Diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer

L’apport des marqueurs dans le LCR

Publié le 17/05/2006
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COMME le rappelle le Pr Serge Bakchine, «à l’heure actuelle, il n’existe aucun critère permettant d’affirmer le diagnostic de maladie d’Alzheimer, même en s’appuyant scrupuleusement sur le DSMIV ou sur le NIN CDS-ADRDA. Sur 100patients chez lesquels le diagnostic a été porté sur des critères cliniques, on estime que seulement 60 environ ont effectivement une maladie d’Alzheimer pure, que 20 à 30% ont une maladie d’Alzheimer associée à des facteurs vasculaires et que 10 à 20%, un autre type de démence». «C’est surtout au stade précoce que le diagnostic est difficile, ajoute le Pr Bakchine, même avec l’apport de l’imagerie standard, scanner ou IRM. Seule l’IRM avec mesure volumétrique améliore la sensibilité diagnostique. Quant à la valeur des tests neuropsychologiques, elle dépend du temps qui leur est consacré. Au total, si l’on additionne les éléments cliniques, l’IRM volumétrique et des tests complets, malgré le temps passé, on ne peut pas distinguer avec certitude une maladie d’Alzheimer d’une autre démence.» D’où l’intérêt de rechercher des marqueurs biologiques qui contribueraient à améliorer le diagnostic, notamment à un stade débutant, aussi bien pour la pratique quotidienne que pour les essais thérapeutiques afin d’avoir des groupes de patients homogènes. Ce type de marqueur serait également très utile dans les MCI (Mild Congnitive Impairment). «On sait, en effet, que les patients qui présentent ce syndrome sont à haut risque de maladie d’Alzheimer; 10 à 15% d’entre eux développent chaque année une démence. Sur un suivi de cinq ans, on estime donc que la moitié aura une maladie d’Alzheimer déclarée. Les essais thérapeutiques réalisés dans les MCI ont été jusqu’à présent décevants, mais c’est là aussi sans doute la conséquence de populations hétérogènes, biais qui pourrait être évité si l’on disposait de marqueurs biologiques fiables.»

Une fenêtre sur le cerveau.

Les tests urinaires et sanguins étudiés initialement se sont révélés décevants. Le LCR présente l’avantage d’être « une fenêtre sur le cerveau », explique le Pr Bakchine. Deux marqueurs témoins des lésions spécifiques de la maladie d’Alzheimer, le peptide A bêta et la protéine tau, ont fait l’objet de recherches dès 1985, mais il a fallu attendre les progrès techniques pour disposer de mesures fiables et ce n’est qu’à partir de 1995 que les premiers résultats ont été enregistrés. On a ainsi montré qu’il existait un profil particulier des patients atteints d’Alzheimer : ils présentent une baisse du taux de peptide A bêta dans le LCR et une élévation de la concentration de la protéine tau, et tout particulièrement de la forme hyperphosphorylée de tau, la phosphotau. Les sujets indemnes ont des taux très faibles de peptide A bêta. « Chez les patients atteints d’Alzheimer, ce peptide est produit en quantités excessives, sa précipitation aboutit à la formation de plaques séniles dans lesquelles il est “prisonnier”, ce qui explique qu’on en retrouve moins dans le LCR », explique le Pr Bakchine. A l’inverse, la protéine tau intracellulaire n’est libérée qu’en cas de mort cellulaire. Le sujet normal a donc des taux faibles dans le LCR alors que le patient souffrant d’Alzheimer a des concentrations élevées, conséquence d’une augmentation de la lyse cellulaire.

Le profil de ces deux marqueurs est donc opposé chez les sujets sains et chez les patients atteints. Pris isolément, le dosage du peptide A bêta permet de classer correctement 55 à 60 % des sujets pour lesquels le diagnostic clinique de maladie d’Alzheimer a été retenu ; ce pourcentage est de 65 à 70 % pour la protéine tau. En combinant ces deux marqueurs, le classement est correct dans 85 à 88 %. L’équipe de neurologie du Pr Bakchine, en collaboration avec celle de biochimie (Pr François Xavier Maquart et Dr Henri Thouannès) du CHU de Reims, a ensuite mis au point un graphique de projection avec un algorithme fondé sur les valeurs couplées de A bêta et de phosphotau, en prenant en compte le taux global de protéine tau. Cet outil améliore encore la distinction entre sujets normaux et patients atteints d’Alzheimer. Les chercheurs ont élaboré un index dénommé IATI pour « Innotest Amyloide Tau Index », qui permet de définir des valeurs seuils. S’il est inférieur à 0,8, la probabilité de maladie d’Alzheimer est très forte, s’il est supérieur à 1,2, ce diagnostic peut être a priori éliminé. Reste une zone de doute entre 0,8 et 1,2, mais il faut bien entendu prendre également en compte la clinique, les tests neuropsychologiques et l’IRM, note le Pr Bakchine, dont l’équipe a étudié 300 prélèvements de LCR. Les résultats ont été portés sur un graphique avec en abscisse le taux de phosphotau (avec pour valeur limite 60 picog/ml) et en ordonnée l’index IATI. Dans la zone d’index IATI inférieur à 0,8 et de phosphotau supérieure à 60 se retrouvent la très grande majorité des patients atteints d’Alzheimer, quelques-uns se situent dans la partie IATI < 0,8 et tau < 1,2, mais aucun malade n’est représenté dans la zone IATI > 1,2. Les sujets indemnes sont pratiquement tous dans le quadrant compris entre IATI > 1,2 et tau < 60. Ce graphique apporte ainsi encore plus de précisions diagnostiques en séparant bien les patients atteints d’Alzheimer des témoins.

En 2006, la Fédération européenne des sociétés de neurologie a validé l’utilisation de ces marqueurs en pratique clinique. Ils sont aussi en cours d’évaluation dans les MCI. Le suivi des patients MCI qui ont développé une maladie d’Alzheimer montre qu’ils présentaient déjà ces anomalies du LCR (taux bas de peptide A bêta et augmentation de la phosphotau). Ces marqueurs auraient donc une très bonne valeur prédictive, d’où leur intérêt pour les essais thérapeutiques.

D’après un entretien avec le Pr Bakchine, CHU de Reims, Cmrr Champagne-Ardenne, centre mémoire de recherche et de ressource, Inserm EA 37 97

&gt; Dr MARINE JORAS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7962