LA PATHOLOGIE coronaire est le domaine par excellence du méga-essai. En effet, il s'agit d'une pathologie fréquente dont la présentation est « stéréotypée » et le traitement bien codifié. De plus, sa morbi-mortalité est élevée à court terme, ce qui la rend propice aux essais cliniques dont le critère principal de jugement est la réduction de la mortalité.
Au cours de l'infarctus du myocarde, de grands essais thérapeutiques randomisés ont permis d'évaluer l'intérêt des traitements antithrombotiques prescrits seuls ou en association. Les thrombolytiques ont transformé le pronostic des infarctus du myocarde en diminuant la mortalité et l'étendue de l'ischémie myocardique.
Un critère simple, des résultats indiscutables.
L'étude Isis-2 (Second International Study of Infarct Survival) est un essai multicentrique réalisé à double insu contre placebo, publié en 1998 dans « The Lancet », qui a porté sur plus de 17 000 patients issus de 417 centres. Son objectif était de comparer l'effet de la streptokinase et de l'aspirine, utilisées seules ou en association, sur la mortalité à la phase aiguë de l'infarctus myocardique. Dans cet essai, par rapport au placebo, la mortalité à la cinquième semaine a été réduite de 23 % par la streptokinase seule à la dose de 1,5 million d'unités en une heure par voie veineuse, de 20 % par l'aspirine seule à la dose de 160 mg/jour per os et de 38 % lorsque la streptokinase était associée à l'aspirine. L'efficacité de cette association a également été notée sur les récidives précoces d'infarctus et a réduit de moitié le risque d'accident ischémique cérébral dans les dix jours suivant l'infarctus. Ainsi, Isis-2 a montré que la prescription d'aspirine en phase aiguë d'infarctus permet d'éviter 25 décès pour 100 patients traités et de 10 à 15 récidives précoces de nécrose ou accidents vasculaires cérébraux. Ce bénéfice a été obtenu sans accroissement du risque hémorragique. Sur le plan méthodologique, Isis-2 répond parfaitement au cahier des charges d'un bon méga-essai dans l'infarctus du myocarde. Son schéma est simple. Son résultat est fondé sur l'analyse des dossiers d'un grand nombre de patients. Le critère de jugement, la mortalité, est simple et indiscutable. Enfin, la réponse obtenue est claire.
Comme le soulignait David Sackett, son promoteur, la médecine fondée sur le niveau de preuve a pour objet de transformer le besoin d'information en questions claires, de rechercher les meilleurs arguments pour y répondre, d'évaluer ces arguments de manière critique, ainsi que leur validité et leur utilité, d'en appliquer les conclusions et d'évaluer les résultats des options médicales.
Les recommandations proposées par les autorités sanitaires françaises sont ainsi usuellement classées en trois grades, A, B ou C selon le niveau de preuve dont elles sont affectées. Une recommandation de grade A correspond au niveau de preuve I, le plus élevé. Il est fondé sur de grands essais comparatifs randomisés avec résultats indiscutables, comme c'est le cas d'Isis-2. Une recommandation de grade B, correspondant au niveau de preuve II, est fondée sur de petits essais comparatifs randomisés dont les résultats sont incertains. Une recommandation de grade C, affectée du niveau de preuve III, est fondée sur des essais comparatifs n'ayant pas fait l'objet d'une randomisation ou des études de type suivi de cohorte. Le niveau de preuve IV est celui des essais comparatifs non randomisés dont le groupe témoin est historique, ou des études de cas-témoins. Le niveau de preuve V, le plus faible, correspond aux essais sans groupe témoin ou aux simples séries de patients.
Rien ne remplace un vaste essai clinique de bonne méthodologie.
L'exemple du traitement par le magnésium en phase aiguë de l'infarctus du myocarde est un bon exemple de situation dans laquelle un essai clinique de grande envergure, Isis-4, n'a pas confirmé une métaanalyse de petits et moyens essais. Cette métaanalyse, publiée en 1991 dans le « British Medical Journal », portait sur sept essais publiés entre 1981 et 1990. Selon cette métaanalyse, le magnésium induisait une réduction de mortalité de 55 %. Ce résultat a été confirmé par Limit-2. En revanche, Isis-4, qui a porté sur plus de 58 000 patients, n'a pas confirmé cette efficacité. Les résultats, publiés en 1995 dans « The Lancet », ont mis en évidence une tendance non significative à la surmortalité. L'absence de bénéfice clinique lié au magnésium a été secondairement confirmée par l'étude Magnesium in Coronaries (Magic), dont les résultats ont été publiés en 2002. Le même raisonnement peut être appliqué à la prescription de l'association glucose-insuline-potassium. Celle-ci était censée améliorer le bilan énergétique myocardique et la contractilité ventriculaire gauche, et ainsi réduire le risque d'arythmie ventriculaire grave chez les malades en phase aiguë d'infarctus myocardique avec sus-décalage du segment ST. Cette hypothèse était fondée sur des études de petite taille dont les conclusions semblaient prometteuses, ainsi que sur des métaanalyses. Un vaste essai clinique, baptisé Clinical Trial of Metabolic Modulation in Acute Myocardial Infarction Treatment Evaluation-Estudios Cardiológicos Latinoamérica (Create-Ecla), publié en janvier 2005 dans le « Jama », n'a toutefois pas confirmé l'intérêt de l'association glucose-insuline-potassium.
En conclusion, le modèle à suivre en France pour les « méga-essais » devrait être celui des études italiennes Gissi, notamment caractérisées par l'évaluation d'une stratégie thérapeutique (et pas seulement d'une molécule), le critère de jugement étant l'évolution de la maladie. Il est également essentiel de considérer l'essai clinique comme une source d'informations exploitables en épidémiologie, ainsi que comme une opportunité de modification des pratiques. L'ensemble de la communauté cardiologique devrait être invité à participer à ce méga-essai idéal, les patients étant des malades non sélectionnés. La planification de l'essai et son analyse devraient être réalisées par des auteurs indépendants, et les résultats devraient être aisément transposables à la pratique clinique usuelle...
D'après un entretien avec le Pr Ph. Gabriel Steg, hôpital Bichat - Claude-Bernard, Paris.
Ce thème a fait l'objet d'une communication à la 8e Journée de thérapeutique de l'UFR-Paris 7.
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