EN CHOISISSANT l’exercice de la médecine thermaliste, Christian Dedet s’offrait de vivre tour à tour ses deux vocations : six mois à la belle saison, il exerçait la médecine en Auvergne, auprès des curistes de Châtel-Guyon, et il lui restait six mois pour assouvir son goût pour l’écriture, à Paris. Ainsi se sont écoulés 33 ans. Et, à raison de 2 000 curistes par saison (soit 8 000 à 10 000 consultations par an), il a dû, calcule-t-il, avoir accès à 66 000 vies de cette façon brève, intense, intuitive, répétitive, secrète. «Ah, s’ils parlaient, ces médecins, se prenait à rêver Maupassant, quelles notes, quels documents merveilleux ils nous pourraient donner…»
Et le Dr Dedet ne détrompe pas le romancier. Sa première héroïne, c’est donc l’eau. «Ces eaux où, écrit-il, non seulement têtards et grenouilles étaient inconnus, mais qui, carbogazeuses, sont agréables à boire et ont toujours leurs “accros”.» A Châtel-Guyon, «c’est le magnésium qui en fait la valeur dans le traitement des maladies digestives. C’est lui qui, doué d’ubiquité, accélère le transit des intestins paresseux ou parvient à ralentir celui des gens trop hâtifs, voire explosifs, en cette activité-là».
Et cette eau est quasi déifiée, puisqu’on lui voue littéralement un culte. «L’eau, fluidité spirituelle des écritures judéo-chrétiennes (…) Il y aurait fort à parier que le curiste bon teint qu’on douche aujourd’hui est probablement étranger à ces vues philosophiques comme à ces cohortes de nymphes et de dieux. Pourtant, son pèlerinage en peignoir, d’un service à l’autre, est de façon bien arrêtée en quête de renouveau, à tout le moins un espoir d’amélioration.»
Les sybarites de la balnéothérapie.
A Châtel-Guyon, on s’adonne quoi qu’il en soit au culte du bain. «La balnéothérapie a ses élus, que l’on traite en sybarites; elle a ses corps souffrants, qu’il faut réconforter; elle a eu, et peut avoir encore, ses forçats. Dès l’aurore, la fréquentation des thermes ressemble à un ballet parfaitement réglé.»
Un ballet qui peut être des plus sensuels. Christian Dedet cite Maupassant, qui décrit la curiste délicieusement caressée, étreinte par l’onde vivante, que «la sensation d’un bonheur calme, fait de repos et de bien-être, de tranquille pensée, de santé, de joie distraite, entrait en elle (…) Et son esprit rêvait, vaguement bercé par le glouglou du trop plein qui s’écoulait...». Ah, cette «sensation du matin, cette sensation d’un bain tiède, d’un grand bain de bonheur où elle se plongeait corps et âme».
Au fil des pages, le lecteur fait la découverte de l’étonnante patientèle du Dr Dedet, ces «gens», comme il l’écrit, braves aux patronymes débonnaires dont il ne s’étonne plus : Mme Bourrée, M. Figuière, Mlle Placette («Sa petite voix de tête que je reconnaissais d’une année à l’autre, avant même de voir la vieille demoiselle, à seulement l’entendre dans l’entrée.»). Et d’autres, sortis d’un recueil moliéresque : M. Monsignore, Mlle Belbèze, M. Rogaton.
La galerie est riche, comme la palette du portraitiste. Parmi ces aérophagiques acharnés, ces colopathes résignés, ces anxieux, perclus, édentés, trémulantes, divas, vieilles filles sans appâts, mais aussi beautés distinguées, l’empathie du médecin pour ses patients oscille du pathétique au burlesque, sans jamais se départir d’une secrète tendresse.
Chronique d’un univers qui coule ? Christian Dedet en convient, «les eaux thermales subissent non seulement les pressions géologiques, mais celles des milieux médicaux, du monde des affaires, des municipalités, de la Sécurité sociale. Cela fait beaucoup». Mais quoi, aujourd’hui encore, environ cinq cent mille personnes restent fidèles au rendez-vous de leurs eaux et vont prendre leurs bains. Les thermes gardent une vitalité qui aurait mérité son Ettore Scola, assure leur chantre, qui appelle à la rescousse un guide branché s’il en est, le « Routard », lequel rend hommage à Châtel-Guyon, au «spectacle touchant et surréaliste, quand l’orchestre donne l’aubade aux curistes et que tout le monde s’amuse, chante et danse. Pas seulement les valses ou le tango, on y va des jerks, des charlestons, et même des lambadas».
Pour ce qui est de Christian Dedet, c’est quand même sur le registre du blues que se déploie surtout sa partition. Et il termine en racontant comment l’expérience qu’il vient de vivre de l’hospitalisation dans des services de haute technologie, à Paris, l’a guéri de son vieux complexe de donneur d’eau, au service d’une médecine qui n’a jamais eu d’essais randomisés, de double aveugle, de vaste enquêtes et de conférences consensuelles. Mais, se console-t-il, le remède thermal, lui, n’a jamais tué personne. A telle enseigne que, devenu à son tour curiste, il conclut : «Pas de doute, un jour qui n’est plus très lointain, je mourrai guéri.»
« Histoire d’eaux », éditions du Rocher, 204 pages, 17,50 euros.
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