A TOUT SEIGNEUR tout honneur, commençons par l'ouvrage de Bernard Féron - ancien journaliste au « Monde » - « la Galerie des tsars » (1), qui raconte la vie et les œuvres des femmes et des hommes plus ou moins célèbres qui se sont succédé à la tête de la Russie depuis l'émergence de Moscou jusqu'à l'époque contemporaine.
Avant d'entrer dans l'Histoire, nous entrons en effet dans la légende avec Rurik, premier chef de ce pays qui deviendra la Russie, puis saint Vladimir, Vladimir Monomaque et Alexandre Nevski, enfin Daniel qui nous fait pénétrer vraiment dans la galerie au XIIIe siècle. La lignée des descendants moscovites de Rurik qu'il inaugure en 1261 et qui s'éteint en 1598 avec la mort de Fedor Ier, est dominée par Ivan IV le Terrible, celui qui institua véritablement le tsarisme.
Commence alors le « temps des troubles » (1598-1613) avec, notamment, le règne de Boris Godounov et les intrigues des faux Dimitri, encouragés par le voisin polonais. Retour à la normale avec l'élection de Michel Romanov, qui ouvre la seconde et dernière dynastie (1613-1917). La Russie impériale dominée par les figures de Pierre le Grand, de Catherine II, mais aussi par des personnalités de moindre envergure, Alexandre Ier, Alexandre II, une période qui s'achève tragiquement avec Nicolas II.
Les maisons populaires.
C'est à la découverte d'une autre lignée que nous convie Vlada Traven - une architecte urbaniste née à Moscou et qui vit à Paris depuis 1991 - dans un essai illustré de 44 photographies inédites : « la Datcha en Russie de 1917 à nos jours » (2). Là encore, il s'agit d'une histoire mouvementée qui remonte au XVIe siècle, au temps des princes de Moscovie qui, pour les récompenser, donnaient des terres à leurs fidèles boyards.
Mais dès 1917, la datcha pose problème au pouvoir soviétique : symbole de la bourgeoisie propriétaire d'avant la Révolution, elle est cependant une aspiration populaire des Moscovites et surtout une nécessité économique face à la pénurie de logements en ville. Les Soviets finissent par l'interdire, mais rien n'est joué. Avec l'essor du Jardin collectif sous Krouchtchev, l'auteur nous montre par quels moyens les citadins vont transformer la remise à outils de leur parcelle, peu à peu, avec prudence, en datcha : la pression populaire est telle qu'en 1966 les Soviets autorisent la construction privée individuelle, soit plus de vingt ans avant l'effondrement !
Tout sur Ivan Vassilievitch.
Mais revenons à l'une des figures les plus romanesques et les plus tragiques de l'histoire de la Russie, grâce à
Jeanne Championqui signe
« le Terrible »(3). Une biographie tout à fait originale dans laquelle, s'inspirant du chef-d'œuvre d'Eisenstein consacré au même Ivan, elle fait alterner des dizaines de voix, celle du héros mais aussi celles d'espions, de biographes, de boyards, d'anonymes, et celles des proches : la tsarine, le tsarévitch.
« Avec cet Ivan Vassilievitch, l'orphelin, surnommé plus tard "le Terrible", j'ai affronté l'épouvante de l'esprit persécuté par le bien et le mal, l'équivoque des situations qu'induit un entourage prêt à la trahison et au meurtre, l'implacable paranoïa de ceux dont on a défiguré l'âme dès la naissance »
, note-t-elle.
Et parmi les derniers mots qu'elle prête à son personnage, on relève ceux-ci :
« Si je me suis approprié la tiare que j'ai posée moi-même sur ma tête d'adolescent, c'est parce que je croyais pouvoir sauver la Russie de son clergé impitoyable et de son aristocratie bâtie sur des rivalités dangereuses pour le pays. Mon entourage, mon manque de perspicacité m'ont trahi jusqu'à l'instant où il m'a été donné de recevoir l'amour et les conseils d'une femme. Elle disparue, je suis tombé dans le gouffre de la rancune et de la vengeance et n'en suis plus jamais ressorti... L'insensibilité m'a coûté si cher que je ne la souhaite à personne. Quant au pardon, je n'en veux point. Terrible j'ai été, terrible je veux rester dans la mémoire de tous. » Une enquête littéraire.
Wanda Bannour - philosophe d'origine russe et auteur de nombreuses biographies - a aussi choisi la voie de l'originalité pour délivrer « le Secret de Tchekhov » (4). Le livre est en effet censé être écrit, dans les années 50, un demi-siècle après la mort de l'écrivain, par une certaine Tatiana Richardeau, la fille de l'homme de confiance d'Alexei Souvorine, l'éditeur de Tchekhov. Dans un coffret que son père avait enterré dans sa propriété de Crimée, elle découvre un mémoire biographique de Souvorine sur la vie de l'écrivain, un journal de Tchekhov lui-même et une correspondance passionnée entre l'auteur et l'éditeur. Trois voies pour reconstituer la vie de l'auteur de «la Cerisaie » et d'« Oncle Vania » et une grande enquête littéraire au cœur de l'URSS stalinienne.
Vie et mort d'un séducteur.
Toute autre, mais oh ! combien intense et passionnée aussi, fut la vie du grand écrivain russe que nous restitue Corinne Pouillot - professeur de russe et romancière - dans « Pouchkine. Le génie de l'amour » (5).
Enfant d'une noblesse russe très ancienne, littérateur et poète précoce, dandy de Saint-Pétersbourg, écrivain libre censuré et exilé, historien officiel du tsar, homme d'intrigues et de mondanités, Alexandre Pouchkine n'aurait pu rêver vie plus romanesque... si celle-ci ne s'était achevée dès sa trente-huitième année, dans un duel pour son épouse. Alors que, bien que n'étant pas très beau et trop petit, il sut séduire un nombre incalculable de femmes, jusqu'à tenir, comme don Juan, non pas une seule mais deux listes !
L'ouvrage est enrichi de traductions d'extraits jusqu'ici inédits en français de l'œuvre et de la correspondance de Pouchkine.
Une œuvre censurée.
Autre auteur à redécouvrir à travers une œuvre quasiment inédite intitulée
« Une confession »(6),
Maxime Gorki.
Paru en 1908, ce roman avait en effet été traduit en français dès l'année suivante mais avec d'importantes et de nombreuses coupures et il ne figure pas dans ses « Œuvres complètes » en français qui comptent quand même vingt et un volumes. Cela alors que Gorki le considérait comme son œuvre « la plus mûre ».
La raison est que cette confession d'un personnage de fiction, très proche cependant de son auteur, est l'histoire d'une quête de Dieu, condamnée sans appel par Lénine. Plus précisément, c'est le récit d'une conversion : non d'une conversion de l'incroyance à la foi, mais d'une foi à une autre, d'un Dieu créateur à un dieu créé, ou plutôt en train d'être créé par une humanité en formation, libre et fraternelle. Un processus lent et douloureux que Gorki décrit à travers les rencontres de son héros avec des personnages pittoresques, dépositaires chacun de vérités partielles : pèlerins mendiants ou filous, moines aigris ou débauchés, prophètes, bouffons, voleurs sympathiques, filles de joie, requins, etc. C'est toute la Russie profonde qui défile là.
La fille de Marina Tsvetaeva.
Sous le titre « Chronique d'un goulag ordinaire » (7) paraît un recueil des lettres qu' Ariadna Efron, la fille de la grande poétesse Marina Tsvetaeva, écrivit à ses proches pour survivre dans les camps où elle a passé quinze ans de sa vie.
Née en Russie en 1912, Ariadna suivit sa famille en exil dès 1922, puis passa son adolescence et sa prime jeunesse en France, où elle fréquenta l'École du Louvre. En 1937, sous l'influence de son père, qui était à Paris l'un des dirigeants de l'association « Union pour le retour », elle décida de retourner en URSS, où elle travailla pendant deux ans à l'Union des revues et journaux. Mais en 1939 elle fut arrêtée et condamnée à huit ans de « rééducation par le travail » dans un camp du Nord de la Russie. Une fois libérée et contrainte de vivre hors de Moscou, elle enseigna le dessin à Riazan où, sans motif, elle fut à nouveau arrêtée au bout de dix-huit mois, puis déportée. Assignée à résidence non loin du cercle polaire, elle gagna sa vie comme femme de ménage dans une école, puis comme animatrice à la Maison de la culture du village. C'est en 1955 seulement, deux ans après la mort de Staline, qu'elle fut enfin libérée et réhabilitée. Dès lors elle consacra une bonne partie de sa vie à publier les œuvres de sa mère qui s'était suicidée en 1941.
Elle est morte en 1975.
Russie éternelle contre Occident.
D'un auteur russe du XIXè siècle encore trop méconnu en France, Nikolaï Leskov, nous découvrons la nouvelle « Hugo Pectoralis ou une volonté de fer » (8).
L'anti-héros de cette histoire est un jeune ingénieur prussien qui est chargé, dans un petit village reculé de la campagne russe, de moderniser une grosse exploitation agricole en introduisant des méthodes novatrices de travail. Grâce à sa ténacité et à sa compétence, tout semble lui réussir, mais, prisonnier de sa vanité et de son entêtement, il va s'opposer à un brave paysan veule et ivrogne qui, sans le vouloir, le conduira à sa perte. L'orgueil fou de l'allemand et l'entêtement du Russe aboutissent au même résultat final.
Un récit en forme de charge qui, au-delà du comique, est une satire virulente des mœurs locales.
Un polar moscovite.
Et pour terminer sur un mystère, signalons la parution du dernier roman policier d'
Alexandra Marinina,
« Ne gênez pas le bourreau »(9).
Ancien membre de la Criminelle de Moscou, l'auteur est un maître du suspense en son pays et plusieurs de ses livres ont été traduits avec succès.
Dans celui-ci son héroïne Anastasia Kamenskaïa, la célèbre enquêtrice de la Brigade criminelle de Moscou, est chargée de ramener dans la Ville un prisonnier libéré d'un camp de travail à Samara. Or on est en période de campagne électorale. Or ce prisonnier a été en son temps le collaborateur d'un grand ponte du KGB liquidé dans d'obscures circonstances. Personne n'a intérêt à ce qu'il parle...
(1)Éditions Noir sur Blanc, 456 p., 25 euros
(2) Éditions du Sextant, 236 p., 22 euros
(3) Éditions Fayard, 329 p., 19 euros
(4) Éditions du Seuil, 365 p., 20 euros
(5) Éditions Belfond, 320 p., 19,80 euros
(6) Éditions Phébus, 220 p., 18,50 euros
(7) Éditions Phébus, 283 p., 19,50 euros
(8) Éditions des Syrtes, 181 p., 15 euros
(9) Éditions du Seuil, 412 p., 22 euros
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