ON ATTENDAIT le Christ, ce fut l’Eglise. Le premier combat est contre elle. N’est-ce pas à travers les prêtres que Dieu nous est livré ? Des étymologies un peu hasardeuses font de cette puissance le lien, ce qui relie les hommes. Et, d’emblée, l’auteur fait son petit ménage métaphysique : croyant jusque vers 18 ans, il a perdu la foi, et ce fut comme une libération : «Tout devenait plus simple, plus léger, plus ouvert, plus fort! ... Ce monde me suffit: je suis athée et content de l’être.»
Ceci, bien sûr, ne convaincra pas ceux d’en face : je crois en Dieu et suis content d’être croyant a tout autant de force. Mais André Comte-Sponville a le talent pour introduire des notions qui suscitent la pensée. Sous les bienfaits de la religion, il lit un besoin de communion : «Communier, c’est partager sans diviser», et c’est cette volonté intense qu’exploitent les religions. Mal, puisqu’elles ne cessent de diviser les hommes, elles prêchent l’amour mais présentent les étrangers à leur foi comme mécréants ou infidèles. De belles pages établissent pourtant que si on peut se passer de religion, on ne peut se passer de communion, de fidélité, ou d’amour.
Et Dieu dans tout ça ? Existe-t-il ? Encore faudrait-il savoir, disait Einstein, ce que vous entendez par ce mot. «Je n’ai pas de preuves. Personne n’en a, mais j’ai un certain nombre d’arguments qui me paraissent plus forts que ceux allant en sens contraire», dit A. Comte-Sponville, ce qui le conduit à se définir comme un athée non dogmatique.
Là encore, arguments contre arguments ? Parfaite symétrie de ceux qui répondront, arguant de leur foi, par l’évidence d’une Révélation intérieure profonde ? Il convient ici de jouer un peu les arbitres et de dire que la preuve incombe à celui qui affirme, non à celui qui nie. L’inconvénient, c’est que, comme disait G. Bachelard, «il est impossible de prouver qu’un phénomène n’existe pas». Si vous affirmez qu’il y a derrière la voûte céleste une matière faite de gelée de groseilles, on vous tiendra pour fou, mais il est impossible de démontrer que ce n’est pas vrai. André Comte-Sponville dit un peu plus sérieusement que si vous essayez «de prouver que le Père Noël n’existe pas, ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous, vous n’y parviendrez pas. Ce n’est pas une raison pour y croire». Aussi trouvera-t-on un certain plaisir à parcourir l’ensemble des preuves de l’existence de Dieu, données traditionnellement par les théistes de toutes sortes. Elles sont si faiblardes, dit l’auteur, qu’elles contribuent fortement à l’athéisme ! De fait, certaines relèvent même du comique, tel le célèbre argument ontologique qui revient plusieurs fois dans l’histoire de la philosophie : Dieu étant parfait, ayant toutes les vertus, on n’imagine pas qu’un être parfait pourrait ne pas exister, ce serait une contradiction absolue, donc il existe...
L’horloge réclame un horloger. On a reconnu là l’argument déiste de Voltaire. C’est l’un des plus récurrents, mais est-il bien solide ? Ce serait valable si on découvrait une montre en parfait état de marche sur une planète. Mais l’univers n’est pas fait de ressorts mécaniques, une tumeur cancéreuse correspond aussi à une forme d’organisation, tout comme un tsunami.
Trop proche.
Un terrain un peu miné qui conduit vers une autre sempiternelle discussion : Dieu étant censé être bon (Descartes a dû écarter l’entêtante hypothèse du «malin génie»), peut-il être le créateur des champignons vénéneux comme des comestibles ? Et si, hypothèse encore plus affreuse, Dieu était silencieux et indifférent ? Quid des milliards de prières qui, à chaque seconde, convergent vers son central téléphonique ?
Il y a, dit notre philosophe, une raison très acérée de penser, de croire à l’inexistence de Dieu, c’est qu’il est trop près de notre désir. Nous avons trop besoin de Dieu pour qu’il ne soit pas, par là-même, suspect. Si Dieu nous aime, c’est parce que les petits enfants que nous sommes restés ont besoin de ce «Père transfiguré», comme disait Freud. Nous mettons en Dieu tout ce qui est manque en nous, nous sommes mortels, il est éternel et infini. Ainsi s’amusait L. Feuerbach : «L’homme pauvre a un Dieu riche.»
On reprochera à André Comte-Sponville de mettre un peu de temps avant d’en arriver à ce que son titre annonce. D’abord, il établit facilement que même sans Dieu, on a une conscience morale, on est totalement soucieux de certaines valeurs ayant trait à nos relations avec autrui. On demeure attachés au respect et à l’amour.
Sans les vertus théologales (la foi, l’espérance et la charité, où est votre année de philo ?), on cultivera comme l’auteur une spiritualité de la fidélité, de l’action et de la générosité. Sans Dieu, on s’unira au « Monde » parce qu’il est une invitation à un «mysticisme sans mystère».
Un livre qui culmine dans une sagesse faite de négation de l’ego, de ses manques. Vous l’avez compris, André Comte-Sponville est résolument du côté des pensées et des pratiques bouddhistes et taoïstes, c’est toujours au nom d’une idéologie qu’on en dévalorise une autre.
Plus profondément, on le voit, dans ce livre très panthéiste, très spinoziste, il faut s’unir au grand TOUT et aimer l’homme «qui est un Dieu pour l’homme».
« L’Esprit de l’athéisme - Introduction à une spiritualité sans Dieu », André Comte-Sponville, Albin Michel, 217 pages, 16 euros.
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