TROIS PANDÉMIES grippales ont eu lieu au cours du XXe siècle, à l’origine de plusieurs millions de décès. Pour chacune des trois, une nouvelle souche du virus influenza a été introduite dans la population humaine à partir d’une souche d’origine animale. L’émergence d’une épizootie de grippe aviaire due au virus influenza A (H5N1) a renforcé la crainte de l’apparition d’un nouveau virus grippal adapté à l’homme, pouvant entraîner une pandémie. A présent, il est impossible de prédire les mutations et les réassortiments viraux ; on ne sait donc pas quand aura lieu la prochaine pandémie de grippe et on ignore la contagiosité et la virulence du virus grippal qui pourrait émerger. Dans ces conditions, il est difficile d’établir a priori un « scénario type » de réponse à une pandémie.
Des simulations mathématiques au service de la santé publique
Grâce à des modèles mathématiques, on peut dès à présent explorer l’impact potentiel d’une pandémie et évaluer l’efficacité des stratégies de contrôle envisageables. L’intérêt de ces outils mathématiques est de permettre la simulation de nombreux scénarios en fonction notamment de la virulence, de la contagiosité de la souche et des mesures de contrôle.
Si l’amorce d’une pandémie était détectée, plusieurs mesures de contrôle pourraient être envisagées. Pour mesurer leur impact, on peut s’intéresser à leurs effets sur le taux d’attaque global (proportion de la population touchée), sur la vitesse de propagation ou encore sur la dispersion géographique des cas.
Certaines des mesures envisageables visent à limiter la propagation d’une infection au niveau local comme l’administration d’antiviraux à des fins curatives, mais également en prophylaxie, l’isolement des cas détectés, le port de masque (notamment par le personnel soignant) et la vaccination de la population (à condition qu’un vaccin efficace existe). Plusieurs travaux de modélisation mathématique ont montré que de telles mesures pourraient diminuer le taux d’attaque de façon plus ou moins importante.
Arrêter la grippe aux frontières?
On peut également se demander si, lors d’une pandémie, contrôler les flux de transports permettrait de la circonscrire géographiquement et d’éviter l’exportation de cas dans des zones non touchées. Des simulations sur ordinateur ont permis d’apporter des réponses sur l’impact potentiel d’une restriction des flux de transports aériens sur la propagation globale d’une pandémie. Dans ce cadre, plusieurs auteurs s’accordent à dire qu’une restriction des flux de transports entre les pays permettrait de ralentir la propagation de la pandémie mais, à moins d’être quasiment totale, aurait peu d’impact sur le taux d’attaque global ou sur le nombre de villes ou de pays touchés.
Pour aborder cette problématique, les auteurs ont eu des approches différentes. Certaines études portent sur l’impact d’une restriction des flux de transports sur le volume des cas exportés d’une zone touchée vers des zones indemnes. C’est le cas des travaux de Hollingsworth et de ses collègues de l’Imperial College de Londres (1). Leurs travaux indiquent que la réduction des flux de transports devrait être de plus de 99 % pour que le temps moyen entre les exportations de cas soit de l’ordre de plusieurs semaines.
Une autre approche a été d’étudier la diffusion de l’infection à l’intérieur d’un pays et l’importation des cas des zones touchées vers ce pays. D’après les simulations réalisées par Ferguson et coll., pour les Etats-Unis, un contrôle drastique aux frontières (> 99 %) serait nécessaire pour retarder le pic épidémique de plus de trois semaines (2). Cependant, selon une étude réalisée par l’équipe de Brownstein, la réduction du trafic aérien, de l’ordre de 30 % suite aux événements du 11 septembre 2001, aurait retardé de deux semaines le pic épidémique de grippe saisonnière (3). Bien qu’on ne puisse pas démontrer un lien de causalité entre ce retard et la diminution du trafic aérien, ces résultats, basés sur des données observées de mortalité par grippe, incitent à plus d’optimisme quant à l’efficacité d’une réduction des flux de transports.
Enfin, d’autres auteurs se sont intéressés à la diffusion globale d’une pandémie. Par exemple, des travaux développés dans notre équipe (4) ont montré que réduire les flux aériens de moitié permettrait de retarder la diffusion de la pandémie d’une dizaine de jours en moyenne, mais ne diminuerait pas le taux d’attaque, égal à 25 % dans le scénario de référence choisi (sans interventions). D’après les simulations effectuées pour réduire le taux d’attaque, la restriction des flux de transports devrait être de plus de 90 %.
Ces quatre exemples montrent que des mesures drastiques permettraient de modifier le profil d’une pandémie. Cependant, au-delà de la quantification de l’impact d’une mesure de contrôle sur une pandémie, il est nécessaire d’avoir une réflexion sur la faisabilité économique et sociale des mesures simulées, mais également sur l’intérêt que peuvent avoir leurs effets. Les mesures axées sur la détection rapide, le traitement et l’isolement des cas semblent les plus aptes à contenir ou à réduire l’impact d’une pandémie. Mais, si le temps gagné grâce à une restriction des flux de transports permettait d’attendre l’arrivée de lots de traitements ou de personnels dans une zone touchée, il pourrait se révéler précieux.
Le plan de lutte contre une éventuelle pandémie
En France, un plan gouvernemental de prévention et de lutte contre une pandémie grippale a été établi en 2004 et mis à jour en janvier 2006 [disponible en ligne (5)]. Différentes situations ont été envisagées et de nombreuses mesures ont été préconisées pour chacune de ces situations. Concernant la restriction des flux de transports, le plan préconise la fermeture des liaisons aériennes, maritimes ou terrestres entre la France et les pays touchés si des cas humains groupés étaient détectés à l’étranger. Cette mesure pourrait également être maintenue si des cas étaient également détectés en France afin de retarder l’introduction de cas sur le territoire national. D’autres mesures sont envisagées comme le renforcement du contrôle sanitaire aux frontières ou le fait de formellement déconseiller, par communiqué de presse, les voyages non indispensables vers les pays touchés.
(1) T. D. Hollingsworth et al. Will travel restrictions control the international spread of pandemic influenza ? « Nat Med », 2006 ; 12 :497-9.
(2) N. M. Ferguson et al. Strategies for mitigating an influenza pandemic. « Nature », 2006 ; 442 : 448-52.
(3) J. S. Brownstein et al. Empirical evidence for the effect of airline travel on inter-regional influenza spread in the United States. « PLoS Med » 2006 ; 3 : e401.
(4) A. Flahault et coll. Strategies for containing a global influenza pandemic. « Vaccine », 2006 ; sous presse.
(5) Secrétariat général de la Défense nationale. Plan gouvernemental de prévention et de lutte « Pandémie grippale ». Disponible sur http://www.grippeaviaire.gouv.fr/article.php3?id_article = 154, daté du 6 janvier 2006.
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