POURQUOI avoir imaginé des thérapeutiques ciblées dans la polyarthrite rhumatoïde ?
Deux raisons ont incité à chercher de nouveaux traitements dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) :
Σ Des alternatives thérapeutiques sont une nécessité dans la PR, car les médicaments « classiques » comme le méthotrexate et les corticoïdes ont démontré leurs limites à la fois en ce qui concerne l'efficacité, mais surtout la tolérance.
• Les fantastiques progrès de l'immunorhumatologie ont permis de mieux comprendre les maladies auto-immunes. C'est en disséquant les mécanismes de la PR qu'on s'est rendu compte de l'importance de molécules de l'inflammation, comme le TNFa et l'IL1.
De ces progrès fondamentaux est né un grand espoir avec un nouveau concept thérapeutique qui a été de « toucher » spécifiquement une molécule (ou une cellule) impliquée dans le « puzzle » pathogénique de la PR. Ces thérapeutiques ciblées sont donc des immunothérapies dirigées spécifiquement contre une cible majeure de la maladie. On les appelle aussi biothérapies ou thérapeutiques biologiques.
Comment développer en pratique une biothérapie ?
Pour cela, il y a deux prérequis :
• savoir identifier une cible thérapeutique la plus spécifique possible pour agir au cœur du mécanisme dysimmunitaire de la maladie ;
• savoir créer des outils biologiques capables d'agir de façon très spécifique.
L'exemple le plus abouti est celui de l'anti-TNFa. Grâce à des anticorps monoclonaux ou des protéines de fusion (récepteurs solubles), il a été possible de bloquer avec une efficacité spectaculaire le TNFa qui est une molécule clé de l'inflammation rhumatoïde. Comme souvent en médecine, c'est l'outil thérapeutique qui a permis un véritable progrès car les grandes cibles thérapeutiques des maladies inflammatoires, comme le TNFa et l'IL1 étaient déjà connus depuis de nombreuses années.
Principales biothérapies.
Schématiquement, il y a 6 options essentielles dans la PR :
1. Bloquer une cytokine proinflammatoire (TNFa, IL1) en utilisant soit un anticorps monoclonal (inhibiteur artificiel), soit un récepteur soluble (inhibiteur physiologique).
2. Utiliser un inhibiteur cellulaire, comme le rituximab, qui est un anticorps monoclonal capable d'inhiber les lymphocytes B autoréactifs.
3. Neutraliser les capacités de « dialogue » des cellules de l'immunité, comme avec l'abatacept qui est une protéine de fusion (CTLA4-Ig) capable de bloquer les lymphocytes autoréactifs.
4. Utiliser une protéine recombinante qui a des pouvoirs anti-inflammatoires immunomodulateurs, comme par exemple l'IL10 humaine recombinante.
5. Bloquer le recrutement des cellules de l'inflammation en agissant soit sur les phénomènes d'angiogenèse, soit sur les phénomènes d'attraction cellulaire (induits par les chémokines) ou de fixation des cellules dans les tissus (par les protéines d'adhésion).
6. Moduler des mécanismes cellulaires importants comme l'apoptose qui régule la survie des cellules « normales », mais aussi des cellules pathologiques autoréactives.
Toutes ces stratégies sont en cours de développement et d'évaluation à des degrés divers dans la polyarthrite rhumatoïde. Elles le sont aussi (ou le seront) dans de nombreuses autres maladies inflammatoires rhumatologiques et non rhumatologiques.
Applications actuelles de ces immunothérapies ciblées
Les biothérapies commercialisées sont les anti-TNF qui ont été développés dans la polyarthrite rhumatoïde, les spondylarthropathies et la maladie de Crohn. Les inhibiteurs du TNFa sont des anticorps monoclonaux (infliximab et adalilumumab) ou des récepteurs solubles (étanercept) dont l'autorisation de mise sur le marché s'est appuyée sur un plan de développement comportant plusieurs milliers de malades pour chaque molécule avec des phases II et III contrôlées contre placebo. Ces médicaments ont indiscutablement démontré une efficacité symptomatique et structurale supérieure à toutes les thérapeutiques utilisées jusqu'à présent.
Pour l'instant, la seule autre biothérapie commercialisée est l'anakinra qui est une protéine recombinante mimant l'IL RA, antagoniste naturel de l'IL1. L'inhibition de l'IL1 reste une option très intéressante, mais l'efficacité et la maniabilité de cette molécule semblent inférieure à celle des anti-TNFa.
Implications pratiques quotidiennes.
Ces molécules sont utilisées aujourd'hui chez près de 1 million de patients atteints de rhumatismes inflammatoires dans le monde. Leur efficacité symptomatique et structural peut, dans la majorité des cas, modifier radicalement la qualité de vie, mais également le pronostic à moyen et probablement à long termes de ces patients.
En pratique, trois questions se posent actuellement :
Quand, et comment les prescrire ?
Des études récentes avec les anti-TNF suggèrent qu'une biothérapie prescrite précocement, surtout en association avec le méthotrexate, a une efficacité symptomatique et structurale très supérieure au méthotrexate seul. Ces constatations suggèrent qu'un traitement « agressif » précoce pourrait permettre d'enrayer efficacement la maladie.
Quelles sont leurs contre-indications et les précautions d'emploi ?
Notre expérience est pour l'instant issue surtout des études cliniques, mais l'utilisation à très grande échelle nous permet progressivement de mieux définir le risque en particulier d'infections sévères, mais aussi d'affections néoplasiques. La définition des contre-indications et des précautions d'emploi s'affine avec des recommandations qui reposent malgré tout souvent sur des avis d'experts plus que sur des preuves scientifiques.
Comment surveiller et informer le patient et le médecin traitant ?
L'information doit être centrée sur le risque infectieux (notamment de tuberculose et d'infections opportunistes) car il est bien défini. Néanmoins, une information est indispensable pour les risques rares ou exceptionnels, comme l'hypersensibilité et les manifestations immunes et démyélinisantes, mais aussi pour des risques plus théoriques, comme celui de cancers solides et de lymphomes.
Conclusion.
Le concept d'immunothérapie ou de biothérapie ciblée n'en est probablement qu'à ses balbutiements avec, schématiquement, trois orientations d'avenir :
- le développement de nouveaux outils biotechnologiques doit permettre d'améliorer les modalités d'administration, en tenant compte de caractéristiques individuelles. En effet, il a été démontré que la réponse aux anticorps monoclonaux peut être déterminée génétiquement, comme cela a été prouvé pour le rituximab dans les lymphomes ;
- la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques est indispensable pour essayer d'être le plus performant possible. A terme, il sera possible d'envisager l'utilisation simultanée de plusieurs biothérapies ciblées pour optimiser l'efficacité et la tolérance ;
- l'évaluation de la stratégie est un enjeu fondamental car il faudra définir s'il est nécessaire « de frapper fort d'emblée » pour rechercher plus vite une rémission complète.
* Service de rhumatologie, Strasbourg.
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