Psychiatrie légale

Expert psychiatre ou psychiatre expert ?

Publié le 17/12/2015
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Dans le champ de la psychiatrie légale, le rôle du médecin est-il celui d’un expert psychiatre ou d’un psychiatre expert ? L’expert psychiatre se rapprocherait de l’« expert mandaté » (1), qui produit l’évaluation d’une situation déterminée de l’extérieur de son champ de connaissance. Le psychiatre expert serait un « expert instituant »,« qui constitue du dedans la situation » (1), via un savoir autonome. Trois pistes de lecture nous semblent refléter cette problématique.

La première renvoie à une jurisprudence dans le domaine de la réparation juridique du dommage (2). Une femme de 32 ans est victime d’un accident de voiture en juin 1994. Sept mois après, elle présente une paraplégie. Un premier expert constate la paraplégie, son impact quotidien dans la vie de la victime et l’absence de lésion anatomique corrélée aux symptômes. Il diagnostique une conversion hystérique. Le rapport conclut par un taux d’incapacité très bas selon l’argumentation suivante : la conversion est liée à l’histoire individuelle et familiale de la personne et non à l’accident ; il n’y a pas de lien de causalité direct et certain entre les lésions et l’accident ; la structure psychologique de la victime laisse supposer que les symptômes présentés seraient très probablement apparus à une autre occasion. De ce fait, l’accident est une coïncidence et non une cause nécessaire. Les juges suivent ce rapport pour motiver leur décision en 2004. La décision est cassée par la cour de cassation en 2009. L’affaire est de nouveau jugée en 2012 et, selon les principes directeurs du droit, le lien de causalité entre l’accident et les symptômes est postulé. Le deuxième expert conclut de manière identique au premier selon les mêmes arguments psychopathologiques. Les juges ne suivent pas les conclusions des médecins. Ils quantifient l’incapacité de la victime à partir des descriptions cliniques. La valeur des indices cliniques repérés par l’expert mandaté est fixée par les juges et non pas par l’expert lui-même.

La deuxième piste de lecture porte sur le champ pénal. Les auteurs du rapport sur la dangerosité psychiatrique (3) notent un glissement expertal avec la préconisation d’évaluer la dangerosité pénale, sans relation avec l’état mental du délinquant. La question posée au médecin n’est plus celle d’un diagnostic, mais celle d’un pronostic concernant le risque de récidive. Les magistrats instituent une clinique de la récidive, qui n’entre plus dans le champ spécifique du savoir psychopathologique.

Dernière piste de réflexion : les divergences de conclusion des experts sur l’abolition du discernement. Elles montrent la difficulté des psychiatres à s’asseoir sur une base théorique consensuelle. Trois groupes d’experts se distinguent :

- ceux qui pensent qu’il faut un lien direct et exclusif entre la maladie et l’infraction, lien qui est décrit par une analyse minutieuse de l’état mental et du rapport du sujet à son infraction ;

- ceux qui refusent systématiquement une irresponsabilité ;

- ceux pour qui il suffit qu’il y ait pathologie pour poser l’irresponsabilité ; c’est le diagnostic de l’état mental qui prime (4).

Une étude des motifs de ces divergences fait ressortir différentes explications (5) : ce sont souvent des principes non pas cliniques mais idéologiques qui motivent les conclusions ; la notion de lien causal est peu claire ; les explorations sont souvent stéréotypées et basées sur des copier-coller. Cela pose la question de la formation des experts, de leur formation clinique et des conditions matérielles de réalisation des examens, faits le plus en plus souvent dans la précipitation.

Cette analyse nous conduit à un souhait : faisons en sorte que l’expertise en psychiatrie soit bien le fait de psychiatres formés à la clinique psychiatrique et faisant le choix de devenir expert au travers d’une formation et d’une démarche ambitieuses. L’annonce de la création prochaine d’un DESC de psychiatrie légale, subordonné au DES de psychiatrie, est dans cette perspective extrêmement encourageante, en augurant d’une nouvelle dynamique et d’une émulation précieuse sur le riche terreau de la clinique psychiatrique.

CH Sainte-Anne, université Paris-Descartes, Paris

(1) Borelle C. La place de l’expertise psychiatrique dans l’évaluation du handicap psychique. Le cas de l’autisme, L’information Psychiatrique 2014;(90);4:259-66

(2) Bernfeld C, Billal F. Droit du dommage corporel. La Gazette du Palais, 46-48, Février 2015, 135e année.

(3) Hureau J, Olie JP et Archambault JC. Evaluation de la dangerosié psychiatrique et criminologique, Académie Nationale de Médecine et Conseil National des Compagnies d’Expert de Justice.

http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/10/2012.8.pdf

(4) Zagury D. Comment discuter de l’abolition du discernement face aux évolutions récentes de la clinique et de la thérapeutique psychiatrique ? http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/expertise/textesexperts/z…

(5) Guivarch J et al. Divergences dans l’expertise psychiatrique de responsabilité : bilan et premières hypothèses à travers une revue de la littérature, L’Encéphale 2015;41:244-50

Dr Frédéric Advenier et Xavier Laqueille

Source : Bilan spécialiste