« C'EST UN MOMENT historique », un signe « symbolique » fort qu'adresse la France aux autres pays du monde. « C'est bien que le pays des droits de l'homme soit à l'origine de cette initiative. » Le Dr Inge Genefke, de l'Irct (International Council for the Rehabilitation of Victims of Torture), ne cache pas son enthousiasme et les mots qu'elle exprime en témoignent. Il est vrai qu'elle a joué un rôle de pionnier dans la prise en charge des victimes de torture, chez elle, au Danemark, où elle a créé le premier centre de soins pour ce type de patients, et sur la scène internationale où, avec son époux le Pr Bent Sorensen, elle milite sans relâche depuis trente ans. Tous les deux font partie des experts qui ont rédigé, à la demande du ministère de la Santé, « le premier guide au monde » destiné à aider les médecins confrontés à ces patients particuliers. « Jusqu'ici seules les organisations non gouvernementales s'étaient préoccupées du sujet », surenchérit le Dr Hélène Jaffé, fondatrice de l'Avre (Association pour les victimes de la répression en exil), qui gère l'un des trois centres de soins spécialisés existant en France.
Le guide vient enrichir la collection de guides de bonne pratique diffusés par la DGS dans le cadre de son programme pédagogique sur la prise en charge des victimes de violence : « Le praticien face aux violences sexuelles », « Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé », « Accidents collectifs, attentats, catastrophes naturelles ».
Le thème « Violence et santé » est l'un des axes prioritaires de la loi de santé publique votée en août 2004. Un plan devrait être présenté dans les prochaines semaines. Le guide a servi en quelque sorte de « travail préparatoire », a expliqué le nouveau directeur général de la Santé, Didier Houssin, qui avoue avoir été surpris : « Comme beaucoup de médecins, j'étais ignorant de ces choses-là. Pourtant, elles concernent beaucoup plus de personnes que l'on croit dans notre pays. »
En France, la population des étrangers réfugiés est estimée à plus de 100 000 personnes. Selon les évaluations de l'Irct, dans une telle population, 20 à 30 % ont été victimes de tortures. Les trois centres français (ceux de l'Avre, de l'association Primo Levi et du Comède, le Comité médical pour les exilés) ont reçu 3 209 nouveaux patients en 2003. Mais le nombre de victimes potentielles est bien plus important. Car « les effets de la torture, notamment psychologiques, persistent très longtemps, voire même toute une vie », explique le Dr Jaffé. Toutes les victimes des différentes guerres qu'a connues le siècle précédent sont concernées. Les guerres, mais aussi les mauvais traitements privés : « Ce que vivent les enfants martyrisés par leurs parents peut être assimilé à de la torture », commente-t-elle encore.
Des plaintes détournées.
« Tout médecin, ou tout professionnel de santé, peut être confronté à une victime de la torture. » Il est important de la dépister, car les victimes « ne parlent pas de ce qu'elles ont vécu », poursuit le Dr Jaffé. Elles évoquent leur souffrance et leur mal-être par des « plaintes détournées », telles que des insomnies, des maux de tête ou des douleurs diffuses. Il faut alors restaurer la confiance perdue, car souvent « on a voulu leur faire croire qu'ils ne faisaient pas partie de la fraternité humaine », explique le Dr Hervé L'Hostis. Il évoque une de ses patientes : « Elle a fini par parler au bout de quatre à cinq consultations et a écrit un poème qui traduit bien ce que vivent l'ensemble des victimes, désir d'oubli, souhait de mort, peur, honte. » Le poème se termine d'ailleurs par ses mots : « Ton âme débordant de haine est morte. »
Les séquelles physiques sont aussi à rechercher : cicatrices, brûlures, affaissement de la voûte plantaire provoqué par la falanka (coups répétés sur la plante des pieds)...
Le guide évoque tous ces points : la torture, les victimes, leur prise en charge, les adresses utiles et les centres de soins spécialisés. Ils s'adressent à tous les professionnels de la santé et le guide va être diffusé dans les directions départementales et régionales des Affaires sociales, dans les centres d'accueil et d'hébergement provisoire. Il est disponible sur le site Internet de la DGS. Mais son destin ne devrait pas être seulement national : « Ce n'est pas seulement un ouvrage pour les Français, insiste le Dr Inge Genefke. Près de trois milliards de personnes vivent aujourd'hui dans un pays qui pratique la torture. On a grand besoin d'un guide comme celui-ci dans d'autres langues. Je vais recommander sa traduction. »
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