ON L’A ANNONCÉ en janvier dernier comme une avancée dans l’histoire de la procréation médicalement assistée. Wendy et Jared Kennedy, un couple américain, sont devenus les parents d’un bébé né de la première banque d’ovules congelés commerciale du monde, la Cryo Eggs International. «Mes ovules étaient de mauvaise qualité. J’ai appris que les ovules de la Cryo Bank étaient stockés près d’ici. J’ai décidé d’essayer», explique la femme de 41 ans qui a acheté sept ovules. Aux Etats-Unis, les agences de congélation d’ovules se sont multipliées. Le marché est lucratif : pour conserver une douzaine de ses propres ovules, chaque cliente doit débourser plus de 12 000 euros. La décongélation suivie de la fécondation invitro coûte un peu plus de 4 000 euros. Les clientes de ces banques ont, en moyenne, entre 35 et 40 ans. En majorité célibataires ou divorcées, elles misent sur la congélation d’ovules pour avoir la chance, le jour venu, de refaire leur vie.
A ce jeu, il y a toutefois peu de gagnantes. «Le rendement des techniques de congélation des ovocytes matures est très mauvais», confirme le Pr Pierre Jouannet, directeur du centre d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (Cecos) de Cochin, à Paris. Dans l’ovocyte, les chromosomes sont reliés à des fibres thermosensibles qui supportent mal le changement de température.
«Actuellement, il y a deux voies de recherche, poursuit le Pr Jouannet. La première, pratiquée chez la souris, est expérimentale: elle consiste à congeler des ovocytes immatures puis à les faire maturer in vitro avant fécondation. La seconde voie a déjà donné des résultats positifs: il s’agit de congeler des fragments d’ovaires en vue d’une transplantation. Quelques naissances ont été obtenues aux Etats-Unis et en Belgique à partir d’une transplantation d’ovaires.»
Cette technique permettrait de prélever des fragments d’ovaires sur des patientes cancéreuses avant traitement par chimiothérapie, comme cela se fait pour les hommes qui peuvent congeler leur sperme. «Mais cette possibilité d’autogreffe pour les femmes pose un problème si les fragments d’ovaires renferment des cellules cancéreuses. Or il n’est pas si simple de vérifier sans détruire», précise le Pr Jouannet.
En France, le concept de banque de sperme est né avec les premiers laboratoires hospitaliers consacrés à l’étude de la fertilité. En 1973, le Pr Georges David crée officiellement le premier Cecos, à Bicêtre, afin de prendre en charge les inséminations avec sperme de donneur selon des méthodes médicales, éthiques et sanitaires rigoureuses. Mais une deuxième situation s’est très vite imposée lorsque des cancérologues, tels que le Pr Jean Bernard, ont orienté leurs patients vers les Cecos afin de préserver leur fertilité. De banque de sperme, les Cecos sont également devenus, avec le développement de la fécondation invitro dans les années 1980, banque d’embryons. La prise en charge médicale de ces modes de procréation, par don de gamètes ou par accueil d’embryons, a été formellement reconnue par la loi de bioéthique de 1994 qui a inscrit ces actes dans le champ de l’assistance médicale à la procréation et en a défini les modalités d’organisation (non commerciale). Aujourd’hui, l’activité est assurée par 24 Cecos réunis en une fédération nationale.
De nombreuses questions éthiques.
Mais si le don de gamètes et l’accueil d’embryons sont reconnus par la loi, leur pratique suscite encore de nombreux débats médicaux et de société. «La technique de l’AMP a permis peu à peu aux gens de formuler des demandes auxquelles nousn’avions pas pensé au départ», reconnaît le Dr Jean-Marie Kunstmann, du Cecos de Cochin. Que répondre à ce militaire qui, avant de partir au Liban, désire congeler son sperme ? Doit-on considérer qu’il s’agit d’une raison médicale ? A partir du moment où l’on peut conserver des fragments d’ovaires, doit-on refuser la possibilité d’une autogreffe pour des femmes ménopausées ? Faut-il fixer une limite d’âge butoir au couple qui veut recourir à l’assistance médicale à la procréation, ou traiter les demandes au cas par cas comme on le fait aujourd’hui ? Doit-on continuer à refuser un don de sperme à une femme célibataire alors qu’en Belgique ou aux Etats-Unis, une telle demande peut être satisfaite ?
«Nous essayons d’avoir des principes communs au sein des Cecos. Notre activité s’assoit sur des raisons médicales et non sur des convenances personnelles, rappelle le Pr Jouannet. Lorsque nous sommes devant des cas compliqués, nous en discutons en staff. Par exemple, lorsqu’un médecin nous envoie son patient âgé de 75ans, atteint d’un cancer de la prostate, pour conservation de son sperme, nous pouvons nous interroger sur l’opportunité de cette indication. Les médecins des Cecos ne sont pas contre l’évolution de la société, mais ce n’est pas à eux de décider seuls de la légitimité des demandes», insiste le spécialiste.
Et le Dr Kunstmann de conclure : «Nous devons anticiper sur les questions qui nous serons posées par les futurs enfants conçus grâce à l’AMP.»
A vendre sur Internet
Sur certains campus nord-américains, c’est devenu une industrie. Il est vrai que pour une étudiante en manque de moyens financiers, l’offre est alléchante : de 5 000 à 8 000 dollars pour donner ses ovules à un couple infertile et jusqu’à 35 000 dollars en cas d’exigences particulières, du genre yeux bleus ou QI élevé. Debora Spar, professeur à la Harvard Business School, évalue le marché à 40 millions de dollars par an, selon un reportage sur CBS News.
Ce sont les cliniques de fertilité qui font les prix. Et leur business est florissant. D’autant plus qu’elles peuvent faire leur publicité dans le monde entier grâce à Internet. L’Egg Donor Programme, une clinique californienne s’adresse aux internautes en français, entre autres, et leur offre «trois cents donneuses d’ovules, belles et intelligentes». On peut faire son choix grâce aux photographies. Une autre est spécialisée dans les donneuses asiatiques. Un établissement encore ne recrute que des étudiantes de 18 à 27 ans dont les notes sont au minimum B+ ; la liste des donneuses précise race, origine des parents, taille, poids, couleurs des yeux et des cheveux, mais aussi les matières étudiées. Certaines cliniques proposent également des mères porteuses.
Les banques de sperme sont encore plus anciennes. Plusieurs sélectionnent leurs donneurs sur leurs qualités intellectuelles, mais la banque californienne qui comptait quelques prix Nobel dans son offre a dû fermer.
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