AU BORD de la défaite, en 1944, le Reich n’en poursuivit pas moins sa politique d’extermination des juifs d’Europe. En 1941, quelque 825 000 juifs vivaient en Hongrie ; seuls 255 000 survécurent. Après l’invasion du pays par l’armée allemande, le 19 mars 1944, les autorités hongroises organisèrent rafles et déportations. En moins de deux mois, 440 000 juifs hongrois furent envoyés dans les camps. Imre Kertész, né en 1929 à Budapest, fut de ceux-là.
Il a 14 ans, en 1944, quand il est déporté à Auschwitz-Birkenau puis à Buchenwald. Il est libéré en 1945. Et seul : tous les membres de sa famille ont disparu. En 1961, il entreprend un roman largement inspiré de son expérience, qu’il mettra près de quinze ans à terminer, « Etre sans destin » (publié en France en 1997 chez Actes Sud). Longtemps, il refuse qu’on en tire un film, au vu d’oeuvres sur le même thème qui lui déplaisent (il évoque par exemple «le sentimentalisme kitsch» de « la Liste de Schindler ») et d’un projet américain par trop hollywoodien. Puis, devenu ami avec le metteur en scène pressenti, ancien collaborateur d’István Szabó, il finit par accepter la proposition d’adapter lui-même le roman. Avec l’envie «de travailler sur le sujet de la perte de la personnalité», de montrer «comment un enfant de 14ans perd peu à peu sa personnalité naissante dans les camps».
Le film est sans effets. Il n’en est pas besoin pour montrer cette dépersonnalisation qui devient vite déshumanisation. Il suffit – c’est peut-être le plus difficile – de montrer un jour après l’autre : l’arrivée au camp sans comprendre de quoi il s’agit, l’échange d’un morceau de pain, le compagnon qui vous convainc de continuer à vous laver tant bien que mal, le morceau de couverture, pour lutter contre le froid... Jour après jour. Il y a ceux qui tentent de résister, ceux qui lâchent. Jour après jour. Il y a les petites joies, aussi importantes que les grands malheurs. Jour après jour. Mort, vie, survie.
Le joyeux adolescent de Budapest (l’intelligent Marcell Nagy) tiendra à revenir dans sa ville, qu’il trouvera détruite, autre. «On ne survit jamais aux camps, dit Kertész. Ils sont là pour toujours.» Sans chercher à nous attendrir, ce beau et juste film, délicatement accompagné par la musique d’Ennio Morricone, est là pour nous le rappeler.
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