DE NOTRE CORRESPONDANT
«TOUT PEUT arriver!» avait prédit en début de journée Gérard Porte, médecin chef du Tour de France, une des figures de la Grande Boucle, présent cette année pour la 35e fois. La 7e étape a beau être un contre-la-montre individuel, donc a priori une journée qui s’annonce plutôt calme pour les 19 membres de l’équipe médicale, la fin d’après-midi aura donné raison à ce médecin du sport de 55 ans. Il ne restait plus que quelques coureurs à partir lorsque l’Américain Bobby Julich a chuté, mordant d’un peu trop près le bord d’un rond-point. «Quelle que soit la nature de l’étape, nous devons nous tenir prêts à intervenir, confirme le Dr Porte. Quand, le 4juillet, nous avons dû évacuer Alejandro Valverde pour une fracture de la clavicule droite, Erick Dekker pour un traumatisme de la face et Fred Rodriguez, c’était une étape qui ne comptait pas de difficultés particulières.»
Samedi dernier, un des deux cabriolets que compte le staff médical est positionné juste derrière Bobby Julich quand il tombe. A son bord, le Dr Ludovic Martino, urgentiste au Samu de Châteauroux, et l’ancien cycliste professionnel Jean-Luc Garnier, qui fait office de pilote secouriste.
Le médecin, 34 ans (le plus jeune de l’équipe), fait état d’un premier diagnostic : suspicion de fracture au niveau de la main droite. L’évacuation du cycliste américain vers l’hôpital le plus proche, le CHU de Pontchaillou, est organisée par le canal radio propre à l’assistance médicale. Une des trois ambulances qui suivent la course va s’en charger. Le coureur sera bien opéré pour une fracture du scaphoïde.
Optimiser les moyens.
Aujourd’hui, mercredi, les quelque 170 coureurs qui restent en lice entament les étapes de montagne avec les Pyrénées. Une deuxième partie de l’épreuve qui nécessitera toute l’ingéniosité de Gérard Porte pour optimiser les moyens que l’organisateur, ASO, met à sa disposition, à savoir six ambulances, deux voitures « cabriolées » (pour faciliter les interventions en roulant) et une moto. Si les chutes ne sont pas forcément plus nombreuses en montagne qu’en plaine, couvrir la progression du peloton, des coureurs échappés, mais aussi du public exalté pendant le passage de la caravane publicitaire, sur des routes sinueuses et dans des zones qui peuvent être assez éloignées d’un hôpital, est un défi de taille.
«En montagne, c’est vrai, c’est plus dur de répartir les équipes médicales», reconnaît le médecin, responsable du staff depuis vingt-cinq ans. Une intervention et il faut ensuite revenir dans la course, ce qui ressemble à un parcours périlleux tant les accès sont encombrés par les spectateurs et les autres véhicules. Les sept médecins du staff, avec l’infirmière et la kinésithérapeute-ostéopathe, peuvent alors compter sur l’expérience des ambulanciers aux manettes pour se faufiler le long du cortège. Des duos qui vivent trois semaines et demie ensemble, soudés par une passion commune pour le vélo. Obligatoire pour supporter un rythme très intense et les 8 000 kilomètres que l’équipe parcourt en moyenne, quand les coureurs en effectuent 3 500 !
«L’équipe est d’abord passionnée par ce sport, explique Gérard Porte, qui est le premier à admirer la petite reine. C’est indispensable. Pour donner satisfaction aux coureurs, on doit parler le même langage. Les sportifs le ressentent. On en accueille de 10 à 15 par jour, surtout pour de la bobologie. Ils ont besoin d’être rassurés.»
Un rêve d’enfant.
Le Tour étant l’épreuve phare des amateurs de vélo, les candidatures pour intégrer l’équipe médicale sont plus nombreuses que les besoins. De son premier tour vécu de l’intérieur il y a quatre ans, Roland Dumas, anesthésiste-réanimateur à Freyming, garde un souvenir fabuleux. «J’attendais depuis deux ans, raconte-t-il. Mais, jusque-là, on me disait que la présence d’un anesthésiste n’était pas utile. Et puis, un accident grave est survenu à Béziers le long de la caravane. L’organisation s’est rendue compte qu’avoir un tel médecin serait nécessaire.» L’année d’après, la chute du coureur Belucci et ses fractures du bassin et du fémur incitent à embaucher un deuxième réanimateur. C’est cet événement qui a ouvert les portes du Tour à Bernard Otto, qui exerce à Saint-Avold (Moselle). «Pendant une telle course, on ressent une vraie décharge d’adrénaline, explique ce médecin, qui suit également beaucoup d’autres manifestations sportives comme les plus grands rendez-vous en rallye cross, en superbike et en Formule 1. C’est un rêve d’enfant.»
Même sentiment pour son collègue, qui n’en souligne pas moins les difficultés de l’exercice : «Une chute, et l’on doit faire le geste approprié, le plus vite possible, sous les yeux des caméras et du directeur sportif qui pousse pour que son coureur reparte au plus vite! On n’a pas le droit à l’erreur, ce qui engendre un stress qui est moindre quand on est sur notre lieu de travail. A l’hôpital, on intervient dans un environnement que l’on connaît.»
Gérard Porte ne met pas ses coéquipiers au coeur du « mythe » du jour au lendemain. «La saison dure de mars à novembre, précise le médecin du sport. Nous avons donc une dizaine d’épreuves à couvrir par an, comme Paris-Nice, Liège-Bastogne-Liège ou encore la Flèche wallonne. Un bon moyen de se familiariser avec ce type de pratique.» Mais suivre la Grande Boucle reste une expérience bien à part.
Les besoins médicaux vont crescendo
La première semaine, et son lot d’étapes de plaine conclues par des sprints, nécessite souvent des interventions en traumatologie. «Ça “frotte” dans le peloton, explique le Dr Gérard Porte. Cette année, nous avons eu des chutes tous les jours.» A partir de la deuxième semaine, la fatigue commence à se faire sentir. «On voit apparaître des problèmes digestifs et pulmonaires. Les pathologies sont plus liées à la fatigue et au manque de récupération.» La troisième semaine, 25 % des coureurs ont pu abandonner. Il faut souvent beaucoup de psychologie de la part des soignants pour réussir à convaincre le coureur de monter dans l’ambulance, synonyme d’abandon.
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