« UN DIMANCHE à la Grande Jatte » (1884-1885), l'œuvre célèbre de Georges Seurat (1859-1891), « tableau-laboratoire » fondateur du néo-impressionnisme, qui permit à son auteur d'asseoir ses théories sur la division de la couleur, ne figure pas dans l'exposition du musée d'Orsay. Mais une étude d'ensemble de cette toile est là, dans la première salle. Et elle permet de comprendre la technique du peintre.
Authentique mélange optique, la toile pointilliste est saturée de petites touches de couleurs pures. Observées à une certaine distance, les fines taches colorées qui la composent se fondent les unes aux autres. C'est l'œil du spectateur qui fait le travail de fusion, et non plus le pinceau du peintre.
Le néo-impressionnisme trouve ses sources dans les dernières découvertes, en matière de physique optique, sur la couleur et sa perception. Seurat s'était longtemps nourri des traités d'optique et d'esthétique (Chevreul, Rood, Charles Henry...). L'impressionnisme, tout révolutionnaire qu'il ait été, va céder la place à cette nouvelle expression plastique plus raisonnée, plus scientifique aussi. L'exposition témoigne de la diversité des approches suscitées par la technique de Seurat : le néo-impressionnisme s'exprimera indirectement à travers les mouvements du fauvisme, de l'expressionnisme, du symbolisme...
Le mouvement se développe en France selon des interprétations très variées, mais dans un même souci, celui de casser la profondeur et la perspective traditionnelle, en agençant formellement les éléments de la toile et en superposant les plans (ainsi que le conçoivent Seurat dans « la Luzerne » ou Henri-Edmond Cross dans ses « Iles d'or »). Les formes sont simplifiées, géométrisées et découpées en masses colorées. Les peintres néo-impressionnistes créent l'illusion du mouvement par des jeux de lignes et de courbes rythmées (« le Pont de Courbevoie », de Seurat, en est l'exemple même), par l'utilisation d'arabesques stylisées (« le Cirque », de Seurat) ou par la répétition d'un motif qui crée une cadence dans la composition (voir la toile parfaitement rythmée du « Nocturne au cyprès » de Cross).
L'exaltation du pinceau.
Les thèmes d'inspiration sont intimement liés à la vie quotidienne moderne : paysages urbains ou de banlieues, bords de mer ou loisirs de cette fin de siècle. Mais les néo-impressionnistes renouent en même temps avec la tradition des portraits posés dans des intérieurs cossus (voir les études des « Poseuses », de Seurat), ou encore s'attachent à représenter leurs visions paradisiaques d'une sorte d'âge d'or mythique qu'ils développent volontiers au cœur d'un décor méditerranéen, peuplé de mythes et de légendes.
Dans la salle de l'exposition consacrée à ce thème de l'Arcadie, l'apothéose des couleurs et de la lumière semble être atteinte. Matisse y est représenté avec son impérissable « Luxe, calme et volupté ». Morren livre une sorte d'allégorie dans un jardin public : « A l'harmonie ». Cross évoque l'air du soir dans sa toile du même nom.
Les derniers instants de l'exposition sont un brillant bouquet final. La couleur se libère complètement dans les œuvres de Derain, Braque ou Vlaminck. La touche est de plus en plus affranchie. Les coups de pinceau sont sinueux. La forme se fractionne en sections colorées indépendantes (Delaunay, Herbin...). Le néo-impressionnisme sort des frontières et marque notamment les artistes néerlandais (voir les rares toiles de Bremmer, de Johan Joseph Aarts ou de Jan Vijlbrief et l'autoportrait de Van Gogh). L'exaltation du pinceau est à son plus haut point. Les peintres retranscrivent sur leur toile les phénomènes atmosphériques, livrent des visions d'optique étourdissantes dans les villes éclairées la nuit, des symboles mystérieux éclosent ici et là. On est aux débuts de l'abstraction, que le néo-impressionnisme portait en lui.
L'une des dernières toiles, un Kandinsky éblouissant de 1908, « l'Eglise Saint-Louis », à Munich, réunit presque à elle seule les singularités du mouvement postimpressionniste. Prophétique, elle annonce également les grands mouvements abstraits à venir et proclame la permanence du mouvement de Seurat durant tout le XXe siècle.
« Le Néo-impressionnisme de Seurat à Paul Klee ». Musée d'Orsay. 62, rue de Lille, Paris 7e. Tél. 01.40.49.48.14. Jusqu'au 10 juillet. Catalogue, 432 p., 54 euros.
A voir aussi au musée d'Orsay, dans la galerie d'arts graphiques, l'exposition des dessins de Seurat et des artistes néo-impressionnistes.
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