Lutte contre le tabac en France

Il faut aller plus loin

Publié le 29/05/2006
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LA LUTTE contre la tabagisme enregistre quelques bons résultats en France. Selon le baromètre santé 2005, la proportion de ceux qui déclarent fumer « ne serait-ce que de temps en temps » chez les 12-75 ans, est passée de 33 % en 2000 à 30 % en 2005, avec une diminution notable surtout chez les jeunes et les femmes. «Cependant, on ne peut se satisfaire de ce résultat, d’autant plus que les fumeurs les plus dépendants ne sont guère concernés par ces progrès», souligne le directeur général de l’Institut de veille sanitaire, le Pr Gilles Brücker, dans l’éditorial qu’il signe dans le numéro 21-22/2006 du « BEH ». La lutte doit se poursuivre par des mesures réglementaires telles que les hausses des prix et par des campagnes de prévention mieux ciblées en direction de populations spécifiques et qui tiennent compte des moments de la vie propices à l’arrêt du tabac, comme dans la période préopératoire ou pendant la grossesse.

Une conférence de consensus a montré, en octobre 2005, que le tabac nuit gravement aux suites opératoires, retarde la cicatrisation et favorise l’infection de la plaie opératoire. La seule mesure de prévention efficace consiste à arrêter de fumer 6 à 8 semaines avant l’intervention (« le Quotidien » du 7 octobre 2005).

Mesure du CO expiré.

Une année plus tôt, en octobre 2004, une conférence de consensus avait précisé les actions prioritaires à mettre en place pour lutter contre le tabagisme pendant la grossesse. L’étude que publient Michel Delcroix et Conchita Gomez montre que le chemin est encore long. Il s’agit d’une étude prospective toujours en cours, qui a débuté en décembre 2004 et qui doit se terminer en décembre 2006. Dans 31 des 89 maternités qui ont signé la Charte maternité sans tabac dans le cadre de la mesure 10 du Plan cancer, une mesure du monoxyde de carbone de l’air expiré a été proposée à toutes les parturientes et réalisée à l’entrée en salle de naissance chez la mère et son conjoint lorsqu’il était présent. Les premiers résultats intermédiaires sont aujourd’hui disponibles pour 13 330 parturientes, soit 38 % des accouchements survenus pendant les 12 premiers mois de l’étude. Ils montrent que «30% des femmes déclarent fumer avant la grossesse et 15% ont continué jusqu’à l’accouchement». Cinquante-trois pour cent des fumeuses ont arrêté durant la grossesse. L’étude montre que le taux de CO expiré mesuré à l’accouchement est inversement proportionnel au poids de naissance, au périmètre crânien, au score d’Apgar, à l’âge gestationnel et au score de Fischer et Krebs du rythme cardiaque foetal. Le poids, en particulier, est dose-dépendant et diminue significativement avec l’augmentation du CO expiré maternel. Le taux de CO expiré des conjoints est également associé de manière significative à une diminution de poids de naissance du nouveau-né, et influence les autres critères comme le score d’Apgar, le périmètre crânien et l’âge gestationnel. «Il s’agit de la première étude multicentrique qui évalue à la fois le taux de CO expiré maternel et paternel en lien avec les critères néonataux à l’accouchement», précisent les auteurs. La mesure du CO s’est révélée être une mesure simple. Facile à réaliser en pratique clinique, elle permet de cibler les patientes à risque de survenue de complications obstétricales, de dépister le tabagisme passif du conjoint fumeur pour mieux prendre en charge et suivre la grossesse.

Des jeunes, surtout les filles.

L’entrée des jeunes dans le tabagisme est un autre moment décisif. Deux études font le point. La première compare la consommation de tabac des 11-15 ans dans 7 pays européens (France, Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne, Suède, République tchèque et Pologne). En moyenne 15 % des jeunes Européens ont déjà fumé à 11 ans, 62 % entre 11 et 15 ans et 67 % à 16 ans. Le tabagisme quotidien (au moins une cigarette par jour depuis les 30 derniers jours) concerne 0,6 % des jeunes Européens de 11 ans, 5 % à 13 ans, 17 % à 15 ans et 24 % à 16 ans. Les jeunes Français sont dans la moyenne européenne, avec une proportion de « fumeurs quotidiens » légèrement supérieure (32 % contre 27 %). Les filles sont plus nombreuses à fumer que les garçons, une tendance qui est retrouvée dans tous les pays. La prédominance s’installe en France entre 13 et 16 ans. La prévention est prioritaire à cet âge et doit être différenciée pour les garçons et les filles.

L’étude Escapad, mise en place en 2000 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanes (Ofdt), confirme pour sa part la nette diminution de la consommation observée chez les jeunes. Elle permet de mesurer l’impact positif de la hausse du prix du tabac survenue entre 2003 et 2004.

Cependant, la prudence s’impose. Un quart des fumeurs quotidiens dit n’avoir en rien modifié sa consommation et le taux de ceux qui se déclarent anciens fumeurs n’a pas augmenté : à 17 ans, en 2005 comme en 2003, 5 % des jeunes seulement se déclarent anciens fumeurs. Parmi eux, seulement 40 % affirment avoir arrêté à cause de la hausse du prix du tabac. La hausse des prix semble surtout décourager l’expérimentation et l’entrée dans le tabagisme. Le déplacement de consommation, notamment vers le tabac à rouler, doit aussi être pris en compte. «Il faut aller plus loin», affirme le Pr Gilles Brücker. En particulier, vers l’interdiction de fumer dans les lieux publics, y compris les cafés et les restaurants. «Rarement une mesure de santé publique pourrait être porteuse d’un tel bénéfice pour la santé des populations avec une telle adhésion de celles-ci. Peut-on imaginer qu’après tant d’autres pays, la France ne l’applique pas?», conclut le directeur général de l’InVS.

> Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7968