Les traitements antidépresseurs

La voie finale commune de l’efficacité reste inexpliquée

Publié le 22/11/2006
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LES PREMIèReS molécules antidépressives ont été les Imao, certes efficaces mais pas toujours bien tolérés ; puis sont apparus les tricycliques, traitements relativement faciles à utiliser et efficaces qui ont constitué une véritable révolution. Le grand changement suivant a été l’arrivée des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) dont le premier représentant a été la fluoxétine. Leur avantage concerne surtout leur facilité d’utilisation. Ces molécules n’agissent pas directement sur les récepteurs postsynaptiques, mais sur un transporteur qui est un régulateur de la transmission des monoamines. Une prescription plus simple (une prise par jour), des effets secondaires bien moindres : la prescription des antidépresseurs a nettement augmenté en France, avec l’espoir que ces traitements relativement efficaces, très faciles à tolérer, allaient permettre de réduire la prévalence de la dépression dans la population générale et surtout réduire la mortalité suicidaire (en France, 10 000 personnes meurent chaque année par suicide).

Des biaminergiques.

L’avant-dernière étape a été la mise au point d’inhibiteurs mixtes qui empêchent la recapture non seulement de la sérotonine, mais aussi de la noradrénaline. Leur double activité permet de comprendre pourquoi ces molécules peuvent avoir un spectre d’action plus large : la venlafaxine, considérée comme le chef de file de ces biaminergiques, utilisée notamment en hospitalier, a l’avantage des traitements antidépresseurs de type tricyclique (pour l’efficacité), mais avec une bien meilleure tolérance.

Les approches plus récentes, après Imao, tricycliques, IRS et biaminergiques, se sont fondées sur le constat suivant : l’action sur la sérotonine ne peut pas expliquer l’amélioration de l’humeur, car bloquer le transporteur de la sérotonine prend quelques minutes et l’effet antidépresseur requiert au moins une dizaines de jours. Le blocage du transporteur de la sérotonine est un système d’économie (la nature détestant le gâchis, l’organisme recapture la sérotonine qui n’a pas été captée par le neurone cible, pour la réintégrer dans le circuit). En fait, en bloquant la recapture de la sérotonine, cette dernière reste plus longtemps et plus facilement disponible dans la fente synaptique, la relance sérotoninergique est alors privilégiée. Ce qui se passe entre les deux heures requises pour bloquer le transporteur et les dix jours nécessaires avant d’observer l’effet attendu reste incompris.

L’activation de facteurs neurotrophiques.

L’hypothèse actuelle est que la cascade des seconds messagers dans la transmission de l’information (activée par exemple par une relance de la sérotonine) entraîne des modifications à long terme qui font intervenir l’activation de facteurs dits neurotrophiques (NGF, Bdnf) qui sont tous des gènes impliqués dans la neuroplastie. La ramification axonique est relancée, de nouveaux axones poussent, des connexions se recréent et on sait, depuis cinq à six ans maintenant, qu’il y a même une relance des mitoses neuronales, avec apparition de nouveaux neurones dans des régions très précises du cerveau, notamment le gyrus dentelé au coeur de l’hippocampe. De petites cellules indifférenciées se développent et vont migrer vers les noyaux de l’hippocampe ; une fois en place, elles vont se différencier en neurones, se connecter sur de nouveaux réseaux et devenir fonctionnelles. Le processus demande environ dix jours pour s’organiser, ce qui est plus compatible avec le délai d’effet des antidépresseurs.

A cet égard, la tianeptine semble agir plus spécifiquement sur ces facteurs neurotrophiques. Elle est bien tolérée et largement prescrite par les médecins généralistes, surtout du fait de sa facilité d’utilisation.

L’agomélatine.

Les produits en développement sont très nombreux et le Pr Gorwood évoque l’agomélatine, un médicament assez proche de la mélatonine, qui agit sur les cycles nycthéméraux et les rythmes biologiques. L’agomélatine pourrait fournir une nouvelle façon de concevoir l’effet antidépresseur par une sorte de remise à l’heure des pendules biologiques. Elle n’est, néanmoins, pas uniquement un agoniste des récepteurs de la mélatonine, et possède aussi une activité antagoniste des récepteurs de la sérotonine (5HT2), donc peut-être des effets mixtes mélatoninergiques et antisérotoninergiques qui permettraient de comprendre son effet antidépresseur assez spécifique. Les effets indésirables sont quasiment absents, car ce médicament se prend le soir et s’élimine rapidement en quelques heures.

De 60 à 70 % des patients déprimés sont améliorés grâce à un traitement médicamenteux antidépresseur, mais il faut souligner que d’autres traitements sont également efficaces, comme les électrochocs, les psychothérapies (ce sont surtout les thérapies cognitivo-comportementales qui ont été évaluées) et les privations de sommeil qui entraînent un bouleversement de l’organisation des rythmes de vie avec des effets antidépresseurs très rapides, mais très fragiles.

Or, toutes ces approches ont des mécanismes d’action très différents, qu’ils s’agissent des électrochocs qui s’appuient sur une crise d’épilepsie provoquée, du traitement antidépresseur ayant une action pharmacologique sur le cerveau, d’une psychothérapie qui suscite un remodelage de l’organisation des circuits par apprentissage ou, enfin, de la privation de sommeil. Il faudra donc bien trouver une explication commune à l’efficacité de traitements de mécanismes d’action bien différents.

D’après un entretien avec le Pr Philip Gorwood, hôpital Louis-Mourier, Colombes.

> Dr F. B-J.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8057