PERSONNE N'AURAIT CRU, il y a vingt-quatre ans, que l'œuvre de Carol Wojtila aurait été aussi remarquable. Aussi faut-il se garder de juger Benoît XVI sur les critères qu'offre son passé. Un pape conservateur ? A n'en pas douter. Mais si on admet que la fonction fait l'homme, on ne saurait contester que, chargé jusqu'à présent de défendre le dogme de l'Eglise, Joseph Ratzinger ne risquait pas de le vendre à l'encan.
On peut néanmoins retenir un autre aspect du personnage pour tenter de déchiffrer l'avenir : indéniablement, le cardinal Ratzinger était un homme d'appareil et le conclave n'aura été qu'un écran de fumée, si l'on ose dire ; son élection était cousue de fil blanc, il était désigné avant même d'être élu. Les cardinaux ont donc exprimé le désir d'adopter un moratoire pour l'Eglise et de faire une pause dans la grande envolée mystique et médiatique que Jean Paul II a conduite à marche forcée, en dépit de sa santé déclinante. Ils voulaient avoir le temps de se reprendre, de réfléchir, et un pape élu à l'âge de 78 ans, dont la santé n'est pas excellente (Georg Ratzinger craint que son frère ne meure à la tâche) leur paraissait exaucer à leurs souhaits.
Cela dit, Carol Wojtila aussi avait été élu faute de mieux. On sait ce qu'il a fait de son pontificat. Il n'est donc pas exclu que Benoît XVI, connu pour son charisme et son intelligence pénétrante, décide de faire en tant que pape ce qu'il n'avait pas à faire quand il n'était que le second du pape. Rien n'interdit de croire qu'il voudra s'associer au mouvement, par opposition à l'inertie. Ses premières déclarations - et plus particulièrement son désir affiché de poursuivre le dialogue avec le judaïsme - sont, de ce point de vue, encourageantes. Il demeure que ce puissant apparatchik a su ficeler le conclave en levant un premier obstacle, celui d'un pape allemand, et un autre, plus difficile à franchir, celui d'un pape qui, une fois encore, ne serait pas italien. En revanche, on ne saurait lui faire le mauvais procès de son appartenance éphémère aux jeunesses hitlériennes. Il y est entré à 17 ans, sous la contrainte, dans une période où l'Allemagne s'effondrait dans un fracas historique. En outre, il ne l'a jamais caché et s'en est expliqué. D'ailleurs, aucune autorité juive ne lui en a fait le reproche.
Consternation.
En France et en Allemagne, les catholiques qui militent en faveur d'une ouverture de l'Eglise, notamment dans le vaste champ des valeurs morales, expriment leur consternation. Ils ont été vivement remis en place par le cardinal Lustiger qui, lui, accueille le nouveau pape avec un enthousiasme débordant. Mais ils ne renonceront pas à exiger de la hiérarchie catholique qu'elle atténue ses prescriptions draconiennes en matière de droits de la femme, y compris la religieuse, de sécurité sanitaire, de contraception, d'avortement et même d'homosexualité. Sur ces thèmes, le cardinal Ratzinger a produit des textes qui ne laissent aucun doute sur l'intransigeance de l'Eglise. Selon la formule d'Odon Vallet, historien des religions, c'est un « brillant réactionnaire, pas un conservateur ».
Quelle que soit l'épithète qu'on doit lui attribuer, on peut émettre, sur cette rigueur morale, la critique que mérite une institution qui n'a ni empêché ni combattu avec toute la vigueur requise l'épouvantable affaire de pédophilie aux Etats-Unis : près de 4 000 prêtres y sont impliqués qui ont pu sévir en toute impunité pendant plus de dix ans.
IL N'EST PAS EXCLU QUE BENOÎT XVI FASSE EN TANT QUE PAPE CE QU'IL N'A PAS FAIT EN TANT QUE SECOND DU PAPE
Hypocrisie.
Si ces crimes ont pu se produire en si grand nombre et pendant aussi longtemps, c'est nécessairement parce que les évêques américains ont été plus soucieux d'étouffer l'affaire (l'Eglise américaine est en train de payer des sommes colossales pour dédommager les très nombreuses victimes) que de stigmatiser les pécheurs. Associée à une intransigeance prêchée dans les discours, une telle indulgence à l'égard des coupables est d'une hypocrisie consternante. Joseph Ratzinger, qui juste après la mort de Jean Paul II, a dénoncé la dérive des mœurs occidentales, aurait dû se souvenir que le clergé américain y a apporté son importante quote-part. D'un côté, on condamne le « libertinage », de l'autre on absout des crimes particulièrement odieux.
Mais encore une fois, il n'est pas impossible que, après avoir consolidé le dogme, le nouveau pape reconnaisse que des millions de catholiques attendent un geste de Rome pour que soit enfin effacée officiellement la marque infamante tatouée sur leur comportement ou leurs « préférences », qu'il s'agisse du recours au préservatif ou de l'homosexualité, toutes choses qui ne devraient pas écarter de la communion de sincères croyants.
Benoît XVI assumera sa responsabilité à sa guise. Mais ceux qui continuent à croire en dehors de l'Eglise se confient déjà à la marche du temps plutôt qu'au sermon dominical. Il ne dépend que du pape qu'ils reviennent dans le giron de l'institution.
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