DE NOTRE ENVOYE SPECIAL A RIO
« IL FAUT PORTER LA METHODE », disait Louis Pasteur, pour marquer la dimension internationale de sa démarche. Aujourd'hui, la diffusion des publications, le libre accès aux travaux figurent toujours en bonne place dans la Charte des valeurs pasteuriennes (voir encadré). Mais la coopération entre « institutions académiques pasteuriennes », comme se désignent ces organismes aux statuts et aux dimensions fort disparates, a longtemps fonctionné sur un mode informel. Jusqu'à ce que Philippe Kourilsky, directeur général de l'Institut, crée, en 2001, la direction des affaires internationales (DAI). Il l'a confiée à une diplomate exercée aux arcanes du multilatéralisme, Michèle Boccoz. A charge pour cette ex-haut fonctionnaire du Quai (Osce, OMS, Affaires européennes...) de clarifier les règles de participation entre membres du réseau. « Après l'âge d'or pasteurien, illustré par les grands prix Nobel, comme Jacob ou Monod, explique-t-elle, nous sommes sortis de l'entreprise à taille familiale pour affronter un monde de plus en plus féroce où la coopération internationale fait la différence entre équipes. C'est vrai en matière de recherche comme d'enseignement. »
L'affrontement entre concurrents peut être frontal, comme dernièrement à Madagascar, où une équipe venue des Etats-Unis a débarqué pour conduire des essais thérapeutiques sur un vaccin contre la peste. Ils projetaient de mettre à contribution le laboratoire national de référence de l'île sur la maladie, justement un institut Pasteur, mais celui-ci s'est opposé à leur programme qui contrevenait à l'engagement éthique des pasteuriens.
Top-down et bottom-up
« En fait, poursuit Michèle Boccoz, Cette affaire est caractéristique de l'approche américaine de la santé internationale : elle privilégie actuellement les questions scientifiques liées aux problématiques intérieures des Etats-Unis, comme le bioterrorisme, au détriment de la santé des populations locales ; des équipes commandos sont envoyées sur le terrain et elles repartent avec les échantillons souhaités, sans considération pour les conditions locales. » « C'est, ajoute le Dr Antoine des Graviers (chargé de mission à la DAI), la stratégie dite du top-down : du sommet vers le bas, opposée à celle du bottom-up, qui consiste à étudier le terrain et les contextes locaux pour remonter dans un deuxième temps vers le sommet. »
C'est cette stratégie qu'entendent mettre en œuvre les pasteuriens, soucieux d'améliorer la santé publique pas seulement chez eux, mais en tenant compte de la diversité des enjeux de recherche selon les pays et les latitudes. Par exemple, l'institut Armand Frappier, au Québec, conduit des travaux sur la leishmaniose, alors que cette infection n'est pas signalée sur le territoire canadien.
Pendant trois jours, les chercheurs pasteuriens se sont donc succédés à Rio pour présenter leurs programmes de surveillance et leurs projets de recherches. A leur menu notamment, la tuberculose, avec l'émergence des bacilles multirésistants aux antibiotiques et les pronostics de l'OMS, qui annonce 35 millions de morts dans les quinze ans si aucune amélioration n'est apportée au contrôle de l'épidémie ; la dengue, dont la recrudescence, sous sa forme hémorragique, dans plusieurs régions intertropicales est responsable de plus de 20 000 décès annuels ; la maladie de Chagas, qui sévit sur tout le continent américain, où 90 millions de personnes sont exposées au Trypanosoma cruzi. Leishmaniose, paludisme, fièvre jaune ont aussi donné lieu à présentations des dernières collections de nucléotides, ainsi qu'à des exposés épidémiologiques.
Synergies.
Coordonné par l'infatigable Paola Minoprio (Institut Pasteur de Paris) et dirigé par Jacques Morvan (institut Pasteur de la Guyane), le pôle Amériques du Riip multiplie les synergies dans tous les secteurs d'activité (conseil et animation scientifique, accès aux plates-formes technologiques, démarche qualité, valorisation) sur tous les programmes d'infectiologie, d'immunologie, de biologie moléculaire et de biotechnologie : sur la maladie de Chagas, 16 institutions sont partenaires, elles sont cinq à coopérer autour du projet Verdi (virus hémorragiques émergents), autant sur la génétique de la tuberculose.
Tous ces programmes mettent à contribution des institutions de tailles diverses (depuis le petit format de l'institut Pasteur de Guadeloupe jusqu'à l'impressionnante Fondation brésilienne Oswaldo Cruz, la Fiocruz, avec ses 6 500 chercheurs,dont 1 800 titulaires d'un doctorat) et de statuts juridiques originaux : publics, privés, semi-publics. En plus des membres et associés du pôle Amériques (institut Armand Frappier du Canada, instituts Pasteur de la Guadeloupe, de la Guyane, Fiocruz, institut de Montevideo, le réseau Amsud-Pasteur ne comprend pas moins de 51 institutions, centres de recherche et universités à travers tout le Mercosur (Argentine, Brésil, Chili, Paraguay, Uruguay).
De quoi exacerber la convoitise du seul pays qui ne participe pas directement au pôle pasteurien des Amériques (les Etats-Unis). Et susciter de nouvelles vocations : une dizaine de pays de par le monde sont actuellement candidats pour rejoindre le Riip, notamment en Asie et au Moyen-Orient : Laos, Thaïlande, Philippines, Syrie, Qatar, Dubaï. Présenté sous le soleil de Rio, le monde des instituts Pasteur est plus que jamais planétaire.
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