L A plus haute juridiction administrative de France donne raison au Conseil national de l'Ordre des médecins, qui avait prononcé la radiation du Dr Claude Gubler en s'appuyant sur les mêmes motifs que les instances ordinales, apparemment contradictoires : d'une part, la « violation du secret médical » et, d'autre part, l'établissement de bulletins de santé « incomplets, inexacts ou tendancieux ».
Sur le premier motif, le Conseil d'Etat juge que l'Ordre « n'a pas commis d'erreur de droit » : le livre « le Grand Secret », dans lequel le Dr Gubler révélait que François Mitterrand était atteint d'un cancer diagnostiqué dès 1981, contenait, selon les attendus, « des informations nombreuses, précises et détaillées sur l'état de santé (du président de la République), ainsi que sur la vie intime et familiale (du chef de l'Etat) dont il avait eu connaissance en sa qualité de médecin traitant ».
« Au titre de l'histoire de France »
L'obligation de respecter le secret professionnel qui s'impose au praticien « ne saurait, selon le Conseil d'Etat, être levée par la circonstance que le patient aurait lui-même publiquement fait part de son état de santé ou de certains aspects de sa vie privée, ou que les informations diffusées seraient de nature à intéresser l'ensemble des Français au titre de l'histoire de France ».
L'autre motif de radiation concerne les fameux bulletins de santé publiés deux fois l'an par la présidence de la République, conformément à l'engagement pris lors de la campagne de 1981 par le candidat Mitterrand, qui souhaitait se démarquer du silence officiel autour de la maladie de Kahler, qui avait emporté en 1974 le président Georges Pompidou.
Des bulletins signés du Dr Gubler et dont, selon le Conseil d'Etat, le « caractère incomplet, inexact ou tendancieux n'est pas contesté ». Le fait d'agir à la demande du président, et au nom de la raison d'Etat, ne justifiait pas l'aliénation de l'indépendance professionnelle du médecin.
S'il ne cache pas son étonnement face aux instances ordinales, qui lui avaient appliqué la sanction disciplinaire la plus lourde, le traitant, s'insurge-t-il, « comme un paria et un voyou », après avoir travaillé avec lui, des années durant, « dans une totale confiance »*, le Dr Gubler assure n'être pas le moins du monde surpris par l'arrêt du Conseil d'Etat, « une institution française connue pour ses pinaillages, et qui ne peut en aucun cas déjuger une autre institution, comme le Conseil de l'Ordre ».
Claude Gubler, sur le fond, conteste les reproches formulés à l'encontre des bulletins de santé officiels qu'il a rédigés et signés. « Aucun élément faux n'y figure, assure-t-il. Certes, le mot cancer n'est pas mentionné, dans la période 1981-1992, mais, à l'époque, c'est parce que la maladie n'occasionnait aucun trouble majeur. Et quand j'écrivais que les examens biologiques étaient bons, c'est qu'ils l'étaient. Plus tard, après 1992, quand le président a parlé publiquement de son cancer de la prostate, j'ai fait état de l'évolution de son taux de PSA en toute rigueur et en toute exactitude ».
L'affaire aura servi de leçon
Quant à l' « aliénation de son indépendance » de médecin, le Dr Gubler en conteste la formulation : « Quand le président de la République, sans vous dire qu'il est au dessus des lois, vous interdit d'employer tel ou tel mot, tout médecin, en l'absence de connaissance juridique particulière, se conformerait à la demande venue du chef de l'Etat. Après, il est très facile de réécrire l'histoire ».
L'affaire, en tous cas, aura servi de leçon. D'abord pour le nouvel hôte de l'Elysée, Jacques Chirac, qui a aboli la pratique du bulletin de santé présidentiel, au risque de nouvelles rumeurs sur son propre état. Pour les médecins, ensuite, souligne Claude Gubler, qui estime avoir été « victime, au fond, dans toute cette affaire, de la perte de crédibilité des hommes politiques », exutoire, en quelque sorte, de la confiance perdue de l'opinion dans ses dirigeants, qu'il s'agisse de leur santé comme de n'importe quel autre sujet.
Cependant, le chemin judiciaire de l'ancien médecin du président ne s'arrêtera pas au Conseil d'Etat. Ayant épuisé tous les recours devant les juridictions nationales, il va maintenant se pourvoir devant la Cour européenne de justice. Laquelle, sans trancher sur le fond, devra apprécier si le médecin radié Claude Gubler a pu bénéficier de toutes les garanties de droit pour faire valoir ses moyens de défense. L'intéressé proteste du contraire, qui affirme, par exemple, que le mémoire rédigé contre lui par le Conseil national de l'Ordre des médecins ne lui a été délivré qu'au lendemain de l'audience statuant sur son sort.
* Claude Gubler a été médecin inspecteur de l'IGAS entre 1986 et 2000, collaborant durant cette période avec l'Ordre des médecins sur des dossiers ayant notamment trait au secret médical et à l'informatisation des données de santé.
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