Médecin à l’île de Molène, en Bretagne

La « récréation » médicale hebdomadaire du Dr Yves Coquart

Publié le 18/06/2006
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DE NOTRE CORRESPONDANT EN BRETAGNE

PASSÉ MARS, le temps se fait plus clément et la mer plus douce pour se rendre sur l’île de Molène. L’« Enez Eussa III », le navire qui relie Le Conquet, tout près de la pointe Saint-Mathieu, à Molène, en 40 minutes, se remplit progressivement de vacanciers, qui sont bien plus nombreux à poursuivre la traversée jusqu’à Ouessant, l’étape d’après. Molène est moins fréquentée.

Il faut dire que cette île est beaucoup plus petite, avec son kilomètre carré de surface. Pourtant, à choisir entre les deux dictons populaires qui nous avertissent que «qui va à Ouessant boit son sang» et que «qui va à Molène voit sa peine», choisissons le second : Molène est sans contexte la plus accueillante. Mais si elle est moins fréquentée, elle n’en reste pas moins habitée. Deux cent trente-deux îliens y vivent. Cent cinquante y ont demeuré cet hiver, quand les autres habitants ont préféré rejoindre le continent avant d’y revenir au printemps.

C’est dans cette île que se rend tous les mardis le Dr Yves Coquart, brestois d’origine et médecin généraliste au Conquet. Une visite très attendue, on s’en doute. Et quel que soit l’état de la mer d’Iroise, chacun sait sur l’île qu’il fera le voyage. C’est le cas depuis vingt-huit ans ; depuis que, après avoir travaillé quatre ans à l’institut de cure de Plougonven, il a repris une clientèle dont l’île faisait partie.

Un mur de mer.

«Cette année, j’y suis allé tout le temps, poursuit le Dr Yves Coquart. Mais, c’est vrai, la traversée se déroule parfois dans des conditions extrêmes.» Comme ce jour de l’année dernière où le bateau de la compagnie Penn Ar Bed ne comptait que quatre passagers, dont Yves Coquart, tellement la mer était mauvaise.

« Je me souviens, un autre jour, avoir vu la mer tellement déchaînée qu’il n’y avait même plus de déferlante, mais un mur de mer   qui se dressait devant moi. » Mais pour rien au monde, le praticien ne raterait un mardi. « J’y vais avec beaucoup de plaisir, reconnaît-il. C’est une sorte de récréation médicale… Ici, pas de bobologie. Heureusement, sinon je n’aurais pas supporté de ne voir que des rhumes. Et puis, surtout, en près de trente ans, une relation très chaleureuse s’est établie entre la population et moi. C’est très gratifiant. »

« Superinfirmiers ».

C’est d’ailleurs probablement en signe de reconnaissance que Claude, un vieil îlien, la casquette vissée sur sa tête tannée par le soleil, joue chaque semaine les chauffeurs en allant chercher le médecin à sa descente du bateau pour le transporter de l’embarcadère au bourg dans sa voiture.

Tout le monde a bien compris que, à raison d’une fois par semaine, le temps du médecin est précieux. Ce mardi, comme les autres mardis, trois visites à domicile et plus d’une dizaine de consultations au dispensaire sont prévues entre 11 heures et 16 h 50. Juste le temps de prendre un café rapidement chez le secrétaire de mairie, et la tournée commence. A pied. A part le poids de la sacoche, la marche ne semble pas trop éprouvante, car les ruelles de Molène sont plutôt plates. Mais, l’hiver, avec la pluie et le vent, qui a même emporté le mât du sémaphore, l’exercice doit être très différent.

Le Dr Yves Coquart est toujours accompagné de l’infirmier de permanence, salarié de l’association Aide à domicile 29 et seul professionnel de santé présent en continu sur l’île. Objectif de ce travail d’équipe : assurer la meilleure transmission d’informations possible, un élément essentiel du suivi des habitants. «Nous nous téléphonons plusieurs fois dans la semaine pour réguler les prises en charge, précise Yves Coquart. Si un doute subsiste, je n’hésite pas à venir. Finalement, avec la vedette de la Snsm* , cela ne me demande pas plus de temps que d’aller faire certaines visites sur le continent. Jusque-là, nous n’avons pas rencontré de gros problèmes. Ces “superinfirmiers” sont la pierre angulaire de notre système.»

Ce mardi, c’est Isabelle Quemeneur qui est l’infirmière de garde. Après sept jours d’affilée passés sur l’île, disponible 24 heures sur 24 pour intervenir en urgence et, si le cas le nécessite, participer à l’évacuation en hélicoptère ou par le canot de sauvetage, elle pourra retourner dans sa famille à Portsall. Un mode de vie qui lui convient : cela fait quatre ans qu’elle exerce ainsi.

La première visite est consacrée à une dame âgée. Comme beaucoup d’habitants de l’île, elle est diabétique. Une particularité locale qui fait que plus de 10 % des Molénais le sont, selon le Dr Coquart. Sur la quinzaine de patients vus ce jour, six sont dans ce cas. La sédentarité de la population – les espaces sont limités – et certaines habitudes alimentaires peuvent expliquer, selon le praticien, la prédominance de la maladie. Beaucoup moins scientifique, on peut aussi expliquer, selon d’autres, qu’insuline a pour racine « insula », île en latin, car cette hormone se trouve dans les îlots du pancréas. 

Ce qui préoccupe la patiente, c’est l’hospitalisation d’une parente dans un hôpital brestois. Yves Coquart prend le temps d’écouter son inquiétude. Evacuer une personne âgée signifie ici, compte tenu de l’isolement, ne pas revoir très souvent la personne vivante. Pour les Molénais qui vouent encore aujourd’hui un culte à la mort (il faut, pour s’en rendre compte, se promener dans le cimetière), le constat est cruel. Et cette réalité est sans doute pour beaucoup dans la souffrance psychique causée par l’éloignement géographique qu’Yves Coquart observe, surtout chez les femmes.

Le problème financier.

A côté du diabète, d’autres spécificités molénaises sont relevées par le médecin traitant de l’île : beaucoup de problèmes de thyroïde, de cancers, de maladies cardio-vasculaires, et très peu de pathologies infectieuses. «Les îliens sont des gens assez fatalistes, attentistes, souligne Yves Coquart. On trouve donc des tableaux cliniques parfois très avancés.»

Mais la présence permanente du duo d’infirmiers, depuis le départ de la soeur-infirmière qui officiait auparavant, et les visites régulières du médecin ont quelque peu modifié le comportement des habitants vis-à-vis de leur santé. D’une visite mensuelle assurée par le médecin précédent, Yves Coquart est passé à deux, puis quatre.

A huit ans de sa retraite, le Dr Coquart pense bien sûr à l’après. D’autant plus sérieusement qu’il sait combien ce type de pratique est particulier. Du fait de l’isolement, bien sûr, qui oblige à s’adapter aux contingences d’organisation, du transport aux examens ou opérations plus lourdes qui nécessitent un séjour prolongé sur le continent. Mais, en trente ans, les desiderata des professionnels se sont aussi modifiés. Côté financier, le généraliste breton reconnaît qu’une journée à Molène n’est pas aussi intéressante qu’une journée à son cabinet du Conquet.

Enfin, tout l’édifice construit à force de régularité et de temps ne demande qu’à être renforcé. «Peut-être faudrait-il un passage deux fois par semaine car la population vieillit, ce qui augmente la charge de travail», dit Yves Coquart.

Un projet de rémunérer le médecin des Molénais à la vacation, en cours de discussion, pourrait être une piste pour assurer la continuité médicale, de la même façon que la compagnie maritime qui effectue les liaisons bénéficie de subsides pour assurer la continuité territoriale.

* Société nautique de sauvetage maritime. Traversée : 17 minutes par temps calme.

> OLIVIER QUARANTE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7981