Un printemps amer

Du refus comme style de vie

Publié le 17/05/2005
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S'INTERROGER de la sorte, exprimer de l'étonnement, sinon de l'indignation, ne revient pas à plonger dans une déférence sans bornes pour les institutions. Respecter la loi n'est pas une attitude servile, c'est un acte optimiste par lequel on soutient le fonctionnement du système et l'ordre, sans lequel rien n'est possible. Des cohortes de citoyens, pourtant doués d'une pensée articulée, nous expliquent le contraire : sans répondre à l'argument sur l'application de la loi, ils expliquent tout le mal qu'une journée de travail supplémentaire fait au petit peuple. Nous avons même assisté à un débat où lorsqu'un intervenant a fait remarquer que les salariés n'étaient pas les seuls à financer les recettes supplémentaires pour les personnes âgées et les handicapés, un autre a répondu du tac au tac : « Mais ce sont les salariés qui paient le plus ! »

Crier à l'injustice qui n'existe pas.
C'est le genre de phrase qui ne veut rien dire (en l'occurrence, elle n'a pas donné lieu à une relance du contradicteur) : les salariés paient 0,3 % de leur revenu, les épargnants aussi. Bien entendu, les épargnants qui travaillent (ou les travailleurs qui épargnent, comme on voudra) paieront sur les deux types de revenus. Si, comme c'est plus que probable, il y a plus de salariés que d'épargnants, la recette chez les premiers sera plus élevée que chez les seconds. On ne voit pas très bien où se situe l'injustice.
Le débat est donc biaisé par les nombreux mensonges qui le parsèment. Il en va de même pour le référendum européen qui donne lieu à des déclarations où les meilleurs de nos dirigeants politiques cumulent les inexactitudes ou les omissions de façon à prouver qu'ils ont raison.
Il semble que le « non » l'emportera. Mais après tout, nous n'allons pas disparaître parce qu'un coup d'arrêt aura été donné à la construction européenne. Ce qui est plus inquiétant, c'est que les « non » accumulés semblent indiquer une série de faits troublants.
- Le gouvernement ne gouverne plus. Même partielle, la mise en échec du projet Pentecôte montre que M. Raffarin propose et que le peuple dispose.
- La désorganisation s'instaure durablement. Ce n'est pas la journée compliquée d'avant-hier qui témoigne du désordre, c'est que le refus entraîne un désordre plus profond, celui des esprits : tout le monde, ou à peu près, dit « non » à tout ou à peu près à tout, mais le « non » ne met pas en place une autre organisation de la société. Les syndicats de travailleurs devraient réfléchir sur ce point. Depuis trois ans, on a procédé à quelques réformes qui seraient plutôt des demi-réformes, mais tellement détestées qu'elles risquent fort de s'enliser. Où est, en effet, la limite de la désobéissance civile ? Aujourd'hui, je fais grève pour compenser la journée travaillée que m'impose le gouvernement. Demain, je pourrai, en m'appuyant sur un mot d'ordre syndical, ne pas payer mes impôts, ou contester les prélèvements sociaux sous le prétexte que l'argent prélevé ne va pas aux causes que je défends. Si nous sommes assez nombreux à ne pas payer, notre mettrons l'Etat en faillite. Car il n'aura pas assez de fonctionnaires pour sanctionner un aussi grand nombre de contrevenants.

EST-CE QUE TOUT CELA EST BIEN RÉPUBLICAIN ?

Le référendum accroît les tensions.
Lundi, quelques journaux estimaient que l'affaire de la Pentecôte allait grossir les rangs du « non » au référendum. Mais on peut dire le contraire : il s'est créé un puissant « front du refus » à l'occasion du référendum, il a donné de la voix pour la Pentecôte. Sinon, comment expliquer que les « non » au jour férié travaillé n'aient réagi que tout récemment, alors que la loi a été adoptée l'année dernière ?
Avec une insolence qui en dit long sur les mœurs politiques d'aujourd'hui, des leaders de la gauche ont demandé à Jacques Chirac et à Jean-Pierre Raffarin de cesser leur campagne en faveur du « oui » car ils sont trop impopulaires et font fuir les votants. Mais eux-mêmes, en jetant un tel discrédit sur le président de la République et sur le Premier ministre, croient-ils qu'ils n'aient pas réjoui les partisans du « non », qu'ils n'aient pas consterné ceux du « oui », qu'ils n'aient pas pris une option sur le jeu de massacre dont ils seront les victimes quand ils auront pris le pouvoir, ou s'ils le prennent, en 2007 ? N'ont-ils pas contribué à cette campagne hargneuse contre tout, et notamment contre ceux qui incarnent l'autorité qu'il faut abattre, n'ont-ils pas justifié, par leur remarque, cette mauvaise humeur, cette sinistrose anormale et injustifiée qui saisit les Français ? En d'autres termes, est-ce que tout cela est bien républicain ?

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7751