Sous les dynasties Sui (581-618) et Tang (618-907), la civilisation chinoise a connu son âge d’or, plus particulièrement au VIIIe et au début du IXe siècle. L’enseignement de la médecine devient alors officiel et à partir de 624, les études sont sanctionnées par des examens d’Etat. Le premier codex pharmaceutique, le Táng Ben Cao est élaboré en 659, à la demande de l’empereur, les échanges avec l’Inde, la Perse et Byzance ayant abouti à l’introduction de nombreuses substances exotiques dans la pharmacopée chinoise. Le premier traité d'étiologie et de symptomatologie, le Zhu Bing Yuan Hou Zong Lun., voit aussi le jour, œuvre de Chao Yuan Fang. La notoriété de ce livre fut si grande qu’on en fit un manuel d’étude obligatoire pour devenir médecin sous la dynastie Song.
Parallèlement, l’ophtalmologie, la pédiatrie, l'obstétrique et la chirurgie prennent une place toujours plus importante. Les exégèses de textes anciens se multiplient. Yang Shang Shan, puis Wang Bing, au VIIIe siècle, produisent les deux plus importantes versions commentées et réorganisées du Nei Jing Su Wen ( Classique interne de l’empereur jaune) dont nous avons vu, dans notre précédente livraison, qu’il était le plus ancien ouvrage de médecine chinois.
Sun Si Mia, le médecin ermite
Sun Si Miao (581-682) fut indubitablement le plus fameux praticien de la dynastie Tang. Grand érudit, connu pour sa profonde sagesse, défenseur de l’éthique médicale, il vécut en ermite, refusant les honneurs et les postes élevés qui lui furent offerts par les empereurs. Il fut avant tout un phytothérapeute qui considérait que l'acupuncture, la moxibustion et la phytothérapie étaient des thérapeutiques complémentaires. On lui doit notamment une œuvre remarquable, le Qian Jin Yao Fang (Prescriptions Valant Mille Pièces d’Or), achevé en 652, dans lequel sont abordées la diététique, la sphygmologie, l’acupuncture, la phytothérapie. Il y recommande ainsi les algues marines pour le goitre thyroïdien et les haricots pour le béri-béri. Deux des trente rouleaux de cette manne substantielle sont plus particulièrement consacrés à l’acupuncture et à la moxibustion et contiennent une description de l'emplacement des points. Sun Simiao ne suit pas l'ordre des méridiens mais établit un classement par régions du corps avec des subdivisions. Le médecin ermite compléta par la suite son œuvre avec le Qian Jin Yi Fang (Prescriptions supplémentaires du Qian Jin [Yao Fang]. Ces deux livres constituent sans doute la première encyclopédie médicale de l’histoire de Chine. On lui doit enfin le Yinhai Jingwei (la Mer d’Argent) premier traité chinois d’ophtalmologie traitant des 81 maladies de l’œil
Les dix maladies mortelles de la Route de la soie
L’acupuncture fut sous les dynasties Sui et Tang de plus en plus pratiiquée ainsi que l’attestent les manuscrits de Dunhuang (Dunhuang yiyao wenxian jijiao) retrouvés dans les grottes proches de cette ville autrefois prospère située sur la Route de la Soie. L’un de ces textes, écrit vers 803, décrit « Les dix maladies mortelles » qui frappent les gens pérégrinant sur la Route de la soie :
[[asset:image:6826 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]- nuebing (fièvre intermittente) ;
- tianxing (maladies épidémiques),
- zubing (maladies mortelles) ;
- zhongbing (maladies inflammatoires) ;
- chanbing (maladies lors de l’accouchement) ;
- huanfu (maladies abdominales) ;
- huanyong (maladies dermatologiques, furoncles) ;
- fenghuangbing (maladies liées au vent, hépatites associées à un ictère) ;
- shuili (diarrhées) ;
- yanbing (maladies de l’œil)
Chao Yuanfang, (550-630), médecin de l’empereur Yang Di se chargea, pour sa part, de la rédaction du Zhubing yuanhou zonglun (« Traité général de l’étiologie et la symptomatologie des maladies »), premier travail réalisé en ce domaine. Cette somme colossale date de 610 et est constituée de 50 volumes (67 parties avec 1720 cas) avec étiologie et symptômes des maladies diverses.
Le savoir médical se répand sous les Song
Avec l’arrivée des Song au pouvoir de nombreuses découvertes techniques ont eu un impact direct sur la médecine. La découverte de l'imprimerie à caractères mobiles permit ainsi la diffusion du savoir médical. Le procédé de la distillation, devenu courant, accéléra la production de nouvelles substances thérapeutiques. L’anatomie se développa grâce au développement de la dissection dans la médecine légale. La variolisation, quant à elle, fut introduite en 1014 par Wang Dan, mas resta dédaignée par les médecins « savants », elle fut confinée comme une pratique populaire.
[[asset:image:6836 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Durant cette dynastie, et sous l’autorité de l’Empereur, de nombreuses écoles d’acupuncture virent le jour à travers la Chine, afin de systématiser la connaissance médicale. Wang Weiyi (987-1067), l’un des acupuncteurs emblématiques de cette période, fit couler dans le bronze deux statues creuses en bronze de taille humaine, les trajets des méridiens et la localisation exacte des points étant marqués de petits trous sur leur surface. Lors des examens, elles étaient recouvertes de cire, de telle sorte que les « points », parfois préalablement remplis d'eau, devenaient invisibles. Le candidat enfonçait une aiguille à l'emplacement, localisé par lui, de tel ou tel point. Si l'aiguille pénétrait profondément, sans résistance, et que l'eau s'écoulait lorsqu'on la retirait, la localisation se révélait correcte. Wang Weiyi récapitula l’ensemble de ses recherches sur les 657 points d’acupuncture dans un livre, rédigé en 1027, « Tongren shuxue zhen jiu jujing » (« Manuel illustré des points d’acupuncture et de moxibustion indiqués sur la statue de bronze »)
Les quatre grands maîtres des dynasties Jin (Nord) (1115 -1234), Song (Sud) (1127-1279) et Yuan (1277-1367) :
Quatre grands maîtres vont marquer ces trois dynasties, chacun d’eux étant à l’origine d’un courant médical spécifique, découlant à la fois de leur interprétation de certains aspects du « Classique de l’empereur jaune » et de leur expérience clinique.
[[asset:image:6851 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Liu Wan Su (1120-1200) développa la théorie du Feu et de la Chaleur (Huo Re Li Lun) qui veut que les Énergies Pathogènes se transforment toutes en Feu. Privilégiant l'emploi de remèdes de nature froide (Han) ou fraîche (Liang), il fonda l'« École du Froid et du Frais » (Han Liang Pai). les six « pervers environnementaux » que sont le vent, le froid, l’humidité, la sécheresse, la canicule et, surtout, la chaleur, sont la base de son système étiologique. D’où l’utilisation de substances médicinales froides ou fraîches qui donnèrent leur nom à l’école qu’il créa ainsi.
Zhang Cong Zheng (1156-1228), considéra, lui, que l'attention doit être portée en priorité sur l'énergie pathogène plutôt que sur l'énergie saine du malade, cette dernière se restaurant naturellement quand l'agent morbide est évacué. l'« École de l'Attaque et de la Purgation» (Gong Xia Pai).préconisa ainsi comme méthodes thérapeutiques la sudorification, la vomification et la purgation.
Li Dong Yuan (1180-1252) , qui fut témoin des nombreuses famines qui accompagnèrent l’invasion mongole sous les Yuan, concentra ses recherches sur l'origine interne des maladies, particulièrement sur l'affaiblissement de la rate et de l'estomac. Son système, appelé « École de la Tonification de la Terre» (Bu Tu Pai), s'appuie sur la tonification du Qi et du Yang de la Rate (symboliquement reliée à la Terre), grâce à des ingrédients de saveur douce et de nature tiède.
[[asset:image:6831 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Zhu Dan Xi (1280-1358), reprit les conceptions de ces trois grands maîtres et les associa à sa propre expérience. Il s’intéressa plus particulièrement à la médecine interne, partant du principe que le Yang est souvent en excès et le Yin en insuffisance. il préconisa donc, comme base de son système thérapeutique l'enrichissement du Yin et le contrôle du feu, fondant ainsi l'« École de l'entretien du Yin » (Yang Yin Pai). Tous ces préceptes furent développés dans le Gé Zhì Yú Lùn (Traité supplémentaire de l’étude des phénomènes de la nature) écrit en 1347 puis dans le Dan Xi Xin Fa (Le cœur des méthodes de Dan Xi).
Des Ming aux Qing
Li Shi Zhen (1518-1593) demeurera comme le plus célèbre médecin de la dynastie Ming. Fils de médecin, auteur de dix-sept ouvrages dont trois seulement sont parvenus jusqu’à nous, il consacra trente années de sa vie à rédiger, avec sa famille et ses proches, le traité le plus exhaustif de la littérature médicale classique : le Ben Cao Gang Mu (Compendium de la matière médicale). Cette oeuvre colossale, parue en 1596, tois ans après sa mort, décrit 1 892 ingrédients, contient plus de 1 000 illustrations et plus de 10 000 formules. Non content de traiter la pathologie et la thérapeutique, l’ouvrage constitue aussi une véritable encyclopédied’histoire naturelle, abordant la botanique, la zoologie, la minéralogie et la métallurgie avec un égal bonheur. Li Shi Zhen a rédigé une dizaine d'autres ouvrages, dont le célèbre traité sur les pouls : Bin Hu Mai Xue. Zhao Xian Ke approfondit le concept du Ming Men, qui complète la théorie des Organes et Entrailles.
Ce sujet intéressa aussi Zhang Jie Bin (1563-1640) qui, par ailleurs, rédigea le Lei Jing, (Classique des classifictions) la plus importante compilation, sous les Ming, du Livre de l’empereur jaune, Ses apports dans les domaines du diagnostic, de la médecine interne, de la gynécologie, de la pédiatrie et de la chirurgie, sont présents dans son oeuvre maîtresse, le Jing Yue Quan Shu « Œuvre intégrale de Jing Yue». Sa théorie la plus célèbre fut de dire que le yáng n’est jamais en excès. Au contraire, étant à la base de la vie, il est plutôt en vide, d’où la nécessité de le renforcer. C’est pour cela qu’on fait de lui l’un des principaux représentants de « l’école de la tonification tiède »
La plus importante synthèse sur l'acupuncture fut réalisée en 1601 par Yang Ji Zhou (1522-1620): le Zhen Jiu Da Cheng (Grande compilation sur l'acupuncture et la moxibustion).
C'est durant la dynastie des Qing que se développa l'« École des maladies de la Chaleur» (Wen Bing Xue Pai), véritable révolution dans l'étude de l'épidémiologie en Chine. Wu You Ke, Ye Tian' Shi, Wu Ju Tong, Xue Sheng Bai et Wang Meng Yin furent les grandes figures de cette lignée de praticiens qui a introduit la notion de pénétration de la Chaleur à travers Quatre Couches (Si Fen) et de l'Humidité Chaleur à travers les Trois Foyers (San Jiao).
Wang Qing Ren (1768-1831). Il fut un réformateur qui s'attacha à purifier la médecine chinoise des erreurs et opinions non fondées qu'elle avait accumulées au cours des siècles. Il insistait sur le fait qu’un médecin devait connaître l’anatomie interne, notamment des organes avant de soigner. Pour cela, il se rendait dans les cimetières et les lieux d’exécutions pour récupérer les cadavres et réaliser des dissections. Celles-ci furent à l’origine dul Yi Lin Gai Cuo (Correction des erreurs de la forêt médicale) où il tenta de corriger les erreurs anatomiques des textes anciens. Il développa, par ailleurs, une théorie nouvelle sur les Amas de Sang (Yu Xue) et mit au point une série de formules pour traiter la stase de sang qui sont très utilisées aujourd’hui.
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L’acupuncture en péril
C’est sous les Qing aussi, que fut écrit Le Yixue yuanliu lun (Origines et histoire de la médecine) par Xu Dachun, en 1757. Il y fait l’historique de la médecine traditionnelle chinoise depuis ses origines, démontant tous les différents systèmes théoriques, diagnostiques et thérapeutiques de ces prédécesseurs. A la fin du XVIIIe siècle, la plupart des médecins chinois se mirent à dédaigner l’acupuncture et la moxibustion, préférant la phytothérapie ou les massages tuina. Ce mouvement faillit bien aboutir à la disparition de l’acupuncture !
[[asset:image:6816 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]En 1822, en effet, les autorités ordonnèrent la disparition à titre définitif de l’acupuncture et de la moxibustion des enseignements de la faculté de médecine impériale, ces disciplines ne pouvant convenir pour traiter l’empereur. Même si ce veto ne s’étendait pas au-delà des limites de la cité interdite, les médecins se détournèrent encore plus de l’acupuncture.
La révolution de 1911 sonne le glas de la dynastie Qing, mais l’acupuncture ne fit pas sa réapparition pour autant, bien au contraire. En 1929, sous la pression de certains intellectuels progressistes du Mouvement du 4 mai 1919 et du Dr Yu Yunxiu, le gouvernement du Guomindang proposa, purement et simplement, l’abolition de la médecine chinoise traditionnelle, qualifiée de vieille médecine réactionnaire, superstitieuse et irrationnelle en opposition à la médecine occidentale dont le Dr Sun Yat Sen (1866-1925), était le plus farouche défenseur.
Renaissance de la médecine traditionnelle
Mais cette tentative d’abolition ayant fait long feu, l’acupuncture va petit à petit renaître de ses cendres grâce entre autres à Qin Bowei qui participa à la fondation d’un « Institut Chinois de Médecine ». Dans son sillage, de nombreux médecins allaient promouvoir l’acupuncture comme alternative bon marché à la médecine occidentale. Avec l’avènement du communisme et de la République populaire de Chine, Mao Zedong rejeta dans un premier temps la médecine traditionnelle, considérée comme ésotérique, superstitieuse et féodale. Mais, sous la pression économique et politique et face au manque de personnel hospitalier, le Grand timonier dut convenir que le recours à la médecine traditionnelle était la seule solution viable. Dès lors allait se développer en Chine un système de santé intégratif réunissant des médecins formés aux techniques les plus modernes et des praticiens traditionnels perpétuant des techniques immémoriales, tout cela pour le plus grand bien du peuple…
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