Entre volonté de transparence et pragmatisme

Faut-il toujours dire la vérité aux patients ?

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Publié le 25/02/2019
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Crédit photo : phanie

À la faveur d’une chronique sur France Inter, qui a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et, sans doute, dans les salles de garde, le médecin et écrivain, Baptiste Beaulieu a relancé la discussion. Autour de la question de la vérité à dire aux patients, une ligne de crête peut se dessiner entre la volonté de transparence et la réalité des pratiques. « Tant que la relation de soin sera un colloque singulier, cette question sera pertinente… et ne sera pas, estime Baptiste Beaulieu. La question ne se pose pas en soi. Il est toujours pertinent de dire la vérité au patient car c’est sa vie, son corps, et qu’il faut permettre au patient de devenir sachant pour qu’il puisse - en fonction - prendre une ou plusieurs décisions éclairées », poursuit-il.

Le praticien insiste également sur la manière de parler, d’annoncer et sur les mots utilisés pour ce faire. Car c’est évidemment lors de l’annonce d’une maladie pouvant engager le pronostic vital que la question de la vérité à dire aux patients se pose avec la plus grande acuité. « Un déontologiste dira : “monsieur vous avez un cancer”. Un conséquentialiste dira, en fonction de ce que l’annonce aura comme impact sur la vie du patient : “Que savez-vous ?", "Que suspectez-vous ?, puis il adaptera sa réponse en disant la vérité au patient, mais en utilisant ses mots à lui. Et pas ceux d’un vocabulaire froid, scientifique et désincarné », précise Baptiste Beaulieu.

Le droit de savoir

À son image, les praticiens sont aujourd’hui convaincus de la nécessité d’informer les patients. Ils sont éloignés des postures distantes et techniciennes adoptées par exemple par le Dr House dans la série télévisée du même nom, personnage capable de mentir ou manipuler ses patients. « Ce n’est pas un questionnement contemporain : nous nous devons de respecter la dignité des patients, affirme le Dr Christian Lehmann, généraliste et écrivain également. D’autant que le mensonge est ensuite porté par toute la chaîne : tout le monde se retrouve à jouer cette fausse partition ». Le patient est ainsi aujourd’hui largement considéré comme étant en droit de savoir.

Le code de déontologie médicale, compris dans le Code de santé publique, stipule en effet, dans le premier alinéa de l’article 35, que le médecin « doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ». Si la formule est claire, le second alinéa de ce même article apporte une souplesse au principe posé, voire une confusion. Il précise en effet que « le praticien apprécie en conscience » ce qu’il révèle à son interlocuteur, avec toujours en ligne de mire « l’intérêt du patient », mais aussi, dans le cas d’un « pronostic fatal », avec « circonspection ». Une marge de manœuvre est ainsi laissée à l’appréciation des praticiens.

L’enjeu apparaît ainsi être bien plus celui des modalités et des conditions de la parole du médecin que la vérité elle-même. « Le bémol est celui de la vérité que le patient veut entendre, juge le Dr Olivier Dubreuil, gastro-entérologue et oncologue au centre hospitalier de la Croix Saint-Simon. Avec l’expérience, on sent rapidement quels sont les besoins du patient pour construire sa lutte contre la maladie. S’il ne pose pas de questions précises, il faut prendre le temps d’aborder les aspects les plus délicats. On ne peut pas lui asséner les informations ».

Au-delà de l’aspect éthique, dire la vérité au patient et l’informer, que ce soit à propos du diagnostic ou à propos de son traitement, apparaissent essentiels pour lui permettre de se positionner comme un acteur de sa prise en charge. « Un patient informé devient un allié de sa prise en charge. On sous-estime trop souvent les ressources du patient, insiste le Pr Sandrine Faivre, oncologue à l’hôpital Saint-Louis. Je n’hésite pas par exemple à montrer les scanners aux patients pour qu’ils disposent d’une représentation réelle et non d’un fantasme. Voir la taille limitée d’une lésion par rapport à celle de l’organe permet de désamorcer l’angoisse, de prendre conscience que l’organe fonctionne dans de bonnes conditions. Les patients peuvent ensuite se concentrer sur le soin ».

S'émanciper de ses préjugés

Pour autant, les médecins peuvent parfois peiner à s’extraire de certains biais. L’anthropologue Sylvie Fainzang s’est ainsi intéressée aux pratiques des médecins dans plusieurs services d’oncologie et de médecine interne (1). « L’observation de nombreuses consultations et des échanges entre médecins et patients permet de se rendre compte que les praticiens donnent plus volontiers des informations aux patients de milieux favorisés, avec l’idée qu’ils comprendront mieux et qu’ils supporteront mieux ». Cette attitude bien sûr inconsciente a pour résultat de renforcer les inégalités sociales d'accès à l'information puisque les patients les plus défavorisés sont également ceux qui sont les moins outillés pour rechercher ailleurs de l’information.

L’anthropologue a également pu constater la présence de mots tabous dans le vocabulaire employé. « Les termes “tumeur” ou “cancer” sont aujourd’hui banalisés, notamment parce qu’avec les progrès de la médecine, cette pathologie n’est plus nécessairement létale, observe Sylvie Fainzang. Le mot “métastase” est plus complexe à utiliser : en le prononçant, les médecins craignent que soit perçu un pronostic, alors qu’il s’agit bien d’un diagnostic ».

Conscients en partie de ces limites, les médecins ont fait évoluer leurs pratiques. « Nous communiquons mieux et plus, malgré la dégradation des conditions d’exercice », constate le Pr Sandrine Faivre. Les annonces difficiles sont effectuées dans le cadre de consultations longues. Depuis le premier Plan Cancer, ces consultations sont suivies d’un second entretien, avec une infirmière d’annonce par exemple, pour offrir aux patients la possibilité de poser leurs questions, une fois passée la sidération que peut provoquer ce type de nouvelle.

Dans les services d’oncologie, des réunions sont également organisées sur une base quotidienne ou hebdomadaire avec l’ensemble des professionnels de santé, mais aussi avec les personnels non soignants. « Les patients n’expriment pas la même chose auprès des différents soignants, ou auprès d’un membre non soignant de l’équipe, souligne le Dr Olivier Dubreuil. Il pourra par exemple, au cours de la nuit, confier ses angoisses à une aide-soignante. En discuter en équipe nous permet de mieux comprendre les patients et donc de mieux les accompagner ». La confrontation du regard des médecins à celui des autres acteurs de la prise en charge d’un patient peut se révéler salutaire. « Le médecin ne peut pas oublier d’où il vient et qui il est, rappelle le philosophe Frédéric Le Blay. Mais l’échange avec d’autres corps de métier peut lui permettre de prendre conscience de ces biais de perception et d’en réduire les effets ».

(1) « La relation médecin-malade : information et mensonge », PUF, 2006

Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin: 9727