La grande dissimulatrice

Le Pr Sylvie Bonin-Guillaume, gériatre au CHU de Marseille et membre de la Société française de gérontologie exhorte à sortir des idées reçues. « Vieillesse n’implique pas tristesse, absence de projet, immobilité et plaintes somatiques obligatoirement organiques… Le sujet âgé a le droit d’être déprimé ! Diagnostiquée à temps et correctement traitée, la dépression guérit. »

Le risque suicidaire est majeur chez le sujet âgé surtout chez l’homme. « Osons poser les bonnes questions. Avez-vous : des idées suicidaires ? élaboré un scénario ? accès à des moyens létaux ? Si oui, hospitaliser en milieu spécialisé ! Loin d’un appel à l’aide, le suicide du sujet âgé est réussi (pendaison, arme à feu, défenestration…) », prévient la spécialiste.

Les autres risques ? La dénutrition dont la dépression est la principale pourvoyeuse en EHPAD et l’inobservance des traitements de comorbidités et de la dépression (50 % des patients arrêtent l'antidépresseur trop tôt).

Particularités sémiologiques

La femme isolée, dépendante avec douleurs chroniques rebelles est de préférence atteinte. Les échelles de repérage peuvent aider. Elles ne sauraient faire le diagnostic. Il reste clinique (interrogatoire orienté, examen clinique). En cas de doute, solliciter un avis psychiatrique.

Car la dépression du sujet âgé se joue du médecin. Ici, elle revêt l’atour d’un trouble somatique ; là, elle se tapit derrière des chutes, un cancer, une démence… « Sachons porter attention à un sentiment d’inutilité ou de fardeau, à une perte d’élan vital et rechercher des signes associés de la dépression (troubles du sommeil ou de l’alimentation), suggère le Pr Bonin-Guillaume. Un patient atteint de cancer perd parfois 10 kg du fait d’une dépression ».

La dépression masquée est très fréquente. Les plaintes somatiques au 1er plan (dyspnée, oppression, vertiges, constipation… ou plaintes de perte de mémoire simulant un trouble cognitif) font multiplier les explorations. En absence de tristesse, le diagnostic erre. Or plus le traitement est précoce, plus il est efficace !

La mélancolie (brutale altération de l’état général, prostration) peut sembler une fin de vie volontaire, un syndrome de glissement, mais c’est une urgence psychiatrique. Tout comme la rare dépression à délire négatif (persécution, ruine), plutôt masculine, à haut risque suicidaire.

La dépression du patient dément (37 % des cas) existe et se soigne. Mais le diagnostic est délicat (symptômes communs, pas de critères spécifiques), du ressort du spécialiste. Un traitement antidépresseur d’épreuve peut être utile.

Pas de « petit » traitement

Si soutien psychothérapique et thérapies cognitivocomportementales peuvent aider, le traitement de la dépression repose sur les antidépresseurs (et non les benzodiazépines ou neuroleptiques !). L’efficacité des classes thérapeutiques est identique. La HAS (1) privilégie en 1re intension les inhibiteurs de recapture de la sérotonine. « Débuter à demi-dose. Augmenter par paliers (de 15 jours) jusqu’à atteindre la posologie efficace adulte. Un délai de 3 mois à dose efficace est nécessaire pour juger de l’efficacité, avant de modifier le traitement. En avertir le patient pour éviter un arrêt prématuré qui exposerait à la rechute ! Réévaluer régulièrement efficacité et tolérance (chutes…). Traiter au moins 1 an après la rémission des signes, soit au total en moyenne un an et demi. Arrêter progressivement pour limiter les effets de sevrage », indique la spécialiste.

Tout risque suicidaire élevé (mélancolie, dépression sévère résistante, ou délirante) impose l’hospitalisation en milieu spécialisé. « La sismothérapie, parfois plus efficace que les antidépresseurs, peut se discuter en milieu spécialisé. Sachons bien orienter le patient », conclut le Pr Bonin-Guillaume.

(1) HAS : épisode dépressif caractérisé de l’adulte, oct. 2017