Par le Dr Jean-Paul Mialet*
LA QUESTION du dépressif/non dépressif prend une forme particulière dans une clientèle de ville. Le déprimé qui consulte pour la première fois un psychiatre n’a souvent pas renoncé à ses habitudes de bien-portant et il est bien rare qu’il se présente dans un état de dépression caricatural qui permettrait de porter un jugement rapide. Dans la plupart des cas, et même s’il est profondément déprimé, le patient parvient encore à trouver l’énergie voulue pour donner l’illusion «qu’il ne va pas si mal». Au psychiatre alors de savoir apprécier, sans se laisser prendre par les apparences, l’importance de la dimension dépressive. Un travail d’autant plus difficile que cette présentation défensive doit être respectée, du moins au début, si l’on ne veut pas risquer de provoquer un effondrement dangereux. Et qu’il faut pourtant également repérer, et faire admettre par le patient, les symptômes dépressifs qui justifieront un traitement. A l’inverse de ces dépressions « courtoises », probablement les plus fréquentes, c’est, dans d’autres cas, l’exagération qui est fallacieuse. La notion d’une rupture par rapport au fonctionnement antérieur, l’aveu d’un déficit cognitif, l’existence d’antécédents personnels ou familiaux, les modifications du sommeil et de l’appétit représentent les indices les plus sûrs pour évaluer la dimension thymique sans se laisser trop influencer par les travestissements variés que peut adopter le patient.
Durée, caractère et contexte.
L’impression de « compliqué » dépend de beaucoup d’éléments, mais l’on peut, pour simplifier, s’appuyer sur trois caractéristiques : la durée, le caractère et le contexte. En premier lieu, on concevra aisément qu’on ne peut pas se montrer exagérément optimiste devant un patient qui prétend être handicapé depuis des années, et n’avoir jamais connu de soulagement malgré de multiples traitements bien conduits. En ce qui concerne le caractère, on n’oubliera pas que l’appréciation en est difficile, la dépression pouvant brouiller les cartes. Néanmoins, un entretien approfondi permet déjà de juger de certaines grandes dispositions de base telles qu’émotivité, impulsivité, rigidité. Enfin, et surtout, le contexte – familial, professionnel, existentiel – joue un rôle majeur. D’importants efforts d’information seront à faire envers les familles qui, ne cherchant pas à comprendre, demandent au déprimé de se secouer ; ou au contraire à celles qui, trop compréhensives, deviennent l’otage du patient. Des circonstances professionnelles difficiles sont naturellement des facteurs aggravants, mais aussi le surinvestissement dans l’activité professionnelle. Les crises ouvertes par les grands tournants de l’existence et toutes les circonstances de la vie qui constituent des ruptures d’équilibre et où doivent être développées des stratégies d’adaptation nouvelle représentent à l’évidence des facteurs de « complication ».
Après quelque temps de prise en charge, on peut « rejoindre » les classifications traditionnelles. Dans certains cas, tout s’est passé au mieux. Il s’agissait le plus souvent de patients très saturés en facteur « thymique » et peu en facteur « compliqué », mais, pas toujours… Dans d’autres cas, les troubles persistent après plusieurs mois d’efforts thérapeutiques. Si le patient était très « thymique » et peu « compliqué », on parle alors de dépression résistante ; s’il était moyennement « thymique » et plutôt « compliqué », de dysthymie chronique ; enfin, s’il était peu « thymique » et très « compliqué », on conclut qu’il n’était en fait pas déprimé.
La plupart de ces dépressions résistantes, ou de ces dysthymies chroniques, ne s’améliorent que lentement et progressivement, avec l’aide d’une prise en charge active qui combine traitement chimique et approche psychothérapique. Symptômes dépressifs et personnalité ne rendent pas toujours possible une psychothérapie bien structurée ; c’est alors au même thérapeute qu’il incombe à la fois d’adapter le traitement au gré des fluctuations dans les plaintes, et d’aborder avec doigté les aspects conflictuels qui se perçoivent à l’arrière-plan. De tels cas fournissent parfois la démonstration éclatante que la chimie ne se montre efficace que si le terrain, psychologique et affectif, y contribue.
* Paris.
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