L'Erythréen dit qu'il a 17 ans. Il tousse. Surtout la nuit, sous la tente. « Ça siffle?» Non. Débit de pointe : 450. Température? Trop froid, le thermomètre reste en « erreur ». Bienvenue dans la clinique mobile de Médecins du Monde, au campement de migrants de Téteghem, près de Dunkerque. Le médecin parle un anglais frenchy, se débrouille avec les gestes, et le sourire : «What is your name?» ; «What is the problem?» Chaque nuit, ces hommes se glissent sous les camions pour passer en Angleterre. Ils vivent dans les bois, Afghans, Erythréens, Somaliens, Kurdes, Soudanais. Chaque jour, quand la police débarque, pour les arrêter ou détruire leurs abris, ils s'enfuient. Parfois avec femme et enfants, parfois des ados seuls, jamais tranquilles. Début décembre, il neige. Dans la camionnette, on est serré : le Dr Benoît Savatier, généraliste dunkerquois, coordinateur de Médecins du Monde pour le Nord, Stéphanie Gloria, interne en médecine générale, Huguette, militante associative, Meryem, traductrice. Bénévoles. « On fait médecine pour soigner », répond le généraliste, quand on lui demande pourquoi il fait ça. Douze infirmières et douze médecins du secteur l'épaulent. « Chacun avait eu l'idée d'aller un jour soigner en Afrique ou en Asie. Finalement les étrangers sont venus à nous ». Dans la camionnette, ils défilent. Voilà un Vietnamien. Un fil de suture à enlever au thorax. « Peut-être un coup de couteau ». Certains passeurs ont le coup facile. La traversée clandestine coûte entre 500 et 1000 euros. Compresse, bétadine. Le patient tremble.
Passer à tout prix
Voilà Mimi, Erythréenne, enceinte, 36 semaines. Souriante, épuisée, elle refuse une mise à l'abri. Une obsession, passer à tout prix, trouver du travail en Angleterre, rembourser les passeurs. Comme cet Afghan de 14 ans qui s'était cassé un fémur en tombant d'un camion. « Il voulait marcher dès le lendemain », se souvient le médecin. « Un juge pour enfants a ordonné un placement, il a fugué ». Ils souffrent de problèmes ORL et gastriques, ostéoarticulaires, dermatoses, traumato. Pire : en 2010, un Afghan de 16 ans est mort, la cage thoracique écrasée par la remorque d'un camion. MDM tente d'apporter l'essentiel. Elle distribue des kits d'hygiène, des sacs de couchage, des capes de pluie. En face, les ennemis s'appellent froid, humidité, manque de vêtements, marche à pied par dizaines de kilomètres par jour, alimentation insuffisante, eau douteuse, hygiène impossible, chutes de camion, courses poursuites avec la police, passeurs agressifs, stress. Il manque un lieu de parole. « Ceux qui relèvent de la psychiatrie décompensent ici, vu les difficultés, raconte Martine Devries, généraliste à Calais, coordinatrice bénévole pour le Pas-de-Calais, les autres sont épuisés, en deuil, traumatisés. Ça relève d'une relation suivie avec un thérapeute plutôt que de médicaments ».
« On est au bout du monde ! »
MDM s'appuie sur Benoît Savatier à Dunkerque, Martine Devries à Calais. Médecins d'ici, réfugiés du bout du monde. « Mais on EST au bout du monde!», répond Martine Devries, « sauf que quand MDM installe un camp au bout du monde, personne ne dit que c'est illégal ». La police traque les migrants, mais l'Assurance maladie finance les médicaments à travers Pharmacie humanitaire internationale. « Schizophrène », dit le Dr Devries. La police détruit des abris, même siglés MDM. L'ONG avait installé une citerne d'eau à Loon-Plage l'été dernier, elle a été démontée par les services portuaires. « On n'arrive pas à maintenir le minimum, mais on nous donne des antibiotiques ». A Dunkerque, MDM assure 60 consultations par semaine. A Calais, la Permanence d'accès aux soins de santé (Pass) est à 80. Le logisticien Stéphane Bazonnet installe des latrines, des douches rudimentaires. Un peu avant Noël, à Téteghem, il a fabriqué des abris à Téteghem. A Calais, le plan grand froid s'est appliqué aux migrants. Du côté de Dunkerque, rien, à part une tente chauffée à Grande-Synthe. A Bailleul, une association, Intermed, reçoit les convalescents l'hiver. Dans la petite foule des migrants, une petite Afghane de 9 mois, dans les bras de son frère. MDM a trouvé une place au chaud pour eux. « Merci pour tout ce que vous faites », dit un Afghan.
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