bleus, les Français perdront de vue Clearstream et les banlieues, l’Iran et le terrorisme, la grippe aviaire et le sida en Afrique. Rideau sur tout ce qui ne tourne pas rond dans le monde.
Certes, les images du Mondial ne sont pas intrinsèquement nocives. Et même, «cette conscience que va éprouver chaque téléspectateur, en les regardant, d’appartenir à la grande communauté de l’humanité entière, en regardant le même match partout en même temps, en soi peut présenter des vertus pacifiantes, estime le Dr Tisseron. En quoi voir le match à la télé est-il très différent de le voir depuis la tribune, où on fait nécessairement partie d’un clan de supporters, confronté au camp adverse, avecles risques de dérapages conflictuels et violents?»
Mais, rappelle le psychiatre, «il faut bien être conscient qu’on est sous l’empire du pouvoir d’illusion exercé par les images, avec des allers-retours entre réalité et fiction et l’envahissement de tous les supports, cinéma, jeux vidéo, mais aussi vêtements, styles de coupe de cheveux. A cet égard, l’avènement du tout-numérique va maximiser l’illusion».
C’est grave, docteur ? Dans une société où il est déjà devenu difficile de préserver ses propres émotions, le Dr Tisseron ne cache pas que «le risque de détournement des émotions vraies au profit des émotions manipulées peut en effet conduire à un phénomène de viol de la personnalité». De 6 milliards de personnalités...
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