C’EST LE COLLECTIF des médecins généralistes pour l’accès aux soins (Comegas) qui a saisi la Halde à propos d’une enquête testing, à l’initiative du fonds CMU, réalisée dans six villes du Val-de-Marne, en juin 2006, auprès de 215 médecins et chirurgiens-dentistes. Cette enquête avait révélé que 4,8 % des généralistes testés et 41 % des spécialistes avaient refusé de recevoir des patients bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU) ; prétextant auprès d’eux d’un carnet de rendez-vous déjà plein, les mêmes praticiens, en revanche, avaient accepté de recevoir des patients sous le régime général de la Sécurité sociale.
Dans sa délibération, la Halde se déclare «consciente des difficultés que peuvent rencontrer les praticiens», mais elle n’en constate pas moins l’existence de «faits discriminatoires». Ces refus, pour l’instance présidée par Louis Schweitzer, constituent «une violation des principes déontologiques» et de la loi. La Halde rappelle que, aux termes de la Constitution d’octobre 1946, la nation «garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé»; elle souligne que le code de la santé publique stipule encore qu’ «aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention et aux soins». Et elle cite le code de déontologie médicale, selon lequel «le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard».
La Haute Autorité entend prévenir la réitération de telles pratiques et c’est pourquoi, avant de rendre publique sa démarche, elle s’est adressée au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), pour lui recommander d’informer les professionnels de santé, notamment du secteur libéral, du «caractère discriminatoire du refus d’accès à la prévention et aux soins et des conséquences de telles pratiques, eu égard aux mesures disciplinaires qui pourront être prises à leur encontre».
Ces mesures, le secrétaire général de l’Ordre, le Dr Jacques Lucas, les évoquait déjà dans un entretien publié dans « le Quotidien » le 17 octobre, à l’occasion de la publication d’un testing effectué par Médecins du Monde auprès de 725 généralistes ; il soulignait que la priorité n’était pas, à ses yeux, celle de la sanction, mais celle de «la concertation avec l’Etat, l’assurance-maladie, les organisations concernées pour procéder tous ensemble à une analyse de la situation». Le sujet ne laisse pas le Cnom inactif, puisqu’un jeudi de l’Ordre, rappelait-il, a été consacré en septembre dernier au thème de la prise en charge médicale des personnes précaires, et des rencontres ont lieu à ce sujet entre instances ordinales et direction générale de l’Uncam (Union nationale des caisses d’assurance-maladie).
Un courrier adressé par Bertrand à l’Ordre.
La Halde interpelle en outre le ministre de la Santé et des Solidarités en lui demandant de «prendre les mesures nécessaires et appropriées». Mais Xavier Bertrand non plus n’a pas attendu la Halde pour se saisir du dossier, indique-t-on à son cabinet. De fait, le ministre a adressé un courrier le 21 juin dernier au Pr Jacques Roland, président du Cnom. Il évoquait un rapport diligenté par le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle qui faisait apparaître une proportion très élevée de médecins refusant de recevoir des personnes du seul fait qu’elles sont bénéficiaires de la CMU. Le ministre qualifiait de tels comportements d’ «inacceptables», dans la mesure où «ils constituent une forme de discrimination devant l’accès aux soins et peuvent fragiliser, de par leur caractère stigmatisant, des personnes souvent socialement défavorisées».
Xavier Bertrand demandait au président du Conseil de l’Ordre de «bien vouloir rappeler au corps médical la nécessité déontologique de refuser toute discrimination à l’égard des personnes bénéficiaires de la CMU». Il l’invitait également à «veiller à ce que de tels agissements soient sanctionnés par les instances compétentes lorsqu’elles en sont saisies». Apparemment, le message a été bien reçu. Un communiqué de rappel à l’ordre déontologique est sur le point d’être diffusé, alors que le prochain Bulletin de l’Ordre revient sur l’obligation de prise en charge des patients CMU.
Même à contretemps, le coup de semonce de la Halde n’en contribue donc pas moins à mobiliser les praticiens dans la lutte contre les discriminations. Tous les relais sont d’ailleurs activés en ce sens par la Haute Autorité, qui a adressé sa délibération à plusieurs acteurs du champ de la prévention et de la santé publique : Académie nationale de médecine, Cshpf (Conseil supérieur de l’hygiène publique de France), Ccne (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé), Hcsp (Haut Comité de la santé publique), HAS (Haute Autorité de la santé), Ecole nationale de la santé publique. Et pour que cette mobilisation ne reste pas confinée dans les discours de bonnes intentions et les catalogues de voeux pieux, le président Louis Schweitzer a invité l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) à mener l’enquête.
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