DIONYSOS, le « deux fois né » comme le rappelle le livret des « Bassarides », opera seria composé par Henze d'après « les Bacchantes » d'Euripide sur un livret de Auden et Kallman, a été pour sa création française doublement sauvé. Sauvé de la mort à laquelle le destinait Penthée roi de Thèbes mais aussi de l'annulation pure et simple de la création des « Bassarides » à laquelle aurait pu la mener la grève actuelle qui sévit à Radio France depuis le 4 avril, un des conflits les plus durs qu'a connu cet organisme national. L'Orchestre philharmonique de Radio France, non-gréviste mais entravé dans son fonctionnement par la grève du personnel technique qui assure sa logistique, n'a pu assurer son engagement et des pressions extérieures ayant empêché la direction du Châtelet d'engager un autre orchestre, il a fallu envisager un plan de sauvetage.
C'est ce qu'ont fait avec un cran qui force l'admiration le directeur Jean-Pierre Brossmann et le chef Kazushi Ono, le premier n'ayant pas cédé à la facilité qui aurait été de baisser les bras devant « l'aberration de cette situation », le second ayant réalisé en un temps record, avec le soutien du compositeur, une réduction drastique de la partition pour un ensemble de vingt-deux musiciens solistes recrutés en urgence.
Chapeau bas pour cette solution de rechange, avec ce qu'elle comporte de frustration de ne pas entendre sortir de la fosse le grand orchestre prévu par Henze mais une réduction très habile où trois pianos tentent en vain de restituer les profondeurs d'une orchestration certainement foisonnante et à la hauteur du drame qui se joue sur scène.
Un drame familial et culturel.
D'autant que l'on avait réuni une magnifique distribution pour défendre cette œuvre que l'on n'entendra peut-être pas de sitôt à nouveau et qui gagne en grandeur tragique d'être reprise à distance du contexte politique dans lequel elle a été créée, celui des « années Vietnam », qui portait plus à la lecture d'un opéra de révolte.
Retour attendu et non décevant de June Anderson, plutôt une spécialiste du bel canto romantique dans le rôle maternel d'Agavé qui réserve de grandes effusions lyriques, et découverte en Penthée d'un formidable talent, le jeune baryton américain Franco Pomponi, grande voix riche et bien timbrée, personnalité scénique à la plastique impeccable et qui jusqu'à maintenant n'avait guère fait qu'une carrière outre-Atlantique. Superbes aussi en Dionysos et son avatar d'Étranger, le ténor allemand Rainer Trost, un habitué du Châtelet, et Kim Begley, Tirésias de grande allure.
C'est Yannis Kokkos, autre habitué du Théâtre, qui assurait la totalité de la visualisation de ce drame familial et culturel avec ses recettes qui ont déjà bien fonctionné, pour « les Troyens » notamment sur la même scène, mélange des styles et époques de costumes, dispositif à plusieurs niveaux, avec une grande science des déplacements de foules et une direction d'acteurs toujours très juste et efficace, superbement secondé par les éclairages savants de Patrice Trottier. Il faut aussi rendre hommage au Chœur du Châtelet admirablement préparé par Stephen Betteridge, dont la part est si grande dans cette œuvre chantée en anglais et dont l'écriture flatte plus le drame que la ligne de chant. Et, merci encore au Théâtre du Châtelet dont la volonté a été de ne pas priver son public d'une création tant attendue et qui, on l'espère, ouvrira la voie des théâtres français à un compositeur majeur de la seconde partie du XXe siècle, jusqu'ici assez injustement ignoré.
Conte politisé.
Changement radical avec « Pollicino », favola per musica créée en 1980 au Festival de Montepulciano, dont la création française avait lieu en présence d'un public très enfantin dans une adaptation de Claire Gibault, laquelle dirigeait en expert, comme elle l'a fait souvent en Italie, cette partition à l'instrumentation aussi riche qu'originale. Le livret d'après le conte « le Petit Poucet » est truffé d'allusions et prolongements politico-moralistes ; il est vrai que cet « opéra » appartient à la période communiste de Henze. Réalisation impeccable de Guy Coutance et distribution très enthousiaste avec les enfants du Chœur Sotto Voce pour ce complément de programme bienvenu après l'âpre austérité d'Euripide.
Châtelet (01.40.28.28.40 et www.chatelet-theatre.com ). Prochain spectacle lyrique : « Arabella » de R. Strauss (reprise) mise en scène de Peter Mussbach, direction Christoph von Dohnányi (du 19 au 31 mai).
Festival des régions au Châtelet
Renseignements et réservations : 01.40.28.28.40 et www.chatelet-theatre.com.
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