L'envie d'embrasser la profession de généraliste est, pour le Dr Emmanuel Baudry, née de sa passion pour la géopolitique. Alors qu'il est tout juste collégien à Cholet (Maine-et-Loire), il s'intéresse aux conflits internationaux. « À 12 ans, j'ai commencé à m'intéresser aux conflits du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie », raconte le médecin aujourd'hui âgé de 47 ans.
La guerre du Biafra, un déclic
C'est ainsi que le jeune garçon découvre, au lycée, la médecine humanitaire : « J'ai commencé à lire énormément sur le conflit au Biafra (1967-1970, ndlr) », raconte-t-il. Le conflit faisait l'objet d'une large couverture médiatique : « Les vannes ont été complètement ouvertes aux journalistes. À la télé, on voyait des enfants dénutris dans les camps. Ces images ont été utilisées pour provoquer la réaction de l'opinion publique. »
Il ajoute : « La Croix-Rouge, qui était intervenue, a préféré se retirer du conflit du fait de son devoir de non-ingérence. Mais plusieurs médecins – dont certains de la Croix Rouge et Bernard Kouchner – étaient bien décidés à ne pas rester les bras croisés. Ils ont créé leur association. C'est comme ça que Médecins sans frontières (MSF) est né ! »
Des stages dans les quartiers prioritaires du Mans et d'Angers
Une fois son bac en poche, Emmanuel Baudry se dirige vers des études de médecine à la fac d'Angers. Une fois arrivé à l'université, il envisage de se tourner vers la pédiatrie.
Le premier stage qu'il réalise en médecine générale, au sein d'un cabinet dans un quartier prioritaire du Mans, lui permet de comprendre qu'il ne souhaite pas « s'enfermer dans une spécialité ». Il choisit médecine générale et effectue son stage de fin d'études (Saspas) dans un cabinet situé dans un quartier prioritaire de la ville d'Angers (Verneau).
« J'ai rencontré des profils de patients très différents et souvent issus de milieux précaires. Cela m'a sensibilisé aux inégalités sociales de santé et m'a appris à adapter ma prise en charge », se rappelle-t-il.
D'ailleurs, Sylvie Cognard, sa maître de stage de l'époque, l'a beaucoup inspiré. « La façon dont elle exerçait correspondait complètement à mes envies de pratique. Elle avait une approche différente. Elle savait très bien que, pour que les gens avancent dans leur problématique de santé, il fallait d'abord écouter leurs priorités, prendre le problème aussi bien dans son aspect médical que social. »
« Soigner tout le monde est le corps de notre métier »
Et même s'il en était déjà convaincu, c'est lors de ce stage qu'il comprend l'importance de ne pas négliger les populations précaires. Cette approche le suit encore aujourd'hui.
« À l’époque, je me suis dit que, moi aussi, je voulais travailler comme ça. Je me suis rendu compte que les populations précaires étaient les plus touchées par les problèmes de santé. Soigner tout le monde, c’est le corps de notre métier, c’est dans le serment d’Hippocrate. Et le médecin a un grand rôle à jouer dans la réduction de ces inégalités », estime-t-il.
Pendant ses années d'internat, le Dr Emmanuel Baudry renoue aussi avec les origines de sa vocation et part faire des missions humanitaires. « J'avais à la fois envie de voyager et de me rendre utile », explique-t-il.
Il part une première fois à Madagascar avec l'association Quibouge. Objectif ? « Apporter des solutions pour préserver les forêts primaires, les lémuriens, tout en créant l'adhésion de la population pour les protéger. »
Parallèlement, l'association lui permet de faire du soin avec les soignants des centres de santés du coin. « Nous apportions du matériel et aidions les soignants pour les consultations », précise le praticien.
À l'issue de sa dernière année d'internat et après avoir consacré, en 2007, sa thèse à la prise en charge de la précarité aux urgences, le Dr Emmanuel Baudry poursuit sa formation à Rennes où il obtient un DU « maladies tropicales et parasitaires ». Puis il prolonge ses études avec un DU « Santé humanitaire » à Marseille. Cette dernière formation lui donne l'opportunité de partir une dernière fois avant la fin de ses études en mission humanitaire à Madagascar.
Bénévolat à Médecins du monde
Après toutes ces expériences, il envisage de s'installer à Angers. « Je ne me voyais pas repartir en mission humanitaire pour une période trop longue. À Angers, je voyais les flux migratoires augmenter. On voyait de plus en plus de migrants précaires et ça m'interpellait » confie-t-il.
Témoin de cette misère sociale, il décide en 2009 de s'engager auprès de Médecins du monde à Angers. Il s'installe parallèlement en libéral dans une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) située dans un quartier prioritaire d'Angers. Là-bas, il prend en charge une grande majorité de patients précaires.
Au sein de Médecins du monde, Dr Emmanuel Baudry s'occupe de la mission Caso (centres d'accueil de soins et d'orientation). Une à deux fois par semaine, il réalise des consultations auprès de patients souvent sans couverture sociale. « Les gens étaient accueillis, soignés et écoutés sans être jugés », affirme-t-il.
Manque de moyens des structures associatives
Mais rapidement, le Dr Emmanuel Baudry se sent un peu frustré : « Le Caso était une structure bénéfique mais nous étions très vite limités par le manque de moyens. Nous faisions de pseudo-consultations avec peu de matériel et une pharmacie très peu fournie. Nous ne pouvions pas faire des examens complémentaires, avoir un suivi régulier des patients, réaliser du soin de qualité », admet-il.
Le praticien souligne d'ailleurs certains aspects pernicieux de ces structures associatives : « Les institutions, et notamment l'État, se reposent beaucoup sur les associations. C'est pourtant à lui de s'occuper des personnes à la rue ! »
« Pour faire avancer les choses », les bénévoles de Médecins du monde décident en 2015 de fermer la structure pour « laisser la place » à la Pass (Permanence d'accès aux soins de santé).
« C'était la meilleure chose à faire, explique le Dr Emmanuel Baudry. Petit à petit, la Pass a évolué, les présences ont augmenté... Maintenant, elle est ouverte tout le temps, les choses ont bien évolué. Si nous n'avions pas fermé le Caso, la Pass continuerait sûrement de vivoter. »
Transmission aux futurs médecins
Si le praticien fait toujours partie des rangs de Médecins du monde et développe depuis 2017 un projet de création d'interprétariat à destination des généralistes, il avoue avoir un peu « levé le pied ».
Son cheval de bataille, désormais ? Transmettre aux jeunes générations tout ce qu'il a appris. Ainsi, depuis 2012, il coanime un cours intitulé « Santé et précarité » à la faculté de médecine d'Angers. Ce cours, destiné aux internes de médecine de deuxième et troisième cycles, a initialement été créé par Sylvie Cognard, son ancienne maître de stage.
Un cours que le Dr Emmanuel Baudry tient à généraliser car, selon lui, « il est essentiel de former et d'informer les jeunes à la prise en charge de la précarité. D'ailleurs, cela devrait être fait tout au long du cursus universitaire, de la première à la dernière année », estime-t-il.
Relativement confiant, le généraliste se réjouit de voir naître des « vocations » chez ses élèves. « Plusieurs fois, des étudiants sont venus me voir pour rejoindre Médecins du monde et ça, c'est la plus belle des réussites », raconte-t-il, sourire aux lèvres.
Depuis quelques semaines, le généraliste organise également, dans son cabinet, des séances de vaccination anti-Covid sans rendez-vous. Objectif ? Permettre à des patients précaires d'avoir accès (de manière simplifiée) à la vaccination « alors que beaucoup n'ont toujours pas reçu de première dose ».
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