AUJOURD'HUI, l'OMS invite comme chaque année à une grande journée de réflexion et d'action contre le paludisme en Afrique. Cette année, la date est particulièrement symbolique car elle coïncide avec le franchissement du cap des cinq ans du plan décénal de lutte, mis en place en 2000 à l'occasion du Congrès africain sur le paludisme, qui a eu lieu à Abuja (Nigeria). A l'occasion de ce sommet, auquel 44 chefs d'Etat africains avaient participé, des objectifs de prévention et de traitement avaient été fixés. Le « Lancet » fait un bilan à mi-parcours de certains programmes spécifiques mis en place à cette occasion.
Un essai de thérapeutique intermittente.
Des études ont prouvé que suspendre un traitement chimioprophylactique antipaludéen pourrait limiter le risque d'infection par Plasmodium falciparum. Ce qui suggère que les médicaments régulièrement administrés pourraient interférer avec le développement d'une immunité antiparasitaire.
Afin de préciser cette donnée, une équipe d'infectiologues a mis en place une étude en double aveugle contre placebo sur 555 enfants âgés de 2 à 3 mois, vivant en Tanzanie. Ils ont reçu soit un traitement prophylactique intermittent par sulfadoxine-pyriméthamine, adapté au poids et administré trois fois en dose unique au cours des neuf premiers mois (2, 3 et 9 mois), soit un placebo. Les auteurs ont ensuite analysé le taux d'hospitalisation pour épisode palustre des enfants jusqu'à l'âge de 2 ans. Ils ont aussi procédé à une évaluation du taux d'hémoglobine à la recherche d'une anémie, signe indirect d'infection par Plasmodium.
Un effet protecteur évalué à 36%.
Dans le groupe placebo, 43 % des enfants ont présenté au moins un épisode fébrile par an entre le 10e et le 24e mois, ils n'ont en revanche été que 28 % dans le groupe chimioprophylaxie intermittente. L'effet protecteur a donc été évalué à 36 %. Les auteurs ont souligné qu'en dépit de la demi-vie assez courte des médicaments utilisés (sept et quatorze jours), l'effet thérapeutique s'est prolongé pendant plus d'une année, ce qui laisse penser que ce type d'approche pourrait aussi influer sur des interaction biologiques immunitaires à moyen terme.
Ce type d'approche s'inscrit dans la droite ligne d'essais thérapeutiques actuellement menés chez des femmes enceintes qui reçoivent deux fois au cours de leur grossesse un traitement prophylactique similaire. Les premiers résultats indiquent que le taux d'hémoglobine maternel est majoré par rapport aux femmes témoins et que la croissance foetale est améliorée.
Devant l'émergence de résistances thérapeutiques aux antipaludéens habituels en Afrique, de nouvelles options doivent impérativement être développées. Afin de tester l'effet de quatre nouveaux traitement - amodiaquine (trois jours de traitement) , amodiaquine-sulfadoxine-pyriméthamine (trois jours), amodiaquine-artésunate (trois jours) et artemether-lumefantrine (trois jours à raison de deux doses par jour) - une étude a été mise en place en Tanzanie, dans une région de haut niveau de résistance à la sulfadoxine-pyriméthamine et à la chloroquine. Elle a porté sur 1 717 enfants âgés de 4 à 59 mois et atteints cliniquement d'une forme de paludisme non compliquée. Ils ont été tirés au sort pour recevoir l'un des quatre traitements à domicile, administré par leur famille.
Si les enfants devaient, à l'origine être suivis pendant vinft-huit jours, le groupe amodiaquine seule a été interrompu prématurément le 14e jour en raison de résultats insuffisants (taux d'échec de 42 %). Dans le bras amodiaquine-sulfadoxine-pyriméthamine, ce chiffre était de 20 %, dans celui amodiaquine-artésunate, il était de 11 %, enfin le taux d'échec avec l'association artéméther-luméfantrine était négligeable (1 %). A J28, les taux d'échec étaient respectivement de 78 % (pour les premiers enfants inclus dans le groupe amodiaquine seule), 61, 40 et 21 %.
Pour les auteurs, l'association artéméther-luméfantrine, telle qu'elle est actuellement conseillée par l'OMS, semble la plus efficace, mais son coût élevé en limite la diffusion.
La question de l'accompagnement de la prise des traitements médicamenteux en Afrique se pose régulièrement. On se rappelle, en effet, que c'est l'un des arguments développés par les personnes qui s'opposent au développement de la trithérapie anti-VIH en Afrique, arguant qu'un traitement pris de façon non contrôlée pouvait majorer le risque de résistance du virus.
Afin d'évaluer si le mode de prise du traitement (à domicile ou au sein de centres dédiés) pouvait influer sur l'effet thérapeutique du traitement actuellement recommandé par l'OMS pour le traitement des accès palustres simples (artéméther-luméfantrine, 6 doses à répartir en soixante-douze heures), des Français de l'organisation Epicentre et des chercheurs ougandais ont mis en place une étude sur une population de près de 950 personnes vivant dans une région de forte résistance aux traitement antipaludéens classiques. Là, 313 personnes (143 de moins de 5 ans, 92 de 5 à 14 ans et 78 de plus de 15 ans) devaient se rendre deux fois par jour pendant les soixante-douze heures de traitement dans un centre spécialisé où le médicament leur était distribué mélangé à un aliment gras (pour en améliorer la diffusion). Les 644 autres participants (144 de moins de 5 ans, 187 de 5 à 15 ans et 313 de plus de quinze jours) ont reçu les doses médicamenteuses nécessaires et ils ont bénéficié d'une éducation spécifique sommaire sur leur traitement. Parmi eux, 38 patients ont été perdus de vue au 28e jour de suivi.
En fin d'étude, le taux de guérison était de 97,7 % dans le groupe traitement supervisé et de 98 % dans le groupe traitement libre. Sur les 950 participants, 15 effets indésirables ont été rapportés (événements digestifs) et tous ont été résolus par une simple suspension thérapeutique. Les auteurs concluent que « l'association artéméther-luméfantrine semble tout à fait indiquée pour le traitement des accès palustres simples dans les pays d'Afrique à haut niveau de résistance, mais que le coût de ce traitement - fabriqué à l'heure actuelle par un seul laboratoire - en limite la diffusion ».
« The Lancet », vol. 365, 23 avril 2005, pp. 1143-1444, 1467-1473, 1474-1480, 1481-1483, 1487-1498.
Le vaccin toujours en attente
Un vaccin destiné à lutter contre l'infection par Plasmodium au stade préérythrocytaire semble donner des résultats prometteurs. Il ne pourrait être utilisé chez l'homme que dans une dizaine d'années, si les essais humains confirment les espoirs que soulève cette approche. RTS,S/ASO2A, testé chez des volontaires sains en Gambie, a réduit de 70 % le risque d'infection, mais la durée de protection de ce vaccin reste très limitée. D'autres vaccins préérythrocytaires sont actuellement en cours d'élaboration, mais leur diffusion, envisageable si les essais cliniques se révèlent positifs, ne pourrait être envisagée qu'entre 2020 et 2030.
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