Syndrome néphrotique à 12 ans
Mme Françoise D., âgée de 30 ans, a présenté la première manifestation rénale de sa maladie lupique en 1987, à l'âge de 12 ans. Le mode de révélation était un syndrome néphrotique impur sans insuffisance rénale. La biopsie rénale montrait les lésions d'une glomérulonéphrite proliférative endocapillaire segmentaire avec, en immunofluorescence, des dépôts sous-membranaires diffus d'IgG, d'IgM, d'IgA et de complément (C3, C1q). Il n'y avait pas de « pains à cacheter » (glomérules détruits). La sérologie lupique était présente avec des anticorps antinucléaires (1/1 800), des anti-DNA natifs au test de Farr et une hypocomplémentémie (complément CH50 effondré). Sous fortes doses de corticothérapie (2 mg/kg/jour pendant trois mois, puis décroissance progressive sur deux ans), l'évolution sera favorable. Au terme des deux ans de traitement, la protéinurie est négative. Elle conservera une faible corticothérapie de 5 mg/j pendant quatre autres années. A aucun moment elle ne présentera d'autres signes systémiques de la maladie lupique. En période de rémission, la sérologie lupique a disparu.
Rechute
La patiente rechutera de la maladie rénale en 1999, six mois après avoir commencé une contraception par pilule estroprogestative. Il s'agira à nouveau d'un syndrome néphrotique impur sans insuffisance rénale (créatinine plasmatique : 82 μmol/l). La nouvelle biopsie rénale montre des lésions de glomérulopathie mésangiale, avec, en immunofluorescence, les dépôts caractéristiques de la néphropathie lupique. Il n'y a pas de « pains à cacheter ». La sérologie lupique est positive, associée à des anticorps anti-histone, suggérant fortement un lien entre la pilule estroprogestative et la rechute de la néphropathie lupique. Il existe également des anticorps anti-cardiolipides. La pilule sera arrêtée. Un traitement par corticoïdes à fortes doses se révélera inefficace au bout de cinq mois de traitement. La patiente refusera l'usage du cyclophosphamide, compte tenu des risques d'infertilité. Un traitement par azathioprine est alors engagé. Au bout de dix-huit mois, le syndrome néphrotique a disparu, seule persiste une protéinurie de 1,5 g/24 heures. La fonction rénale demeure normale (créatinine plasmatique : 91 μmol/l). Il ne sera pas possible d'obtenir la disparition complète de la protéinurie. La sérologie lupique, en revanche, disparaît. L'azathioprine sera stoppée au bout de deux ans de traitement. Un traitement par aspirine (340 mg/j) est maintenu.
L'intention de conduire une grossesse
En 2004, la patiente consulte à nouveau car elle a l'intention de conduire une première grossesse. Le bilan réalisé montre la persistance d'une protéinurie à 1 g/24 heures, une créatinine plasmatique à 87 μmol/l, une sérologie lupique négative, intégrant les anti-cardiolipides, une pression artérielle normale (125/72 mmHg), un état général normal.
Néphropathie lupique
Cette jeune femme a une néphropathie lupique.
La néphropathie est apparue à l'âge de 12 ans et a rechuté à l'âge de 24 ans lors de l'introduction d'une contraception par pilule estroprogestative. Alors que la première manifestation était corticosensible, la rechute est corticorésistante, une rémission du syndrome néphrotique n'ayant pu être obtenue que par l'azathioprine qui n'est pas l'immunodépresseur le plus actif dans cette maladie. La patiente a refusé le cyclophosphamide, immunodépresseur le plus actif, n'acceptant pas le risque de stérilité. Elle conserve une protéinurie résiduelle, alors que la sérologie lupique est devenue négative.
Le point favorable est qu'à aucune des phases aiguës de la néphropathie la patiente n'a développé d'insuffisance rénale. D'ailleurs, aucune destruction glomérulaire n'a été vue sur les deux biopsies rénales pratiquées à douze ans d'intervalle. Cette néphropathie lupique est en rémission, mais peut récidiver à tout moment, notamment lors de la rencontre d'un facteur environnemental déclenchant. La pilule estroprogestative a probablement été le facteur déclenchant la rechute, comme l'a été, à l'âge de 12 ans, le début de la puberté. Le facteur hormonal est donc vraisemblablement important dans l'activité de cette néphropathie.
Au plan médical
Son désir de grossesse peut-il être accepté au plan médical ?
Nous savons aujourd'hui que le risque d'une récidive de la néphropathie lupique et d'une interruption de la grossesse est élevé (> 50 %) dans une telle situation. Depuis la loi du 4 mars 2002, le médecin doit s'attacher à donner à cette patiente une information loyale, claire et appropriée, sur les risques foetaux et maternels connus et fréquents de cette grossesse dans un tel contexte : avortement précoce, mort foetale in utero, éclampsie et, bien sûr, récidive de la néphropathie lupique. Ces informations doivent être données oralement, mais également figurer dans le dossier de la patiente et dans un courrier adressé au médecin traitant et transmis à la patiente.
Si, malgré ces informations, la patiente désire tenter une grossesse, le médecin néphrologue aura la liberté d'accepter ou non de suivre cette patiente. S'il estime que sa compétence n'est pas suffisante pour accompagner cette patiente dans une grossesse à très hauts risques pour la mère et le foetus, il pourra confier la surveillance à un autre néphrologue qui l'acceptera. La patiente ne pourra reprocher au néphrologue cette position prévue par le code de déontologie (article 47), ni au gynécologue-obstétricien sollicité pour suivre cette grossesse, qui préférera confier la surveillance à un autre médecin ou à une autre équipe.
Quel traitement ?
Quel traitement prescrire à la patiente pour réduire les risques fœtaux et maternels de la grossesse ?
Le traitement par azathioprine pourra être repris dès le début de la grossesse afin de prévenir la rechute active de la néphropathie lupique. L'augmentation de la filtration glomérulaire propre à toute grossesse entraînera inévitablement une augmentation de la protéinurie. Il ne faudra donc pas se fier à ce marqueur pour faire le diagnostic de rechute. Il faudra, en revanche, surveiller la sérologie lupique et les anticorps anticardiolipides.
Cette patiente ayant développé des anticorps anticardiolipides lors de sa précédente rechute, il est tout à fait licite de conduire cette grossesse sous aspirine (100 mg/j) dès son début. L'apparition d'une hypertension artérielle en cours de grossesse, chez une patiente qui était normotendue auparavant, devra faire évoquer l'apparition d'un syndrome vasculo-rénal et donc intensifier la surveillance du foetus et de la mère.
La surveillance d'une grossesse à ce niveau de risques, voulue par la patiente, nécessite une collaboration très étroite entre le gynécologue-obstétricien et le néphrologue. La patiente doit être vue par l'un ou l'autre de ces spécialistes, une fois tous les quinze jours, pendant toute la grossesse. C'est à ce prix que la patiente aura une chance sur deux de mener à terme cette grossesse.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature